Alain Saint-Victor et FUIQP
Il y a 56 ans, le 27 août 1963, le sociologue et écrivain William Edward Burghardt Du Bois décédait. Il fut l’un des fondateurs du mouvement des droits civiques aux Etats-Unis et un acteur clef du panafricanisme.
Né dans le Massachusetts, le 23 février 1868, Du Bois put accéder aux études universitaires grâce à une collecte de fonds par des membres de l’église que fréquentent ses parents. Il entre d’abord à l’université de Fisk à Nashville (Tennessee) réservée aux Noirs. Dans cette ville, il découvre l’ampleur du racisme qui caractérise le Sud des Etats-Unis dans les années 1880: des lynchages de Noirs sont effectués impunément par le Ku Klux Klan et d’autres organisations terroristes suprématistes blanches.
Premier Afro-étatsunien à obtenir un doctorat de philosophie de Harvard, il devient professeur d’histoire, de sociologie et d’économie à la Clark Atlanta University. En 1899, Du Bois publie la première analyse sociologique des quartiers noirs de Philadelphie parue sous le titre «The Philadelphia Negro». Cette étude fait de lui l’un des fondateurs de la sociologie urbaine aux États-Unis.
Deux ans plus tôt, en 1897, le sociologue rédige une série d’articles dans lesquels il exhorte les Afro-étatsuniens à revendiquer leur héritage africain et à sortir du complexe d’infériorité hérité de l’esclavage. La même année, il inaugure une conférence annuelle intitulée «l’Atlanta Conference of Negro Problems».
A partir de 1900, Du Bois s’engage systématiquement dans le combat pour l’égalité des droits et contre la ségrégation.
L’élément déclencheur est le lynchage de Sam Hose à Atlanta en 1899. Hose fut torturé, brûlé et pendu par une meute composée de 2000 Blancs. Pour Du Bois, «il est impossible pour quelqu’un de rester un scientifique calme et détaché alors que des Nègres sont lynchés, assassinés et affamés. » Il ajoute que « le remède ne consistait pas simplement à dire la vérité aux gens mais de les pousser à agir à partir de cette vérité. »
En 1903, il publie The Souls of Black Folk (Les âmes du peuple noir), une collection d’essais dans lesquels l’auteur analyse, entre autres, le phénomène de la double-conscience, une condition existentielle à laquelle tout Noir étasunien devrait faire face.
Plus connu parmi ses ouvrages, ce livre est interprété de différentes façons: pour certains, il constitue une préfiguration de la philosophie existentialiste, telle qu’elle a été développée plus tard par Jean-Paul Sartre; pour d’autres, il contient les principes fondamentaux de la négritude.
En 1905, près des chutes du Niagara, Du Bois participe à la création du « Niagara Movement ». Face au boycotte des médias, les «Niagarites» font l’acquisition d’une imprimerie pour assurer leur autonomie. À la même année, apparaît le journal «Moon Illustrated Weekly», le principal organe du mouvement.
En 1907, est publié un autre journal, «The Horizon : A journal of the Color Line » dont l’objectif principal est de dénoncer ceux qui prêchent «la soumission patiente aux humiliations». Le journal incite les Noirs à ne pas troquer «leur humanité pour un salaire».
Outre ses activités militantes, Du Bois continue ses recherches scientifiques et publie plusieurs travaux académiques qui furent largement ignorés par les milieux universitaires. Ses études remettaient en question de nombreuses thèses dominantes sur l’histoire et la condition sociale des Noirs aux États-Unis.
En 1910, Il participe à la fondation de la «National Association for the Advancement of Colored People» (NAACP) qui deviendra la plus importante organisation luttant pour les droits civiques dans le pays.
Au cours de la même année, la NAACP publie un mensuel « The Crisis », dont Du Bois devient le directeur. Le succès est immédiat. En 1920 le magazine atteint près de 100 000 exemplaires.
En 1917, des émeutes éclatent dans la ville de l’East Saint-Louis dans l’État de l’Illinois. Des groupes de Blancs massacrent 250 Afro-étatsuniens. Du Bois prend la tête d’une immense manifestation (« The Silent Parade ») qui regroupe 10 000 Noirs dans les rues de New-York. C’était la première grande marche pour les droits civiques.
Après la Première Guerre mondiale, il est un des participants du premier congrès panafricain qui se tient à Londres en 1919. Il devient dès lors un des principaux leaders du panafricanisme. Il rédige en particulier les « résolutions de Londres » du second Congrès Panafricain exigeant la fin du racisme et du colonialisme en Afrique.
Contrairement à Garvey qui soutient l’idée d’une séparation radicale entre Blancs et Noirs et le retour en Afrique de ces derniers, Du Bois, tout en n’étant pas contre l’idée du retour, considère que cela ne doit pas mener à l’abandon du combat pour l’égalité. Il dénonce également la conception de Garvey selon laquelle l’Afrique doit être gouvernée par des Noirs-étatsuniens. Du Bois dénonce cette position comme colonialiste.
Il appelle également les artistes noirs à rejeter l’exotisme et à s’engager dans le combat pour l’égalité : « Je me fiche de tout art qui n’est pas utilisé en vue de promouvoir notre combat pour l’égalité des droits ».
À partir de 1933, Du Bois défend l’idée d’articuler anticapitalisme et combat pour l’égalité raciale. Après la Seconde Guerre mondiale, le 24 octobre 1945, il participe à San Francisco à la fondation de l’organisation des Nations-Unies (ONU) en se battant pour que la nouvelle organisation mette un terme à la colonisation.
À partir de 1950, Du Bois consacre les dernières années de sa vie au combat anticolonial. Il anime le cinquième congrès panafricain de Londres qui soutient les luttes contre le colonialisme.
Au cours de la période du Maccarthysme (du nom du sénateur étatsunien Joseph McCarthy qui mena une campagne anticommuniste virulente au début des années 1950), son passeport est confisqué, ce qui l’empêche de participer, en avril 1955, à la conférence de Bandung (Indonésie), organisée par les pays anciennement colonisés.
Devenu un symbole mondial de la lutte pour l’égalité, du combat contre le colonialisme et pour le panafricanisme, Du Bois est invité par Kwame Nkrumah, premier président du Ghana indépendant, qui lui propose de reprendre son vieux projet d’élaborer son «Encyclopédia Africana».
Âgé de 93 ans, Du Bois décide de prendre la nationalité ghanéenne. Mais la maladie l’empêche de concrétiser le projet d’élaborer l’encyclopédie.
Il meurt le 27 août 1963, la veille de la grande Marche sur Washington du 28 août 1963. Les centaines de milliers de participants observent une minute de silence à la mémoire de ce pionnier du combat pour l’égalité raciale et sociale.
Repose en paix frère et camarade. Ton combat continue.