Par Marche Mondiale des Femmes – MMF – Occitanie
Il y aura bientôt 10 ans, l’effondrement d’une usine de textile faisait au moins 1138 morts au Bangladesh, dont un très grand nombre d’ouvrières. Le Rana Plaza, le nom du bâtiment de 8 étages qui s’est effondré, avait été construit en ne respectant pas les normes. Les vêtements fabriqués dans l’usine alimentaient plusieurs pays occidentaux. Ce drame est le symptôme d’une mondialisation inhumaine, dominée par les multinationales au mépris de la vie des populations précaires des pays pauvres. Les mouvements féministes partout dans le monde se mobilisent le 24 avril. Nous publions un article de la MMF – Occitanie, et aussi l’annonce de la mobilisation de la MMF-Québec en collaboration avec l’AQOCI et le CISO.
Rassemblement à Montréal-Tiohtiá:ke, lundi le 24 avril 2023, de midi à 13h00, au Carré Phillips – à l’initiative de la MMF-Québec, AQOCI, CISO
En 2013, 1 138 travailleuses et travailleurs incluant des enfants, ont trouvé la mort dans l’effondrement des bâtiments du Rana Plaza, à Dacca au Bangladesh. Elles étaient majoritairement des femmes, travaillant dans des conditions inhumaines, contre des salaires de misère. Alors qu’elles et ils avaient été évacués d’urgence, la veille, en raison de fissures constatées dans les piliers du bâtiment, les milliers de travailleurs-ses des ateliers de confection qu’hébergeait le Rana Plaza, ont été contraint-e-s de regagner leur poste de travail ce jour-là, sous peine de perdre leur emploi.
Au lendemain du drame, les citoyen.ne.s ainsi que les organisations de défense des droits humains locales et internationales, dont les syndicats, la MMF internationale et le Collectif Ethique sur l’étiquette, se sont mobilisés pour que les pouvoirs publics et les multinationales adoptent des mesures permettant d’éviter de tels drames et pour qu’ils prennent leurs responsabilités sur deux points urgents : l’indemnisation des victimes et la sécurisation des usines de confection au Bangladesh.
Au Bangladesh, un accord contraignant pour garantir la sécurité des usines 1 a été signé par plus de 200 multinationales de l’habillement. Les parties signataires sont attachées à l’objectif d’une industrie du prêt-à-porter sûre et durable au Bangladesh où aucun travailleur n’ait à redouter des incendies, l’effondrement de bâtiments ou d’autres accidents évitables par des mesures de santé et de sécurité raisonnables. Les signataires de l’accord conviennent d’établir un programme de sécurité incendie et de sécurité des bâtiments au Bangladesh pour une période de cinq ans.
En décembre 2016 des centaines de travailleurs-ses ont participé à une grève non violente pour revendiquer une augmentation des salaires. Le gouvernement a refusé toute augmentation et la répression s’est abattue sur ceux qui ont essayé de s’organiser.
Ensemble, des institutions internationales, des ONG, des syndicats ont rejoint une campagne internationale pour les droits des travailleurs-ses et pour exiger l’arrêt de la répression des grévistes.
Le Bangladesh est le troisième fournisseur de l’Union européenne en articles d’habillement et de textile, derrière la Chine, à égalité avec la Turquie.
Il aura fallu attendre les 1 138 morts de la tragédie du Rana Plaza, où les ateliers de confection travaillaient pour des marques occidentales (Mango, Zara, El Corte Inglés, Benetton, Marks & Spencer, Primark, Sainsbury’s, Tesco, Carrefour, Auchan), pour que ces négociations aboutissent. Preuve que la « responsabilité sociale des entreprises » (RSE), basée sur une démarche volontaire des grands groupes, selon leurs propres critères, n’a pas permis de réelles avancées en matière de sécurité et d’amélioration des conditions de travail dans le secteur du textile.
Les multinationales défendent-elles l’intérêt public ?
A la différence d’une démarche RSE, qui exclut en général tout contrôle et tout acteur extérieur aux directions d’entreprise, ce nouvel accord intègre des syndicats, dont le réseau syndical international IndustriAll, qui regroupe notamment les fédérations textile de la CGT et de la CFDT ainsi que des organisations non gouvernementales, regroupées au sein de la campagne « Clean Clothes » (vêtements propres).
