Alexis Gacon et Marie Astier (Reporterre), 7 novembre 2020
Réintégrer l’accord de Paris
« Le défi consiste à remédier aux lacunes et faiblesses que Donald Trump a créées ou exacerbées, comme le retrait de l’accord de Paris, ou l’affaiblissement des règles sur les émissions de gaz à effet de serre », estime Ann Bostrom, professeur en politiques environnementales de l’Université de Washington, à Seattle (État de Washington). Ce devrait donc être la priorité de l’administration Biden, selon Mme Bostrom. Au lendemain de l’élection étasunienne, mercredi 4 novembre, les États-Unis sont officiellement sortis de l’accord de Paris, trois ans après l’avoir notifié. L’accord vise, rappelons-le, à limiter à 1,5 °C l’augmentation de la température moyenne sur Terre par rapport à l’ère préindustrielle.
Un départ qui n’avait pas eu les effets que Donald Trump escomptait, car le pays est demeuré le seul à l’avoir quitté. Mais pendant les années d’attente entre l’annonce et la sortie effective, les États-Unis ont pu perturber les négociations climatiques à l’ONU, note Lucile Dufour, responsable des politiques internationales au Réseau action climat, « par exemple, sur les financements apportés au Fonds vert », fonds qui permet aux pays les plus vulnérables de recevoir des aides des pays les plus développés pour l’atténuation ou l’adaptation au changement climatique. Sur cette période, les États-Unis n’ont aussi pas proposé, à l’instar des pays membres de l’accord, de contribution nationale à la réduction des gaz à effet de serre (GES), alors qu’ils sont pourtant le deuxième pays émetteur dans le monde, après la Chine.
Si l’engagement de Joe Biden de réintégrer l’accord se confirme, il pourrait le faire dès février, un mois après son entrée en poste. En réintégrant l’accord, les États-Unis vont devoir élaborer une contribution nationale à la réduction des GES ambitieuse et équitable, avant la COP26, qui soit compatible avec les objectifs de l’accord.
Sauver l’un des poumons du pays
Point positif, la plupart des dégâts républicains de ces quatre dernières années se sont faits par décrets. Ceux-ci pourraient donc être assez aisément supprimés par le nouveau locataire de la Maison-Blanche. C’est notamment le cas d’une décision prise in extremis à la fin du mois dernier, qui supprime toute protection de la plus grande forêt du pays, la forêt nationale de Tongass (Alaska). La laissant donc à la merci des entreprises qui peuvent l’exploiter et y construire des routes, alors qu’elle joue un rôle important dans la captation du gaz carbonique aux États-Unis.
Le futur président pourrait revenir aussi rapidement sur une décision très controversée de son prédécesseur, celle d’autoriser en août dernier les forages pétroliers et gaziers dans la réserve faunique nationale de l’Arctique, en Alaksa. Vaste de 75.000 km2, la plus grande aire naturelle protégée du pays est peuplée de caribous et d’ours polaires. Elle pourrait renfermer des milliards de barils de pétrole dans son sous-sol. Les forages y étaient interdits depuis des dizaines d’années. La décision trumpienne a été applaudie par les autorités locales, qui y voyaient une manne et des emplois pour la suite. En tant que sénateur, Joe Biden a toujours voté non au forage dans ces zones. Il devrait donc annuler la décision de M. Trump.
Mais d’autres méfaits de son prédécesseur sont plus profondément incrustés dans le droit étasunien. « Les tribunaux ont été une voix importante pour améliorer l’environnement, mais l’administration Trump a nommé un nombre record de juges qui ne sont pas susceptibles de voir l’importance de la bonne gestion environnementale, estime Ann Bostrom, ce qui peut jouer dans l’issue de luttes futures. » L’universitaire déplore aussi que, en quatre ans, le prestige des États-Unis s’est envolé, ce qui pourrait les empêcher de jouer un rôle de premier plan dans la coopération internationale contre le réchauffement climatique.
Trump a aussi contribué à affaiblir le combat des idées, selon elle : « Les communications environnementales et scientifiques sont embourbées dans le même maelström de médias sociaux que tout le reste, ce qui remet en question les efforts pour faire participer les gens aux efforts et mieux comprendre l’environnement, nos dépendances et la manière de parvenir à l’équité et à la durabilité environnementales. »
Joe Biden, faux-ami des progressistes écolos ?
