Vinod Mubayi, extrait d’un texte paru dans INSAF, no. 219, juin 2020
À une époque où la pandémie d’infection en Inde prend de l’ampleur, les actes de cruauté du régime semblent déconcertants. Sont-ils l’expression d’un gouvernement à la fois insensible et incompétent, dont les sbires se contentent de projeter l’image d’un leader omnipotent et omniscient, un gourou divin au-delà de la critique humaine ? Ou s’agit-il plutôt d’une stratégie d’un éventuel gouvernement dictatorial déterminé à écraser toute manifestation d’opposition dans sa marche vers l’État fondamentaliste Rashtra hindou ? Compte tenu des déclarations et des silences des porte-parole du gouvernement sur ces questions, cela pourrait être une combinaison des deux interprétations.
Attaques contre les travailleurs migrants
On connaît le sort des nombreux millions de travailleurs qui ont migré des villages éloignés de l’arrière-pays rural vers les grandes villes métropolitaines pour effectuer un travail essentiel dans le secteur de la construction et une myriade d’autres professions à bas salaires sans sécurité d’emploi. Voilà qu’ils ont été soudainement informés par le Premier ministre à 20 heures le 24 mars qu’ils devaient réinventer leur vie en moins d’une journée. On parle de gens qui gagnent leur pitance à chaque jour et dont les familles restées dans les zones rurales dépendent. Dans ce contexte, le gouvernement a été à la fois insensible, impitoyable et incompétent. Tous les transports à longue distance ayant été annulés lorsque le verrouillage a commencé, les travailleurs migrants ont commencé à retourner dans leurs villages, à des centaines de kilomètres dans certains cas, certains mourant sur les routes. La mauvaise publicité semble avoir provoqué un changement des autorités de certains États. Des annonces de bus et de trains ont été faites, mais elles étaient organisées de manière chaotique, de sorte que des milliers de migrants pauvres se sont mis à risque faute de « distanciation sociale » dans le processus. Peu de temps après, le ministère des Affaires intérieures dirigé par Amit Shah a fait un saut périlleux et a interdit tout mouvement interétatique. Contraints de fournir de la nourriture et un abri aux migrants désespérés désireux de rentrer dans leur village natal, les autorités ont fait un autre virage après quelques jours, mettant des trains à disposition mais obligeant les travailleurs sans le sou, qui n’avaient reçu aucun salaire depuis le verrouillage, à payer. Lorsque cet état de choses misérable a été révélé dans les médias, le gouvernement a commencé à mentir en déclarant ouvertement que le centre paierait 85% du prix et le gouvernement de l’État le reste. Toute cette séquence mériterait d’être décrite comme une farce de cinéma de basse qualité, si ce n’était des tragédies infligées aux malheureux migrants. Cet aspect particulier des actes du régime a été couvert en détail par les médias échappant au projet fondamentaliste. Il semble que l’impact cumulatif de ces violations ait finalement réveillé la Cour suprême qui avait jusqu’à présent fait la sourde oreille aux pétitions urgentes de juristes demandant que le gouvernement soit tenu pour responsable de sa négligence totale de la souffrance d’un segment vulnérable de la population du pays.
La législation du travail anéantie
Plusieurs États, notamment UP, MP, Karnataka et quelques autres, ont annoncé qu’ils aboliraient les lois du travail qui protégeaient les droits des travailleurs afin de, disent-ils, « stimuler la croissance industrielle ». Parmi celles-ci figure une proposition d’allonger la journée de travail de 8 à 12 heures, comme cela était le cas dans le capitalisme du XIXe siècle. Dans l’analyse marxiste du processus de travail dans une économie capitaliste, le capitaliste extrait la plus-value du travail effectué par le travailleur. Dans le Capital, Marx déclare que la plus-value produite par la prolongation de la journée de travail est une « plus-value absolue » qui prend la forme d’une surexploitation. Le gouvernement indien actuel veut ramener les usines et les travailleurs indiens dans l’Angleterre du XIXe siècle décrite avec tant d’éloquence par Marx. En fait, sous le prétexte spécieux de « réforme » et en essayant de relancer l’économie de son état lamentable actuel, le gouvernement utilise les arguments avancés par les propriétaires du capital, utilisant l’excuse de la pandémie pour ouvrir les portes à une intensification de l’exploitation des travailleurs.
