La COP à Madrid : échec pitoyable

Baptiste Langlois, Reporterres, 15 décembre 2019

La COP25 a échoué, dimanche 15 décembre, à Madrid. Pas d’ambitions revues à la hausse et aucun accord sur l’article 6, celui qui régule les marchés carbone. Bien loin des exigences nécessaires face à l’ampleur de la crise climatique.

Reporterre vous raconte les coulisses, les anecdotes et les coups de théâtre des derniers jours de la COP25, qui se tient à Madrid jusqu’au 15 décembre.


« C’est de la négociation par épuisement à son pire », regrette un ancien négociateur des Philippines. La COP25 s’est enfin terminée ce dimanche midi après toute une nuit de reports de la séance plénière finale. Sans, pourtant, qu’un véritable accord ait été trouvé. Le texte final reste bien loin des exigences nécessaires face à la crise climatique. II « souligne l’urgence d’améliorer les ambitions dans le but d’assurer les meilleurs efforts de mitigation et d’adaptation de tous les États ». Le minimum syndical —après une intervention en urgence de l’Espagne dans les négociations— avant la COP26 de Glasgow l’an prochain et l’activation du mécanisme d’ambition prévu par l’Accord de Paris. « Les principaux acteurs dont on espérait des avancées n’ont pas répondu à ces attentes, mais […] nous avons arraché le moins mauvais résultat possible, contre la volonté des grands pollueurs », a réagi Laurence Tubiana, directrice générale de la Fondation pour le climat.

Concernant le texte des « loss and damage » (pertes et dommages), des soutiens financiers apportés aux pays vulnérables et victimes du changement climatique, il ne fait pas l’unanimité. Les États-Unis étaient le principal frein dans ces négociations à un texte plus fort. Le représentant de Tuvalu, Etat ilien du Pacifique, insistait : « Il y a des millions de personnes qui souffrent des changements climatiques partout dans le monde. Le nier pourrait être considéré comme un crime contre l’humanité. » De manière générale, de nombreux pays en développement ont exprimé leur déception face à l’échec des discussions sur le financement climatique.

Pour l’article 6, sur les marchés carbone internationaux, aucun accord n’a été trouvé. Échec total. Il s’agissait du noeud des négociations (et de leur lenteur). Le représentant du Brésil était « désolé qu’il n’y ait pu avoir d’accord sur cet item. Mais nous voyons le verre à moitié plein car il y a eu du mouvement ». Le Brésil était pourtant, avec l’Australie et les États-Unis, parmi les pays qui bloquaient les négociations. « Avec un peu de temps, nous aurions pu arriver plus loin », regrettait le délégué de l’Afrique du Sud, qui menait le jeu sur ce point avec la Nouvelle-Zélande, secondé par le Japon et le Chili. « Tous les mécanismes de marché doivent apporter un financement aux besoins d’adoption des pays les plus vulnérables », a fait savoir le délégué sénégalais qui, comme son homologue égyptien, n’était pas le seul à être frustré par le manque d’accord sur ce point d’achoppement récurent.

Cette COP, présidée par le Chili mais organisée à Madrid, s’achève donc sur un accord —très— faible de la part des gouvernements, malgré le travail acharné des États insulaires et des pays membres de la Haute Coalition pour l’Ambition. Elle aura, en revanche, permis à la société civile, aux mouvements de jeunes et de peuples autochtones de faire entendre leur voix. « Il semble que la COP25 soit en train de tomber en morceaux », a tweeté durant la nuit, amère, Greta Thunberg, la jeune activiste suédoise pour le climat. Jennifer Morgan, présidente de Greenpeace International, estime que « les gouvernements doivent complètement repenser comment ils agissent, car le résultat de la COP25 est totalement inacceptable ». Elle critique un « leadership chilien faible » et demande aux « preneurs de décision de rentrer chez eux et de penser comment ils peuvent aller de l’avant alors que l’on rentre dans une année 2020 critique ». Rendez-vous l’an prochain en Écosse.

