Christophe Aguiton, Regards, 20 août 2019
Les enjeux environnementaux devenant de plus en plus importants – et angoissants – et les réponses des gouvernements, en particulier ceux des régimes occidentaux, paraissant à des années-lumière des réponses nécessaires, la question politique devient aujourd’hui centrale.
Le débat qui pourrait advenir « le jour d’après » l’effondrement de nos sociétés est le moins intéressant. Il est évidemment présent dans toute une série de dystopies littéraires ou cinématographiques, Mad Max en étant l’exemple emblématique. Mais ces dystopies ne prennent pas en compte ce que nous connaissons des effondrements antérieurs, qui ont été des mosaïques d’effondrements successifs et le plus souvent progressifs comme l’explique Pablo Sevigne, un des théoriciens français de l’effondrement [1]. Surtout, ces dystopies sautent l’étape la plus importante pour nous toutes et tous : la situation actuelle où se pose la question des mesures à prendre pour éviter cet effondrement !
Face à l’incapacité des gouvernements à prendre les mesures nécessaires pour lutter contre le réchauffement climatique ou l’extinction massive des espèces – comme le prouvent les études qui indiquent qu’en Europe, 80% des insectes ont disparu en quelques décennies –, des théoriciens comme Jason Brennan [2]défendent l’idée que seule une aristocratie du savoir pourrait prendre les mesures adéquates.
Règles communes
Deux idées sont au cœur de ces théories. La première part du présupposé, plus que discutable, que les êtres humains sont incapables d’autres comportements qu’un individualisme égocentrique, comme l’expliquent Hobbes dans le Léviathan ou plus récemment Hardin [3] dans son analyse sur la « tragédie des communs ». La seconde s’appuie sur l’exemple de la Chine, qui démontrerait qu’un pays au régime autoritaire peut, plus que les démocraties, s’engager dans des politiques volontaristes de transition énergétique.
Deux idées plus que discutables. La prix Nobel Elinor Ostrom a ainsi démontré que les « biens communs » pouvaient vivre et se développer s’ils se dotaient des règles communes admises par tous [4]. Quant à la réussite de la Chine grâce à son régime autoritaire, c’est oublier le plus important : ces régimes ne peuvent survivre sur le long terme que s’ils s’appuient sur un développement économique incompatible avec les objectifs écologiques. L’Union soviétique, après la période de la grande terreur des années 1930 puis la seconde guerre mondiale, n’a survécu que par le développement économique des ères Khrouchtchev puis Brejnev. Et la Chine « communiste » contemporaine seulement grâce au boom économique de ces dernières décennies.
Il n’y a donc pas d’autre choix possible que de s’appuyer sur un approfondissement de la démocratie qui seule permettra aux initiatives citoyennes de se développer. Les exemples allemands et autrichiens nous montrent que les coopératives citoyennes peuvent permettre une transition énergétique vers les énergies renouvelables bien plus rapide que ce que pourrait faire une intervention étatique, surtout si elle était autoritaire. C’est la seule voie possible, et la plus sûre !
Notes
[1] Pablo Sevigne et Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, éd. Seuil, 2015.
[2] Jason Brennan, Against democracy, éd. Princeton University Press, 2016.
[3] Garrett Hardin, « The Tragedy of the Commons », Science 162 (n° 3859), 1968.
[4] Elinor Ostrom, La Gouvernance des biens communs. Pour une nouvelle approche des ressources naturelles, éd. De Boeck, 2010.