Gideon Levy, Haaretz, 16 mai 2021 (Traduction : Chronique de Palestine)
S’il y a une chose sur laquelle tous les Israéliens (juifs) sont bien d’accord, c’est le déclenchement d’une guerre. Presque une semaine s’est écoulée et personne ne s’oppose à cette guerre horrible, pas même les dirigeants [dits] de centre-gauche Yair Lapid, Merav Michaeli et Nitzan Horowitz.
Ils s’en prennent à Benjamin Netanyahu (pas besoin d’être courageux pour oser cela) ils expriment leur chagrin pour nos souffrances, mais pas un mot sur cette guerre criminelle délibérément lancée et avec tous ces morts, sans savoir quel minuscule avantage elle pourrait donner à Israël. Encore une fois, c’est la preuve qu’il n’y a pas de camp de la paix en Israël, pas même la plus minuscule des huttes.
Les commentateurs à la télévision se croient dans “Apocalypse Now”, des hordes de généraux à la retraite et d’agents du Shin Bet éructant un chœur uniforme et répugnant. La salive coule et les yeux clignotent, levés vers les pilotes glorieux qui ont réussi à esquiver et à détruire la défense aérienne sophistiquée de l’ennemi, à savoir deux cerfs-volants réduits en pièces lors d’une bonne journée.
Le bombardement de la favela impuissante de Gaza est “la preuve que notre force aérienne est la meilleure du monde”, a déclaré un présentateur de haut niveau d’une voix tremblante d’émotion.
Et les résultats ne sont pas affichés. Les Israéliens n’ont aucune idée de ce qui se passe à Gaza, pas une idée de ce que les militaires font en leur nom. C’est pourquoi ils en veulent encore plus, pourquoi ils sont si sûrs de la justice de leur cause.
Nous pouvons supposer que si davantage d’Israéliens voyaient les images de Gaza, au moins certains d’entre eux crieraient et appelleraient à l’arrêt de cette horreur.
J’ai reçu des photos des corps mutilés de 40 enfants, la récolte de vendredi soir à Gaza. Vous ne pouvez pas garder le silence après avoir visionné ces photos. Mais laissons de côté l’humanité pour le moment, elle n’a aucune importance en temps de guerre.
La question est, à quoi tout cela sert-il ? Que se serait-il passé si Israël n’avait pas provoqué les Palestiniens à Jérusalem ? Et que se serait-il passé si, même après ces provocations, il avait ravalé sa fierté et éloigné ses policiers violents et agressifs de l’enceinte d’Al-Aqsa, ou n’avait pas bombardé des immeubles de grande hauteur à Gaza, pour éviter une guerre ?
Que se serait-il passé s’il faisait preuve de retenue ? Serait-il plus puissant maintenant ? Le Hamas est-il plus faible ? Ou a-t-il été affaibli militairement mais renforcé politiquement à un niveau sans précédent ?
Le Hamas est le héros de l’heure, pas Israël. Et en ce qui concerne la dissuasion, mère de toutes les excuses pour chaque guerre à Gaza, regardez comment cela a fonctionné la dernière fois qu’ils nous ont parlé de dissuasion, pendant la guerre de 2014. Le Hamas prétendument dissuadé a plus que doublé sa puissance militaire, ainsi que son audace.
Le Hamas serait également responsable de crimes de guerre, mais surtout, notez-le bien, contre son propre peuple. Construire une machine de guerre contre l’armée israélienne sans aucune protection de la population peut être considéré comme un crime contre l’humanité.
Mais nous sommes israéliens, nous devons donc discuter de nos propres crimes de guerre. Ceux-ci s’accumulent dans l’opération actuelle, qui pendant un moment a semblé être menée avec plus de circonspection que celles qui l’avaient précédé. À présent, le sang de dizaines d’enfants de Gaza coule dans les rues, résultat des crimes de nos pilotes et de nos soldats.
Si les pilotes pouvaient voir les photos des enfants qu’ils ont tués, si les commandants des bases aériennes qui sont apparus vendredi soir dans tous les studios de télévision, avec leur éloquence moelleuse et révoltante, voyaient ces images, que diraient-ils ? Qu’il n’y avait pas le choix ?
Maintenant, nous pouvons attendre le vendredi noir qui se produit toujours à la fin d’une guerre à Gaza. Cela améliorera l’équilibre du sang qui a déjà pris des proportions monstrueuses.
De toutes les photos terribles, une vidéo du nord de Gaza, prise jeudi soir, est restée gravée dans ma mémoire. La caméra était immobile, enregistrant des masses de personnes fuyant vers le sud, craignant une frappe aérienne.
Il était tard dans la nuit et les gens portaient des sacs en plastique et des bébés, une mer de gens qui fuyaient pour sauver leur vie, ni pour la première fois, ni pour la dernière, la plupart d’entre eux n’ayant pas d’endroit où retourner. L’un d’eux a soudainement sauté sur la route pour sauver un chaton… un moment exceptionnel d’humanité.
Nous devrions regarder de face ces images. Qu’est-ce qui nous donne le droit de faire tout cela ? D’où cela vient-il ?
* Gidéon Lévy, né en 1955, à Tel-Aviv, est journaliste israélien et membre de la direction du quotidien Ha’aretz. Il vit dans les territoires palestiniens sous occupation.