De façon systématique, les entreprises font passer leurs profits économiques avant l’environnement et les droits humains. De nombreuses STN sont plus riches et plus puissantes que les États qui devraient les réglementer dans l’intérêt général. Trop souvent, elles s’emparent des espaces de décision politique, comme les négociations de l’ONU, et obtiennent ainsi que les politiques environnementales s’adaptent à leurs intérêts. Les transnationales sont très bien protégées et il est rare qu’elles soient tenues pour responsables de leurs abus.
Depuis des décennies, dans le monde entier, des communautés résistent aux conditions que cherchent à leur imposer les multinationales sur leurs territoires et leurs lieux de travail. Ces entreprises pratiquent une violation systémique de droits humains et d’impunité. Elles sont protégées par une impunité qui assure la légitimité et la légalité de leurs activités. Cette impunité a été mise en place à travers les accords de libre-échange et d’investissement, l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les politiques d’ajustement structurel imposées par le Fonds monétaire international ( FMI), la Banque mondiale et d’autres institutions financières, et aussi à travers la promotion agressive des partenariats public-privé (PPP).
Une nouvelle forme de colonisation ?
C’est le système du « règlement des différends entre investisseurs et États », mécanisme d’arbitrage privé qui autorise les multinationales à poursuivre des gouvernements lorsqu’elles estiment que leurs profits futurs sont menacés par de nouvelles mesures ou politiques renforçant les protections sociales et environnementales.
Ce mécanisme neutralise ainsi la fonction même de l’État, dont la responsabilité première est de défendre l’intérêt public et de protéger le bien-être des citoyens et celui de la planète contre les intérêts privés.
Les délocalisations sont constantes, lorsque le Bangladesh mène des actions pour les salaires et les droits du travail, les multinationales trouvent d’autres sous-traitants, au Yemen, au Cambodge, en Birmanie, en Chine, ou ailleurs…
Les grands distributeurs de vêtements comme H & M, Zara, Primark, Mango, ne créent pas d’usines et n’en possèdent pas sur place. Ils se limitent à donner du travail à façon à des entrepreneurs locaux. La confection de vêtements ne demande que des machines simples et des apprentissages limités. Cette activité peut d’ailleurs s’exercer dans de petits ateliers, voire à domicile. Concentration et accroissement des quantités n’ont pas eu d’effet majeur sur les techniques de travail utilisées et imposent surtout la réunion d’un grand nombre de travailleurs. D’où la recherche de locaux, à moindre coût, sans autres caractéristiques que l’économie logistique que l’on trouve dans les bâtiments à étages.
L’usine est donc le principal capital investi et le principal moyen de production.
Le Rana Plaza n’est pas le résultat d’une délocalisation de l’industrie textile. C’est la substitution à cette industrie d’une forme de production dont les très bas salaires ou les mauvaises conditions de travail ne sont qu’un des aspects !
La réalité, est que l’on a concentré des milliers de travailleurs pauvres dans des lieux où l’investissement technique et capitaliste ne suffit même pas à inciter les donneurs d’ordre à adopter une logique industrielle. La non-industrialisation des pays où les donneurs d’ordre se servent est une nouvelle forme de colonisation. Les multinationales et les consommateurs internationaux tendent un piège aux pays pauvres par la production de masse sans industrialisation.
Le nouvel eldorado de l’industrie mondiale du textile ? Là où les bénéfices pour les multinationales sont les plus importants.
Les ouvrier.ère.s du textile sont évaluées aujourd’hui à 300 000, contre 140 000 en 2013, selon les chiffres officiels.
Partant de loin, la Birmanie est aujourd’hui classée par la Banque mondiale au 4e rang des pays connaissant la plus forte croissance. Les salaires bas permettent jusqu’ici à la Birmanie de concurrencer des pays voisins comme le Vietnam ou le Cambodge, qui ont déjà largement développé leur industrie textile.
L’industrie textile comptabilise plus de 300 usines. Chaque mois, entre 6 et 8 nouvelles usines textiles sont mises en place, ce qui accroit la compétition pour le recrutement de travailleurs qualifiés étrangers. Très récemment des usines de vêtements de sports ont également vu le jour.
Les investissements étrangers dans ce secteur proviennent essentiellement de Chine, du Japon, de Corée et de Thaïlande. Depuis 2012, plusieurs marques occidentales ont diversifié leur chaine de production en Birmanie : Adidas, H&M, Gap, Top Shop… Gap Inc. a signé un contrat d’approvisionnement avec une usine sud-coréenne implantée en Birmanie.
