Par Hélène Angelou, Révlution permanente, publié le 23 avril 2020
Une double crise sanitaire et économique aux conséquences déjà très lourdes pour les travailleurs
Avec plus de 25 000 morts, l’Italie compte parmi les pays les plus touchés par le désastre sanitaire. La pandémie y a été particulièrement virulente, notamment dans le Nord du pays. La gestion de crise y a été catastrophique, combinant des infrastructures hospitalières insuffisantes, dans la lignée des politiques néolibérales de réduction des services publics, une pénurie de matériel sanitaire et le maintien de l’activité économique dans les régions les plus touchées.
A cette crise sanitaire s’ajoutent des difficultés économiques déjà importantes. « Alors que l’Italie affronte les ravages du virus, le Sud, moins développé, affronte aussi un carnage économique, jamais vu depuis l’après-guerre », affirme le New York Times. En effet, déjà marqué par des difficultés économiques structurelles, largement aggravées par les politiques austéritaires depuis 2008, le Sud de l’Italie a un taux de chômage avoisinant les 18%, et les 50% en ce qui concerne le chômage des jeunes. Une précarité renforcée par l’importance de l’économie informelle, occupant 3,5 millions de travailleurs, particulièrement vulnérables. Oublié de la croissance économique du pays, le Sud est laissé pour compte et pâtit d’une insuffisance d’infrastructures publiques, aujourd’hui mise à nu dans le secteur sanitaire. « Le système sanitaire dans le sud n’arrive pas à la cheville de celui du nord », déclare ainsi Giovanni Rezza, directeur du département des maladies infectieuses à l’Institut National de Santé, au New York Times. « Si la vague qu’ils ont vécu au Nord arrivait ici, nous ne serions pas en mesure de la supporter », abonde le Dr. Pino Merlo de l’hôpital Cetraro.
Si l’Italie du Sud est donc pour le moment relativement épargnée par la pandémie, le coût de la crise économique risque lui de peser très lourd sur cette économie déjà fragilisée. Au niveau macro-économique, l’Italie est dans l’œil du cyclone. Alors que de nouveaux phénomènes renforcent l’imminence de la crise économique mondiale, à l’image de l’effondrement du cours de pétrole, l’économie italienne est particulièrement affaiblie. Le taux souverain de l’Italie a ainsi doublé depuis le début de la crise sanitaire.
C’est dans ce contexte économique tendu que se pose la question du déconfinement. Alors qu’à échelle européenne les pays se livrent une concurrence à qui déconfinera le premier pour en tirer les avantages économiques en accédant aux parts de marché, l’Italie a annoncé un déconfinement pour le 4 mai. Comme en France, le risque est grand de voir l’épidémie se propager davantage après un déconfinement mal préparé, et encore plus dans le Sud du pays jusque-là peu touché.
Tensions sociales et crispations politiques
La gestion catastrophique de la crise a entraîné en Italie, comme ailleurs, une montée des tensions sociales. Entièrement guidée par le maintien de l’activité économique et la recherche des profits pour le grand patronat, cette gestion a mis sur le devant de la scène les intérêts antagoniques des travailleurs et du patronat.
« Depuis le début de la crise sanitaire, la classe ouvrière s’est – de manière souvent inattendue – mobilisée pour se défendre elle-même […]. Les ouvriers en particulier dans le Nord de l’Italie se sont mobilisés. Il y a eu, il y a deux semaines, des grèves spontanées qui ont impliqué des centaines d’usines de métallurgie en particulier des aciéries mais aussi des usines du secteur automobile, comme FCA (FIAT Chrysler Automobiles) par exemple avec, le 25 mars, un mouvement plus important et généralisé, en Lombardie et dans la région de Rome » , expliquait Massimo Civitani dans une interview à Révolution Permanente le 5 avril.
Parallèlement, des révoltes ont éclaté dans le Sud de l’Italie, confronté à la misère et de nombreuses mutineries ont eu lieu dans les prisons. La situation risque de devenir explosive, nous recevons des tonnes de messages de personnes désespérées qui nous demandent de l’aide parce qu’elles n’ont déjà plus d’argent pour acheter de la nourriture », s’inquiétait le vice-maire de Naples Enrico Panini, rejoint par le ministre de la Cohésion sociale en charge du Mezzogiorno, Giuseppe Provenzano, dans le journal La Répubblica : « J’ai peur que les préoccupations qui minent de nombreuses couches de la population, concernant leur santé, leurs revenus ou l’avenir, ne se transforment en colère et en haine si la crise se prolonge ».
Face à cette montée de la conflictualité sociale et devant la crise économique, les crispations politiques s’avivent. La bourgeoisie italienne elle-même se polarise entre une tendance nationaliste, incarnée par la Ligue, et une tendance plus fidèle aux principes de l’UE. Sous pression, le gouvernement Conte a peu de marge d’action. La montée du ressentiment envers l’UE, responsable avec la Troïka des plans d’ajustement structurel ayant appauvri le pays, comptant parmi les « PIGS », imprègne les débats politiques.
L’UE devant une nouvelle crise de la dette
L’Italie, troisième économie de l’UE, est aujourd’hui au cœur des débats quant à la gestion de la crise économique par l’UE. Pour rappel, neuf pays européens (l’Italie, la France, l’Espagne, la Grèce, la Belgique, l’Irlande, le Luxembourg, le Portugal et la Slovénie) défendent l’option des « coronabonds », une forme de mutualisation de la dette, qui permettrait aux pays les plus vulnérables de bénéficier d’une baisse des taux d’intérêt grâce à la stabilité de pays comme l’Allemagne. Les pays dits « du Nord » s’opposent à cette option, notamment les Pays-Bas qui représentent la position la plus dure. Ces derniers jours cependant, l’Allemagne a fait des « gestes d’ouverture » se disant prête à aider l’Italie, sans que cela signifie complètement qu’elle avance vers une forme d’instauration de « corona bonds » [au moment où nous écrivons la réunion virtuelle de chefs d’Etat européens, où Merkel devrait clarifier sa position, n’est pas encore finie].
Produits de ces contradictions d’intérêts nationaux, les mesures communes envisagées ne prévoient en fait rien d’autre que la mobilisation de diverses institutions comme la banque européenne d’investissement ou la commission européenne afin de lever des capitaux sur les marchés financiers pour les prêter aux pays en difficulté. Ces nouveaux prêts, qui viendront donc alourdir les dettes actuelles de façon asymétrique (quels que soient les taux du reste) ne préserveront donc absolument pas l’UE d’une nouvelle crise des dettes souveraines. Enfin, pour ce qui est de la mobilisation du Mécanisme Européen de Stabilité, il s’agit en fait d’une mobilisation politique de façade, Italiens et Néerlandais s’étant mis d’accord sur une intervention de l’institution sans contrepartie de réformes mais limité à 2% du PIB.
Alors que l’Italie est secouée par la colère sociale et par un fort sentiment de méfiance à l’égard des institutions européennes, ces mesures, autour desquelles s’amorcent de nombreux conflits de moyen terme entre les différentes puissances européennes, s’annoncent politiquement risquées. Les conséquences dramatiques des politiques d’austérité, comme on a pu le voir en Grèce par exemple, rendent en effet les populations particulièrement hostiles à ces politiques de la misère. Mais en même temps dans les pays du Nord les gouvernements sont sous pression pour ne pas apparaitre comme les financeurs de pays du Sud soi-disant « trop dépensiers ».