Iran : menaces états-uniennes

Yassamine Mather, Weekly Worker, le 11 mars 2021 (traduction A l’Encontre)

Comme prévu, les préparatifs des négociations qui pourraient conduire à une relance de l’accord sur le nucléaire iranien ont progressé à un rythme lent, l’administration Biden et la République islamique d’Iran proférant toutes deux des menaces et des accusations, ce qui fait partie de la danse habituelle de pré-négociation. Cela dit, la semaine dernière, nous avons assisté à de nouvelles menaces militaires contre l’Iran, ce qui pourrait annoncer l’une des deux alternatives suivantes: soit les préparatifs atteignent un stade crucial, soit la nouvelle administration de Washington, encouragée par Riyad et Tel-Aviv, adopte une position plus agressive contre l’Iran.

Tout d’abord, la publication du rapport de renseignement du Département d’État sur l’assassinat de Jamal Khashoggi en octobre 2018. Il identifie le prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS) d’Arabie saoudite comme responsable de l’approbation de l’assassinat du journaliste du Washington Post; l’équipe qui a perpétré le meurtre lui rendait directement compte. Pourtant, l’administration Biden n’a pris aucune mesure contre le prince héritier ou le royaume saoudien.

Bien sûr, il ne fait aucun doute que d’autres pays de la région, dont l’Iran, ont tué, torturé et emprisonné des journalistes, des écrivains et des chroniqueurs, mais ce qui rend cette affaire particulièrement flagrante, ce n’est pas seulement la manière brutale dont Khashoggi a été tué et démembré, mais le fait que le pays même qui prétend défendre les «droits de l’homme» au Moyen-Orient choisit de fermer les yeux sur le principal coupable – et, bien sûr, ses alliés lui ont emboîté le pas. Tout cela tourne en dérision leurs prétentions à défendre les droits fondamentaux, sans parler de la démocratie.

A suivi la réponse passive de l’administration américaine aux menaces directes proférées par le ministre israélien de la Défense, Benyamin Gantz, contre l’Iran. Le 4 mars, celui-ci a déclaré: «L’armée israélienne met à jour ses plans opérationnels en vue d’une éventuelle frappe à venir sur le site nucléaire de la République islamique.» Réitérant cette menace dans un entretien accordé à Fox News, il a été catégorique: «Si le monde les arrête avant, c’est très bien. Mais si ce n’est pas le cas, nous devons être indépendants et nous défendre par nous-mêmes.» Selon Gantz, Israël a identifié un certain nombre de cibles et est prêt à les détruire afin d’empêcher l’Iran de «développer des armes nucléaires». Bien sûr, une telle opération ne pourrait être entreprise sans l’approbation des États-Unis et, même sous Trump, les États-Unis n’ont montré aucun appétit pour soutenir ce qui pourrait devenir une guerre totale au Moyen-Orient.

La question est de savoir pourquoi Israël s’est jusqu’à présent abstenu d’une telle attaque. Après tout, Israël a bombardé un réacteur nucléaire irakien près de Bagdad en juin 1981. Un nombre non divulgué de chasseurs-bombardiers F-15 et F-16 ont réussi à détruire le réacteur dans ce qui a été baptisé l’Opération Opera («Osirak»). Depuis lors, la puissance aérienne israélienne s’est considérablement renforcée et les renseignements sur les installations nucléaires de l’Iran ne manquent pas (bien que rien ne prouve que ce pays soit capable de produire des armes nucléaires actuellement). Ce qui a jusqu’à présent dissuadé les Israéliens, c’est la crainte de représailles de la part des alliés de l’Iran au sein du Hezbollah libanais et de ce qui reste de ses forces en Syrie.

Contrairement à ce que disent les forces d’opposition iraniennes de droite et les partisans de «gauche» d’un «changement de régime», cela n’a pas grand-chose à voir avec les ambitions religieuses de la République islamique (propagation de l’islam chiite dans la région) et a tout à voir avec la volonté de se prémunir contre les raids aériens israéliens. Ce n’est pas parce qu’un État est réactionnaire que nous devons supposer qu’il fait nécessairement plus qu’essayer d’assurer sa survie. Les relations de la République islamique avec les partis politiques chiites, y compris le Hezbollah, avaient initialement pour but de diffuser l’islam chiite, mais aujourd’hui, des facteurs plus pragmatiques déterminent sa politique étrangère. Sinon, comment expliquer le soutien historique de l’Iran à l’Arménie chrétienne contre l’Azerbaïdjan musulman?

Il y a également un regain de tension entre l’Iran et l’Arabie saoudite autour du Yémen. Le week-end dernier (6-7 mars), le royaume saoudien a lancé des raids aériens contre Sanaa, la capitale yéménite, tandis que les forces houthies, soutenues par l’Iran, seraient à l’origine d’attaques de missiles et de drones contre des installations pétrolières saoudiennes.

