Amélie David, collaboration spéciale et correspondante basée à Beyrouth. Les extraits sont de la rédaction.
C’était vers 4 heures du matin. Une immense explosion. Une détonation dans la nuit. Puis, d’autres, tout de suite après… Y en avait-il deux de plus, ou bien trois, ou même quatre ? Je ne sais plus. Je suis confuse… Tout ce que je sais c’est que cette explosion m’a touchée en plein cœur. Elle m’arrachait de mon sommeil, encore profond. Comme si j’avais été soulevée de mon lit, brusquement.
Tirée par le haut, puis relâchée aussi subitement. Je m’écrasais contre le matelas. Que fallait-il faire ? Se lever en vitesse, attraper un petit sac avec son passeport et courir… Mais pour aller où ? Je ne faisais rien. Malgré toutes les pensées et les questions, je restais dans mon lit, assise, immobile. Je ne pouvais pas bouger. Je me rappelais ensuite le bruit des nombreuses frappes et les détonations qui s’en suivaient. Je me demandais combien de victimes on allait nous annoncer.
Les victimes ont été prises au piège dans leur sommeil
Israël avait de nouveau frappé la capitale du Liban. Pour la 4e fois cette semaine, Israël frappait un quartier densément peuplé en plein cœur de la capitale. Aucun ordre d’évacuation n’avait été donné au préalable. Les victimes ont été prises au piège dans leur sommeil. Il était à peine 8 heures, un premier bilan faisait état de 4 morts. Quelques heures plus tard, je me rendais sur le site de la frappe.
Là-bas, les secours étaient déjà à pied d’œuvre depuis plusieurs heures pour tenter de retrouver les victimes de cette frappe. Les décombres étaient le témoin que, avant, là, il y avait un bâtiment résidentiel de huit étages. Dans celui-ci, des personnes déplacées avaient trouvé refuge. Déjà déplacés par la guerre et ses bombardements dans le sud du pays, dans l’est ou dans la banlieue sud de Beyrouth. Plusieurs familles vivaient ici dans ce quartier qu’elles devaient penser plus ou moins sûr, car proche des quartiers plus chrétiens, du centre-ville de Beyrouth. Encore épargnés par la guerre.
La pelleteuse continue de chercher, les secours cherchent sous les décombres. Des dizaines de personnes se sont massées autour de la zone. Abou Ali Azzaze resserre son masque sur l’arête de son nez. Le vieil homme a les larmes aux yeux. Impuissant qu’il est face au désastre. Cet habitant du quartier avait son magasin dans le bâtiment détruit. Depuis 45 ans. Il vendait un peu de tout. C’était une petite épicerie, celle que l’on trouve dans de nombreuses rues au Liban, du plus petit village de la Bekaa à la plus grande artère de Beyrouth. Celle qui lie les gens ensemble, celle qui fait qu’on s’arrête ici pour une bouteille d’eau ou des œufs, que l’on prend des nouvelles du commerçant, de sa famille et des voisins. Ce lien qui unit, encore, les habitants.
Mais là, tout a disparu. Il n’y aura plus rien. Pour lui, c’est une catastrophe, mais il ne bougera pas. Il nous raconte sa vie de sexagénaire, celle de ses enfants, mariés ou non, qui vivent encore ici. La guerre ne semble même plus lui faire peur. Elle lui arrache encore quelques larmes, parfois. Mais il sait que le pays renaîtra. Il le souhaite en tout cas.
Nous savons que ce nombre de victimes augmentera au rythme des heures de la journée
Dans une rue perpendiculaire, le souffle de l’explosion a ravagé d’autres vies. Celles des habitants qui ont leurs maisons dans ce quartier depuis des générations. Plusieurs tentent de retrouver leurs affaires parmi les débris. D’autres pleurent les familles encore ensevelies. Il est à peine midi. Un autre bilan fait état de 11 morts et de plus d’une soixantaine de blessés. Nous regardons ces chiffres, nous regardons les secours s’activer. Nous savons que ce nombre de victimes augmentera au rythme des heures de la journée.
Dans un café, un pompier attend son narguilé. L’homme a les traits tirés. Il est arrivé sur le site de la frappe quelques minutes après l’attaque. Une nouvelle fois. Il nous compte ce qu’il a vu : des corps, partout. Ou plutôt, des bouts de corps. Un bras de bébé ici. Là, une jambe. Deux bébés, insiste-t-il. Deux bébés. Car, même s’il n’a pas retrouvé le petit corps en entier, il sait qu’il a retrouvé deux bracelets différents, ceux que l’on offre aux nouveau-nés. Et puis, il y a les autres personnes retrouvées sous les décombres. L’une d’entre elles était méconnaissable, nous dit-il. Les autres ? Il ne saurait dire si c’étaient des femmes, ou des hommes, tellement les corps avaient été décharnés.
Dehors, dans les autres rues près de la frappe, toujours autant de monde. Toujours autant de tristesse. Toujours autant de colère. C’est la 4e fois cette semaine que l’armée israélienne touche un quartier central de Beyrouth. Mais cette fois la frappe était plus intense. Plus impressionnante. Au moins 4 missiles ont touché ce quartier en l’espace de quelques minutes. Pour qui ? Pour quoi ? Israël dira, comme à son habitude, viser un haut responsable du Hezbollah. Mais d’après L’Orient-le-Jour, aucun ne se trouvait dans le bâtiment. Juste des civils, des familles déplacées qui avaient déjà fui l’horreur de la guerre. Il était à peine 22 heures, le ministère de la Santé libanais émettait un quatrième bilan de la frappe : 20 morts et 66 blessés.
Au Liban, nous avons parfois le sentiment que plus un cessez-le-feu est évoqué, plus Israël frappe !
Dans certains médias, on continue de parler de cessez-le-feu, de négociations. Jusqu’à quand ? Alors que les secours continuaient de s’activer autour des décombres de la frappe, les appels à évacuer certains quartiers de la banlieue sud se poursuivaient. Les frappes pleuvaient. Au sud, aussi. À l’est, également. Ici, au Liban, nous avons parfois le sentiment que plus un cessez-le-feu est évoqué, plus Israël frappe ! Intensément. Violemment. Plus les civils sont fauchés. Exterminés.