Criminaliser la dissidence
Une fabriquée a été lancée en 2018 avec l’arrestation de plusieurs militants dalits accusés d’être des « terroristes-maoïstes urbains ». En réalité, les militants arrêtés comprenaient plusieurs personnes âgées, dont un octogénaire et un de 90 ans, handicapés et confinés dans un fauteuil roulant. Cela s’inscrivait dans une approche hautement répressive, en fonction de la loi « sur la prévention des activités illégales » (UAPA), qui autorise l’emprisonnement des personnes sans caution ni procès pendant deux ans. Aujourd’hui sous le régime Modi, la situation s’aggrave. Dans la nuit du 5 août 2019, sans la moindre prétention de consultation des législateurs ou du public, l’État du Jammu-et-Cachemire a été arbitrairement amputé de deux territoires de l’Union. L’article 370 de la Constitution de l’Inde qui protégeait le statut de J&K a été dissous et la vie dans la région s’est interrompue. Des milliers d’arrestations ont suivi, y compris parmi les dirigeants politiques, commerciaux et intellectuels de l’ancien État. Les liens de communication ont été interrompus. Des cachemiris qui n’ont jamais commis de crime continuent de languir en prison, à l’intérieur et à l’extérieur de l’ancien État, sous des accusations sévères telles que la sédition. Le gouvernement n’a aucune base légale pour les garder en prison. Les droits fondamentaux de parole et de réunion, garantis par la constitution, ne signifient pas grand-chose dans l’Inde d’aujourd’hui si la police peut vous mettre en prison simplement pour qui vous êtes. En décembre 2019, la loi anticonstitutionnelle sur la citoyenneté (CAA) a été adoptée et de vastes protestations démocratiques se sont rapidement propagées dans tout le pays. Ces manifestations totalement pacifiques, dans la tradition non violente gandhienne, étaient dirigés principalement par des femmes, et en particulier des jeunes femmes musulmanes, qui craignaient l’impact de la CAA et de son corollaire, le Registre national des citoyens (NRC).
Plein feu contre les musulmans
Après que le BJP a eu perdu les élections de Delhi au profit de l’AAP au début de février 2020, l’attaque contre ces manifestants, et contre les minorités musulmanes à Delhi en général, a été orchestrée par des discours provocateurs et incendiaires de politiciens du BJP demandaient à leurs partisans de « tirer sur les traîtres ». Ce fut le signal de pogroms antimusulmans, appelés à tort « émeutes » dans les médias. Honteusement, les dirigeants de l’AAP sont restés passif, sans oser élever la voix sur ce qui était fait à un segment de la population. Après les violences qui ont mené à un grand nombre de tués et de blessés majoritairement musulmans, la police de Delhi, qui relève du gouvernement central, a commencé à procéder à des arrestations.
En règle générale, la plupart des musulmans arrêtés sont des universitaires d’institutions prestigieuses telles que Jamia Millia. Un exemple est l’étudiante au doctorat de Jamia, Safoora Zargar. Celle-ci a été interrogée pendant plusieurs heures avant d’être emprisonnée en vertu de l’UAPA. Zargar qui est enceinte a été autorisée à passer deux appels de cinq minutes chacun à son mari et à son avocat. La pandémie et le verrouillage n’ont rien changé à la vague d’arrestations de personnes victimes de violences. Des intellectuels et des activistes bien connus, les professeur Anand Teltumbde et Gautam Navlakha, également des personnes âgées, ont été arrêtés au milieu du premier confinement et emprisonnés malgré leur grande vulnérabilité, en raison de leur état de santé dans un texte où le coronavirus sévit dans les prisons. La police de Delhi n’a toujours pas inculpé les auteurs de violences sur le campus de la JNU en janvier où plusieurs étudiants ont été blessés, dont le président du syndicat étudiant.