Négociations

Tout cela ne signifie pas que les négociations secrètes entre l’Iran et les Etats-Unis ne progressent pas. Cette semaine, le ministre irlandais des Affaires étrangères, Simon Coveney, a rencontré le président iranien, Hassan Rohani, à Téhéran, dans le cadre de ce qui était supposé être des efforts pour relancer l’accord nucléaire. Le président français Emmanuel Macron s’est également porté volontaire pour servir d’intermédiaire, bien qu’il ne soit pas certain qu’il ait joué un rôle quelconque jusqu’à présent.

Cette situation a entraîné une intensification du lobbying dans la capitale des Etats-Unis. Le 8 mars, le sénateur républicain en vue Bill Hagerty [du Tennessee, ex-ambassadeur au Japon sous Trump], qui siège à la commission sénatoriale de politique étrangère, a imputé à la «politique laxiste de Biden à l’égard de Téhéran» les attaques de drones houthis contre des champs pétrolifères saoudiens. Un jour plus tôt, il avait tweeté:

«Encore une frappe de missiles contre l’Arabie saoudite aujourd’hui, avec toutes les caractéristiques d’une attaque soutenue par l’Iran. Il semble que le désir de @POTUS [président des US] Biden d’alléger les sanctions contre Téhéran encourage les mollahs à intensifier leur agression contre nous et nos alliés.»

Le 9 mars, a été publiée une lettre signée par 70 membres républicains et 70 membres démocrates de la Chambre des représentants, adressée au secrétaire d’Etat Antony Blinken. Cette initiative bipartisane appelle effectivement à un accord visant à rétablir les limites du programme nucléaire iranien, mais elle ajoute également de nouvelles exigences: l’Iran devrait non seulement réduire son programme de missiles balistiques, mais aussi modifier à son «comportement malveillant dans tout le Moyen-Orient».

Bien que je sois certainement une opposante aux programmes nucléaire et de missiles de l’Iran et à sa politique au Moyen-Orient, l’ignorance (ou l’hypocrisie pure et simple) de la déclaration ci-dessus nous amène à nous demander ce que la lettre nous indique réellement sur la politique étrangère de la puissance hégémonique mondiale.

Malgré toutes ses mesures réactionnaires, y compris la répression sévère du peuple iranien et la poursuite des politiques économiques néolibérales, ce n’est pas l’Iran, mais l’administration des Etats-Unis qui est sortie unilatéralement de l’accord sur le nucléaire iranien – non pas parce que c’était un «mauvais accord», comme Trump n’a cessé de le dire, mais parce que c’était l’accord de Barack Obama. Toute tentative de renégociation ne peut ignorer ce fait fondamental.

Le programme de missiles balistiques de l’Iran est déplorable, principalement parce qu’un pays qui est confronté à une grave crise économique, aggravée par le Covid-19 et les sanctions imposées par les Etats-Unis, ne devrait pas prendre une telle voie. Cependant, le programme de missiles est une forme d’assurance. Lorsqu’un régime est menacé d’attaque, il prend des mesures qui lui permettent de contre-attaquer.

Venons-en ensuite à la politique régionale de l’Iran. Soyons très clairs sur ceux qui ont créé une situation où l’Iran est devenu, au moins nominalement, un pays puissant au Moyen-Orient. Ce sont les Etats-Unis, avec leurs guerres inachevées en Irak et en Afghanistan. L’Iran a obtenu un avantage sans précédent, puisque deux de ses ennemis régionaux – les talibans en Afghanistan [en fin 2001] et Saddam Hussein en Irak – ont été éliminés grâce à l’action militaire américaine. Inévitablement, l’Iran est devenu relativement plus puissant dans la région, ce qui a déclenché l’alarme à Riyad et à Tel-Aviv et a renforcé la détermination saoudienne et israélienne à provoquer un conflit avec Téhéran. Le potentiel de guerre a été exacerbé par les ventes d’armes des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de leurs alliés de l’OTAN. S’attendaient-ils à ce que la République islamique ne fasse rien?

En résumé, il est peu probable que des exigences supplémentaires soient acceptables pour l’Iran et quiconque souhaite sérieusement relancer le JCPOA –Accord de Vienne sur le nucléaire iranien ou plan d’action conjoint, signé à Vienne, le 14 juillet 2015 – le sait. Toutefois, tout cela pourrait n’être qu’une partie du marchandage avant toute reprise des pourparlers officiels.

Mais, comme je l’ai déjà dit, à moins d’un changement d’avis de dernière minute du guide suprême [l’ayatollah Ali Khamenei], l’Iran pourrait connaître une élection présidentielle avec un candidat militaire de droite soutenu par les Gardiens de la révolution contre un religieux conservateur. L’administration Biden aurait beaucoup de mal à amener le gouvernement qui en résulterait à la table des négociations. Le temps presse.