
Najwa lubbad
Mes parents sont morts avant de voir se réaliser leur rêve le plus cher : rentrer à Ashkelon, leur ville natale qu’ils avaient été forcé·es de fuir en 1948. Moi, depuis toute petite, je rêve de liberté. L’occupation et les attaques israéliennes ont rendu nos rêves caducs. Après le 7 octobre, j’ai perdu tout ce qu’il y avait de beau dans ma vie : mes proches, ma maison, ma sécurité.
J’ai passé les 48 premiers jours de la guerre dans le nord de Gaza, sans électricité, sans eau ni nourriture, dans la peur quotidienne des bombardements. C’est par une sorte de miracle que je m’en suis sortie. Un jour, j’ai avalé du sable et des gravats dans mon sommeil. Un autre, les meubles, les portes et les fenêtres se sont mis à voler autour de moi. Dans la ville, il n’y avait aucune ambulance. Mais le plus dur a été de voir autant de cadavres déterrés des décombres et jetés dans des carrosses comme l’on fait avec les animaux. Nous avons donc été obligé·es de prendre la route vers un avenir incertain.
C’est à la marche que nous avons rejoint le refuge le plus proche, un abri de l’UNRWA. Les lieux étaient bondés, tellement que nous avons passé les deux premières journées dans les escaliers. Je ne l’oublierai jamais.
Puis, nous avons fui vers le centre de Gaza à la recherche d’un lieu plus sûr, à bord d’un char, sous les bombardements et la menace des tanks qui, au milieu de la route, tiraient sans discernement. Il a fallu attendre cinq heures dans un point de contrôle israélien, appréhendant à chaque instant le moment où l’on nous ordonnerait de nous déshabiller.
Au centre d’Al Zawyada, nous étions vingt-deux dans une chambre de quatre par cinq mètres. Nous dormions à même le sol. Nous manquions de tout. Puis, nous avons reçu l’ordre de nous rendre à Rafah.
Lorsque j’ai vu les nouvelles l’autre jour à propos d’enfants morts de froid, j’ai repensé à mon arrivée à Rafah, le 9 janvier 2024. Nous venions de débarquer et n’arrivions pas à organiser nos bagages dans la tente, épuisé·es par le trajet et les bombardements. Après un moment, les enfants se sont mis à pleurer et à trembler, surtout les bébés. Ils souffraient de fièvre, de maux de tête et de douleurs au ventre. Il nous a fallu deux heures pour les réchauffer.
La dernière étape m’a amenée en Égypte pour les traitements de ma sœur qui souffre d’un cancer du sein. Depuis que l’armée israélienne a détruit tous les centres d’oncologie, elle n’était plus en mesure de recevoir les soins nécessaires à Gaza.
Il a fallu attendre six mois pour le permis de voyage, puis nous avons passé les huit premiers mois à l’hôpital d’Al-Amalah Al Kubra, qui n’était pourtant pas équipé pour traiter des cas de cancer, surtout que la tumeur de ma sœur avait beaucoup progressé. La loi égyptienne nous interdisait de quitter l’établissement. Grâce à une connaissance, ma sœur a été transférée dans un hôpital près du Caire où elle continue d’être soignée. Mais je me désole lorsque je pense aux autres Gazaoui·es atteint·es de cancer qui n’auront pas eu cette chance.
1er janvier 2025
Jusqu’en 2007, Najwa Lubbad a été responsable des communications dans le cadre d’un programme de formation professionnelle pour les femmes de Nuseirat et de Jabaliya. Le projet était coordonné par Alternatives et l’Entraide universitaire mondiale du Canada (EUMC) et financé par le gouvernement du Canada.