Il y a 23 ans, le 13 mars 1998, Abdelmalek Sayad décédait. Sociologue et auteur de nombreux travaux sur l’immigration, il était surnommé le «Socrate d’Algérie».
Né en 1933 à Aghbala, commune de Beni Djellil en Kabylie, région berbère du nord de l’Algérie, il fait partie de la petite minorité d’indigènes accédant à l’école. Instituteur dans la casbah, il poursuit ensuite des études à l’université d’Alger où il rencontre Pierre Bourdieu. Il s’installe en France en 1963.
Ses travaux renouvellent complètement l’approche sociologique traditionnelle du fait migratoire postcolonial. Il reproche à cette sociologie son réductionnisme, le fait de tenir compte seulement de la problématique de l’immigration, en excluant celle de l’émigration. Pour lui l’immigration est un «fait social total» qui doit en conséquence s’analyser comme émigration-immigration, deux facettes d’un même processus.
De même, il déconstruit les approches fréquentes de l’immigration en «coûts et avantages». Cette vision purement économiste de l’immigration, qui réduit celle-ci à une nécessité uniquement économique, ne permet pas de la saisir dans toute sa complexité. Pour ce faire, Sayad réintroduit l’histoire et ses effets qui produisent des déterminants incontournables pour comprendre le devenir de l’immigration postcoloniale en général, algérienne en particulier.
Sa sociologie est une véritable rupture avec les approches antérieures dominées par l’essentialisme et le culturalisme. Il critique ainsi fortement le concept d’intégration et son sous-entendu assimilationniste masquant les assignations sociales, dont sont victimes les personnes issues de l’immigration. Pour Sayad, l’État joue un rôle important dans la représentation de l’immigré (comme on peut le constater actuellement). En ce sens, l’immigré ne peut être perçu sans tenir compte d’une certaine politique d’État. Il en tire une formule qui deviendra célèbre : «exister, c’est exister politiquement».
À propos de Sayad, l’historien français Émile Temime écrit :
Lire Sayad, c’est entrer avec lui dans une réflexion sociologique incessamment renouvelée, même si l’objet de son étude — l’immigré et l’immigration — nous semble toujours de même nature. C’est vivre non pas une sociologie «immobile’, mais, bien au contraire, essayer de comprendre un monde en mouvement, posant par son existence et par les contradictions qui sont l’essence même de la condition de l’immigré, des problèmes qui sont les nôtres au quotidien… (la sociologie de l’immigration proposée par Sayad) oblige à élargir cette étude et cette réflexion à l’ensemble de l’histoire sociale, considérée comme une histoire globale. “Immigrer, c’est immigrer avec son histoire [l’immigration étant elle-même partie intégrante de cette histoire], avec ses traditions, ses manières de vivre, de sentir, d’agir et de penser, avec sa langue et sa religion ainsi que toutes les autres structures sociales, politiques, mentales, structures caractéristiques de la personne…, bref avec sa culture”.
Les œuvres de Sayad sont nombreuses : Le déracinement : La crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie (avec Pierre Bourdieu); L’immigration, ou les paradoxes de l’altérité; Un Nanterre algérien, terre de bidonvilles; L’immigration algérienne en France (avec Alain Gillette); La double absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré; etc.
La pensée de Sayad est d’une actualité brûlante, surtout à l’heure actuelle où l’extrême droite, sous ses différentes formes, utilise le nationalisme identitaire pour justifier le racisme et l’exclusion. Ses analyses sont précieuses pour déconstruire les discours dominants sur l’immigration.
Repose en paix, frère et camarade. Merci pour cette contribution à l’émancipation des peuples dominés.
Texte : FUIQP et Alain Saint-Victor