Il y a 60 ans, le 17 janvier 1961, le leader indépendantiste congolais Patrice Émery Lumumba était lâchement assassiné.
Né le 2 juillet 1925 à Onalua à Katako — Kombe, dans le Congo belge (Actuelle République du Congo), Lumumba fit de brillantes études à l’école catholique des missionnaires. Mais il est surtout connu pour être un autodidacte (lisant plusieurs livres sur l’histoire), le système d’éducation coloniale belge étant peu développé, visant uniquement à former des ouvriers.
Conçu pour renforcer l’idéologie de la domination coloniale et conquérir l’esprit des «indigènes», ce système d’éducation, défini dans un recueil publié jusqu’en 1959, a pour objectif de : «toucher par l’enseignement religieux et profane la personnalité intime de l’indigène. Transformer sa personnalité. Le rallier dans son for intérieur à l’ordre social nouveau.»
Dans le même ordre d’idées, un livre publié en 1948 (réédité jusqu’à la veille de l’indépendance) par un administrateur colonial définit le rôle de ceux qu’on a appelés «les indigènes évolués». Intitulé L’élite noire, l’ouvrage s’adresse à cette petite minorité que le colonisateur entend «civiliser» dans le but non seulement de diviser, mais surtout de jeter les bases du néocolonialisme. En voici un extrait :
«Si l’élite noire doit être consciente de sa supériorité à l’égard des indigènes semi-sauvages, elle doit toute aussi connaitre ses devoirs envers le pouvoir absolu. Il convient de constater que la plupart des Européens sont animés à votre égard d’une bonne volonté évidente, et que tous participent, par leur travail, à l’œuvre commune qui est de vous civiliser. Ayez alors un peu de reconnaissance envers cette nation (la Belgique) qui vous a tant donné.»
Ce matraquage idéologique eut, bien entendu, une grande influence sur le jeune adulte Lumumba. Il publie plusieurs textes, dont un livre, Le Congo, terre d’avenir, est-il menacé? (1956), faisant l’éloge de la colonisation.
Mais en moins de deux ans, sa conscience politique connait une remarquable évolution. En décembre 1958, il assiste à la conférence d’Accra (capitale du Ghana), qui constitue, pour lui, un tournant politique essentiel. Il y rencontre, entre autres, Frantz Fanon, Kwame Nkruma et Félix-Roland Moumier.
Lumumba en sort profondément transformé. Non seulement l’indépendance devient pour lui indispensable, mais également il prend conscience du mécanisme du système néocolonial mis en œuvre par le colonisateur avant même d’accorder une indépendance de façade à la colonie.
À l’approche de l’indépendance, Lumumba milite pour un Congo unifié alors que les puissances impérialistes ont des plans de division du Congo pour pouvoir continuer à piller ses richesses naturelles.
Lors des élections générales en mai 1960 (les premières dans l’histoire du Congo belge), le parti de Lumumba, le Mouvement national congolais (MNC), fondé en octobre 1958, devient le parti majoritaire. Lumumba est nommé premier ministre à l’indépendance, la constitution attribuant ce poste au candidat qui remporte majoritairement les élections.
Le jour des cérémonies de l’indépendance, Lumumba se fait remarquer par sa réponse au roi des Belges (Baudouin) qui a eu le culot de parler de «l’œuvre civilisatrice» de son grand-oncle Léopold II.
Rappelons que ce dernier, en son nom personnel, avait pris possession du Congo avant même la conférence de Berlin (1884-1885), au cours de laquelle l’Afrique (à l’exception de l’Éthiopie et du Libéria) fut partagée entre les grandes puissances européennes. Le règne de Léopold II sur le Congo est marqué par le pillage systématique du territoire et par un holocauste qui fit, d’après l’historien britannique Adam Hochschild, près de 10 millions de morts entre 1890 et 1908.
Ce jour-là, Lumumba décide de s’adresser à son peuple et d’ignorer le souverain belge. Il commence son discours par «Aux Congolais et Congolaises, aux combattants de l’indépendance», puis rappelle les violences et l’oppression coloniale pour enfin définir son projet d’un Congo anticolonialiste, anti-impérialiste et panafricain.
Au prétexte de protéger ses ressortissants, la Belgique fait revenir ses militaires, en particulier dans la riche région minière du Katanga. Plus de 11 000 soldats belges sont acheminés en dix jours avec l’aide des autres puissances de l’OTAN. C’est à ce moment que le président de la République, Joseph Kasa-Vubu, plutôt que d’organiser la résistance, limoge Lumumba. Cette décision étant anticonstitutionnelle, Lumumba décide de rester à son poste.
C’est dans ce contexte que Mobutu intervient et fait un coup d’État avec le soutien des gouvernements occidentaux et l’appui de la CIA. Lumumba décide de résister, mais il est arrêté et emprisonné. Envoyé au Katanga où règne le sécessionniste Tshombé, son ennemi de toujours, il est torturé et fusillé avec la participation de soldats belges. Son corps est découpé en morceau et dissous dans l’acide par crainte que sa tombe devienne un symbole de résistance.
Dans une lettre envoyée à son épouse peu de temps avant son assassinat, Lumumba écrit :
L’histoire dira un jour son mot, mais ce ne sera pas l’histoire qu’on enseignera à Bruxelles, Washington, Paris ou aux Nations Unies, mais celle qu’on enseignera dans les pays affranchis du colonialisme et de ses fantoches.
Lumumba est un symbole de la dignité de l’Afrique et des peuples opprimés luttant pour l’émancipation.
Repose en paix frère et camarade.
Texte : FUIQP et Alain Saint-Victor