L’industrie textile thaïlandaise augmente sa production en faisant appel à des clandestines, souvent birmanes, qui travaillent dans les pires conditions. En Thaïlande, les réfugiés birmans fabriquent des vêtements des grandes marques sportives (Nike par exemple) dans des conditions scandaleuses.
Dans une zone de non-droit adossée à la frontière birmane, des milliers de réfugiés fabriquent dans des conditions d’un autre âge les collections de vêtements sportifs qui se vendront à prix d’or en Occident dans quelques semaines.
Les 200 usines textiles de la zone frontalière, qui emploient 30 000 personnes, profitent de cette main-d’œuvre désespérée. Leurs ouvriers décrivent des cadences terribles pour remplir les commandes de grands noms internationaux.
L’Ethiopie, la nouvelle usine du monde ?
En Ethiopie les petites mains de H&M ou Calvin Klein gagnent 23 euros par mois. L’Ethiopie est devenue la « nouvelle usine du monde » 2 les fabricants ont choisi de s’implanter dans le second pays d’Afrique le plus peuplé.
L’industrie du textile mondialisée cherche à générer des bénéfices toujours plus importants pour ses actionnaires, elle se délocalise d’un pays à l’autre, là où la réglementation favorise une exploitation toujours plus importante qui ne permet pas la survie. Là où les salaires sont les plus bas.
La fin de l’impunité
Depuis cette catastrophe, nous avons décidé d’unir nos voix tous les 24 avril pour exiger la fin de l’impunité pour les entreprises multinationales. Nous avons décrété que ce jour là, où nous commémorerons le souvenir des victimes, sera aussi un jour de solidarité et d’action mondiale pour dénoncer l’exploitation du travail des femmes et des enfants au sein des dynamiques économiques mondialisées.
L’industrie du textile mondialisée cherche à générer des bénéfices toujours plus importants pour ses actionnaires, elle se délocalise d’un pays à l’autre, là où la réglementation favorise une exploitation toujours plus importante qui ne permet pas la survie.
En 2022, nous avons été contactées, à travers le secrétariat international de la MMF, situé en Turquie, par l’Association Action Aid qui est en contact avec les ouvrières de la Société Flomar dont Yves Rocher détient, 51% du capital.
Nous avons décidé d’ajouter cette action de résistance des ouvrières turques, face à la multinationale Yves Rocher, à notre journée contre les multinationales et leur exploitation d’une main d’œuvre vulnérable, corvéable à merci, très peu payée et travaillant dans des conditions d’insécurité de précarité et d’exploitations extrême.
Nous sommes également solidaires des ouvrières marocaines qui viennent travailler dans l’agriculture extensive de l’Andalousie, qui sont soutenues par des organisations féministes espagnoles et marocaines qui dénoncent la précarité, leur exploitation et les violences sexistes et racistes que leur font subir les machistes locaux.
Nous sommes vigilantes à toutes les formes d’exploitation des ouvrier.e.s. majoritairement des femmes et des enfants par les multinationales, quel que soit leur secteur d’activité.
Les multinationales sont responsables de l’exploitation humaine et des catastrophes majeures qui, avec la complicité des Etats, détruisent l’habitat de milliers de personnes et empoisonnent la vie de millions d’autres.
Nous défendons le pouvoir acheter des vêtements fabriqués dans le respect de la dignité des femmes, fabriqués sans le travail des enfants, sans aggravation de la crise écologique, sans pollution.
Nous défendons le droit, en tant que consommatrices, d’être informées des conditions de production des vêtements que nous achetons.
Nous défendons que le revenu du travail revienne aux travailleuses et aux travailleurs et non aux actionnaires.
Nous défendons le droit de s’organiser syndicalement afin de faire respecter les droits du travail,
Nous demandons à l’Union Européenne de faire respecter les conditions fixées par l’OIT (Organisation Internationale du Travail) qui permettent de bénéficier d’avantages tarifaires dans les échanges commerciaux avec les pays en développement.
Notes et références
[…] de la Marche mondiale des femmes (MMF)1 suite au drame du Rana Plaza au Bangladesh (lire notre récent article ici). Le 24 avril 2013, à Dacca la capitale d’un des États les plus pauvres de la planète, un […]