La lutte des Mères mohawks

Suite à la récente découverte d'odeurs de restes humains par des chiens détecteurs de restes humains historiques sur le site de l'ancien hôpital Royal Victoria à Montréal, les Mères Mohawks demandent à l'Université McGill et au gouvernement du Québec d'appliquer des précautions pour protéger d'éventuels restes sur d'autres sites similaires - le 4 juillet 2023 @ Mohawk Mothers

Philippe Blouin

Depuis 2022, j’accompagne comme anthropologue un groupe d’aînées autochtones, les Kanien’kehá:ka Kahnistensera (Mères mohawks), dans leurs efforts pour protéger des sépultures anonymes suspectées d’enfants autochtones à l’ancien Hôpital Royal-Victoria. Ce territoire au pied du Mont-Royal est ciblé par un projet de requalification mené par la Société québécoise des infrastructures (SQI) et l’Université McGill.

Sans avocat et en se basant uniquement sur leurs propres lois ancestrales — la Kaianere’kó:wa (« Grande loi de la Paix »), qui confie aux « progénitrices du sol » le soin de préserver leur territoire ancestral pour les générations futures —, ces femmes ont réussi à obtenir une injonction de la Cour supérieure en octobre 2022 pour suspendre les travaux et mettre en œuvre une enquête archéologique. Le témoignage d’une survivante des expériences de « lavage de cerveau » MK-Ultra financées par la CIA à l’hôpital dans les années 1950 et 1960, était particulièrement révélateur. Lana Ponting confirme le souvenir — toujours présent à Kahnawá:ke — de l’utilisation d’enfants autochtones comme cobayes dans ces expériences terribles, où les psychiatres s’efforçaient d’effacer la conscience avec des électrochocs et de nouvelles drogues comme le LSD et le Largactil, avant de les reprogrammer avec des messages subliminaux utilisés sur des patient·es plongé∙es dans un état de coma profond, parfois durant plusieurs mois.

Des conclusions boiteuses

À la suite de l’injonction, une entente a été signée en avril 2023 pour confier à un panel de trois archéologues le soin de diriger les recherches avec des technologies non invasives comme le géoradar et les chiens renifleurs. Cependant, McGill et la SQI ont vite entrepris de prendre le contrôle des fouilles, sans respecter plusieurs recommandations du panel — pourtant obligatoires selon l’entente. Après que les chiens renifleurs aient détecté l’odeur de restes humains dans la zone prioritaire des travaux, McGill et la SQI ont rejeté l’utilisation de précautions médico-légales pour manipuler de nombreux artefacts, y compris des fragments de bottes d’enfants datant de la première moitié du XXe siècle. Les deux institutions ont également ignoré la consigne de tamiser les sols immédiatement, les laissant plutôt s’accumuler pendant des mois, soumis aux aléas de la météo, avant de les déplacer ailleurs pour permettre la reprise des travaux. Sans égard au panel et aux Kahnistensera, ces sols finiront dans une tamiseuse mécanique, normalement utilisée dans les mines et les carrières plutôt qu’en archéologie. Les archéologues finirent alors par conclure que les fragments d’os recouverts étaient trop petits pour être identifiés.

Ces brèches dans le respect de l’entente ont mené les Kahnistensera à déposer une autre requête au dossier de la cour pour obliger le respect des recommandations, ce qu’elles ont gagné une fois de plus, en octobre 2023. Or, ce nouveau jugement tombera en appel quelques mois plus tard pour des raisons techniques que les Mères mohawks se préparent actuellement à contester en Cour suprême. Mais, quel que soit le résultat de leurs menées juridiques, une chose est sûre : les Mères mohawks ne comptent pas s’en arrêter là. Comme le note le rapport final déposé en octobre 2024 par l’Interlocutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et tombes anonymes, Kimberly Murray, l’article 17.1 de la Déclaration sur les disparitions forcées (que le Canada n’a pas signée) considère que ces disparitions se poursuivent « aussi longtemps que ses auteurs dissimulent le sort réservé à la personne disparue et le lieu où elle se trouve et que les faits n’ont pas été élucidés ». Aujourd’hui, plus de 200 enfants autochtones ont été identifié∙es par l’association autochtone Awacak comme ayant disparu après avoir fréquenté le réseau de la santé au Québec. Tant et aussi longtemps que l’argent public sera investi pour que la SQI et le Procureur général du Québec (et l’argent des frais de scolarité, pour McGill) s’acharnent à combattre le droit des autochtones à connaître la vérité sur ces disparitions d’enfants, la réconciliation devra, hélas, attendre.

Philippe Blouin est candidat au doctorat en anthropologie à l’Université McGill.