Les reports de tenue de la séance plénière finale se sont succédés toute la nuit de samedi à dimanche, mais l’assemblée s’est finalement tenue dimanche matin, à partir de 9h30. Cette prolongation exceptionnelle fait de la COP 25 celle qui a duré le plus longtemps de toutes ces conférences depuis vingt-cinq ans.

Tout est confus, les délégués ne parviennent pas à trouver un des textes en discussion.

Dans la décision « Chili-Madrid Time for Action », le Brésil demande la suppression des paragraphes 30 et 31 relatifs au dialogue sur le lien changement climatique – océans et terres. Moment de tension : tout va-t-il être bloqué ? Tuvalu et Belize disent que, pour eux, l’enjeu est vital. Le Brésil, « par respect pour Tuvalu et Belize » accepte finalement les deux articles.

Cette décision, qui demande la rehausse du niveau d’ambition des États face a l’urgence climatique en vue de la COP26 (Glasgow), est adoptée. « Formulation un peu molle, mais bonne direction », juge Alain Maron, ministre de l’Environnement de la région de Bruxelles.

La séance se poursuit, et la présidente chilienne énumère les points techniques, qui sont adoptés les uns après les autres.

La tension remonte à 11 h, quand on discute du texte sur les « loss and damages » (pertes et dommages), c’est-à-dire des soutiens financiers qui seront apportés aux pays pauvres vicitimes du changement climatique. Le texte est faible. Plusieurs pays pauvres le soulignent (Palestine, Tuvalu, Belize, Uruguay, Bouthan…). « C’est une tragédie absolue », dit le représentant de Tuvalu, Etat ilien du Pacifique, « des millions de gens souffrent déjà des effets du changement climatique. Ne pas fournir de l’assistance peut être interprété comme un crime contre l’humanité ».

La discussion se poursuit, et enregistre l’échec à trouver l’accord sur l’article 6 de l’Accord de Paris, qui concerne le marchés du carbone. Le sujet rebondit de COP en COP, les pays sont très divisés à son sujet.

Pour le Sénégal, « tous les mécanismes de marché doivent apporter un financement aux besoins d’adaptation des pays les plus vulnérables ».

Autre sujet sur lequel l’accord n’est pas trouvé, et qui est repoussé à la COP26 de 2020 : le financement à long terme du climat. L’enjeu : apporter aux pays en développement les moyens de s’adapter au changement climatique. Le représentant de l’égypte, au nom du groupe africain, regrette vivement l’échec, c’est-à-dire l’incapacité des pays les plus riches à s’engager : « Ce n’est pas ce que les pays africains, et plus largement les pays développés, attendaient quand ils ont signé l’Accord de Paris ». Ce financement pour l’adaptation est « un composant central » de la discussion. Il est vivement applaudi, ayant exprimé la frustration d’une large partie des délégués.

La Malaisie enfonce le clou : « On ne peut pas parler d’ambition [sur les objectifs climatiques] sans parler de finance ». L’Union européenne dit que la porte n’est pas fermée. L’Égypte reprend la parole pour dire que l’Europe, et notamment plusieurs pays – l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni – respectent leurs engagements en matière de finance.

À 13 h, la présidente fait un discours conclusif. Mais ensuite, des délégués prennent la parole pour… essayer de sauver les meubles, sur le mode, « c’était une COP difficile, mais nous avons beaucoup avancé » (délégué de l’Egypte). La Chine prend la parole pour un texte plus politique : « Nous regrettons l’échec sur l’article 6. (…) On a besoin d’actions concrètes plutôt que de slogans creux. (…) Nous regrettons l’absence de réponse des pays développés sur le financement. (…) Les pays développés doivent urgemment prendre des actions pour réduire les émissions. » Ce sont ensuite les ONG qui, au nom des jeunes, des paysans, des peuples indigènes, prennent la parole. Mais le temps s’écoule, et ces témoignages qui ne peuvent que constater l’écart entre leurs espoirs et la réalité décevante de la diplomatie.