Les défis sont connus, la campagne est finie et on peut compter sur la presse étasunienne et la frange progressiste des Démocrates pour demander fermement la réalisation des promesses du candidat Biden. Mais le vernis écolo du candidat centriste passera-t-il l’hiver ? Sans doute oui, selon Brendan O’Leary, professeur en science politique à l’Université de Pennsylvanie (Upenn) : certes, Joe Biden n’est pas un écologiste de cœur, mais il a montré, quand il était vice-président et dans ses votes comme sénateur, que l’environnement comptait pour lui.
Par ailleurs, Biden a réussi, peut-être plus par cynisme que par conviction, à bien manœuvrer l’aile progressiste de son parti, celle qui a voté Bernie Sanders aux primaires et qui chérit la jeune députée new-yorkaise Alexandria Ocasio-Cortez (surnommée « AOC »). Biden a repris les thèmes de campagne de Sanders, en intégrant une partie de l’équipe de celui-ci dans un groupe de travail sur le climat. De nombreuses propositions nées de ce groupe ont été intégrées à son programme de campagne, inspirées en partie du Green New Deal, chère à la députée AOC.
Mais il ne faut pas se leurrer, l’aile progressiste ne sera guère présente dans son cabinet, selon Brian O’Leary : « Bernie Sanders n’aura pas de poste dans l’administration Biden, mais ils vont être amicaux avec lui. Pour ce qui est d’Alexandria Ocasio-Cortez, je pense qu’elle peut avoir plus d’influence en tant qu’élue progressiste à la Chambre des représentants qu’en intégrant le cabinet Biden. »
Quelques doutes à éclaircir
Dans ses engagements pour l’écologie, en plus de la réintégration à l’accord de Paris sur le climat, Joe Biden compte investir en dix ans 1.700 milliards de dollars dans les énergies renouvelables, lancer 10 millions d’emplois dans les énergies vertes, et faire des États-Unis un pays carboneutre d’ici 2050 (il avait évoqué 2025 durant un débat, avant de revenir sur cette date).
Cependant, le tableau réserve quelques zones d’ombre. Joe Biden ne compte par exemple pas interdire la fracturation hydraulique dans l’exploitation des gaz de schiste, méthode reconnue comme extrêmement à risque pour l’environnement, en dehors de celle réalisée sur les terres publiques. Brendan O’Leary croit cependant que la pression de l’opinion sur ce thème et le fait que cette technique soit très coûteuse pourront conduire à son abandon si Washington diminue les subventions qu’elle offre aux entreprises du secteur.
Le candidat Biden a aussi affirmé vouloir « se détourner de l’industrie pétrolière » mais n’a pas indiqué d’échéancier précis à ce sujet, en dehors de l’objectif de carboneutralité. Daniel Kammen, professeur en énergie et ressources de l’Université de Berkeley, estime qu’il doit prendre du temps pour s’en détourner : « Réduire rapidement la dépendance au pétrole est essentielle, mais il ne doit cependant pas négliger l’expertise, en leur coupant trop rapidement les vivres, que les entreprises du secteur peuvent avoir. Elle pourra servir pour les énergies renouvelables également, comme l’hydrogène. »
Randy Wanamaker a fait partie des bénévoles de la campagne de Bernie Sanders lors des primaires dans le Vermont, pour ensuite se diriger vers Joe Biden après la défaite du sénateur du Vermont aux primaires. Il espère que Biden n’oubliera pas que des pro-Sanders ont voté pour lui. Selon M. Wanamaker, l’aile gauche du parti ne doit pas relâcher la pression, afin que Biden sente qu’il peut perdre l’appui des jeunes progressistes qui ont voté pour lui : « Les progressistes ne doivent rien lui laisser passer et s’assurer que les lois concernant l’environnement seront efficaces. » Comme plusieurs observateurs, Randy Wanamaker estime que le rôle du Sénat sera prépondérant et espère que celui-ci ne sera pas trop hostile aux propositions écologistes.
Pour Brendan O’Leary, le fait que Biden soit centriste ne l’empêchera pas d’être vert : « Biden a beaucoup d’amis sénateurs, il y a passé tellement d’années… On est toujours sceptique avec les gens qui ont des amis dans les deux camps. Mais il discute avec tout le monde, et il écoute. Et même s’il est vieux, il va vouloir être reconnu pour ses accomplissements, notamment pour la planète. »