Julian Borger, The Guardian, 25 mai 2018
Moins d’une décennie après que le président Barack Obama ait appelé à l’abolition des armes nucléaires, les neuf pays qui les possèdent sont engagés dans une nouvelle course aux armements nucléaires. La Corée du Nord a probablement développé une bombe à hydrogène, et ses missiles Hwasong-15 peuvent être assez puissants pour transporter non seulement une ogive, mais aussi des leurres d’autres contre-mesures qui contrecarreraient le système anti-missiles balistiques américain. L’Inde a récemment commandé son deuxième sous-marin de missiles balistiques, lancé un missile balistique Agni-5 capable de frapper des cibles partout au Pakistan et en Chine, et testé des missiles de croisière BrahMos et Nirbhay à capacité nucléaire. Le Pakistan possède maintenant le stock de matériel nucléaire dont la croissance est la plus rapide au monde, y compris des ogives à faible rendement sur des missiles Hatf-9 destinés à être utilisés contre des troupes indiennes et des véhicules blindés. Israël étend la portée de ses missiles balistiques Jéricho III et déploie des missiles de croisière avec des armes nucléaires sur des sous-marins. La France et le Royaume-Uni développent des remplacements pour leurs sous-marins balistiques Vanguard et Triomphant. La Chine est sur le point d’introduire des missiles balistiques Dongfeng-41 qui seront montés sur des camions, chargés avec jusqu’à dix ogives nucléaires, et capables d’atteindre n’importe où aux États-Unis. La Russie construit une large gamme de nouveaux missiles, bombardiers et sous-marins qui transporteront des armes nucléaires. Le missile Sarmat R-28, surnommé Satan-2, transportera jusqu’à seize ogives nucléaires – plus que suffisant pour qu’un seul missile détruise toutes les villes américaines ayant une population supérieure à un million de personnes. La Russie prévoit de construire quarante à cinquante des Satan-2.
Dans la préface du Nuclear Posture Review, publié en février par l’administration Trump, le secrétaire à la Défense James Mattis exprime le nouveau point de vue américain: « Nous devons regarder la réalité dans les yeux et voir le monde tel qu’il est, pas comme nous le souhaitons ». Cette réalité, selon le Pentagone, exige une rénovation complète de la triade nucléaire de la guerre froide – de nouveaux missiles balistiques intercontinentaux, de nouveaux bombardiers à longue portée et de nouveaux sous-marins à missiles balistiques. Elle nécessite également de nouvelles ogives et bombes « tactiques » à faible rendement, une catégorie d’armes jadis jugée si déstabilisante que le président George HW Bush les a presque toutes retirées du service actif en 1991. Le coût de la reconstruction de l’arsenal nucléaire américain devrait être plus d’un billion de dollars, dépensés au cours de trente ans.
À l’époque de la guerre froide, les forces militaires américaines en Europe menaçaient de larguer des bombes atomiques sur les villes soviétiques. Le Plan « Trojan » planifiait de viser soixante-dix villes soviétiques qui seraient frappés par cent trente-trois bombes atomiques. Selon des estimations conservatrices, environ sept millions de civils soviétiques seraient tués ou blessés.
Par après, les États-Unis ont pensé de transformer la guerre nucléaire, en préconisant le développement d’armes nucléaires « tactiques ». On espérait limiter l’ampleur de la guerre nucléaire. La Marine a reçu des charges de profondeur nucléaires, des torpilles, des missiles de croisière, des bombes gravitaires et des missiles balistiques lancés par des sous-marins. L’armée reçut des obus d’artillerie nucléaire, des mines terrestres, des missiles antiaériens, des missiles sol-sol et même le Davy Crockett, un fusil sans recul porté par des fantassins qui tiraient un petit projectile nucléaire. Les forces spéciales américaines ont reçu des « bombes à dos » pour les missions de sabotage derrière les lignes ennemies. Et l’Armée de l’Air a obtenu les armes nucléaires les plus meurtrières de tous, montées sur des missiles de croisière, des missiles balistiques et des bombardiers.
À la fin des années 1980, les États-Unis comptaient plus de 20 000 armes nucléaires et prévoyaient en utiliser près de 400 pour frapper des cibles à Moscou. L’Union Soviétique a construit un mélange similaire de forces tactiques et stratégiques pour dissuader les États-Unis – et avait plus de quarante mille armes nucléaires à la fin de la guerre froide.
Aujourd’hui, la Russie et les États-Unis possèdent environ quatre-vingt-dix pour cent des quelque 15 000 armes nucléaires du monde, maintenant des arsenaux suffisamment vastes et divers pour atteindre diverses cibles. L’administration Trump recherche de nouvelles armes tactiques à faible rendement. Le retour des armes tactiques est l’aspect le plus controversé de Trump’s Nuclear Posture Review. La nouvelle politique suppose que les armes tactiques américaines décourageront l’utilisation des armes tactiques russes, élevant « le seuil nucléaire » et rendant moins probable « l’emploi nucléaire ». Sam Nunn, ancien président du Comité sénatorial américain des services armés et co-président fondateur de la Nuclear Threat Initiative, craint que les risques d’accidents, d’erreurs de calcul et d’erreurs avec des armes tactiques – ainsi que la pression de les utiliser ou de les perdre au combat – augmentent considérablement le risque d’une guerre nucléaire totale.
La course aux armements de la guerre froide entre les États-Unis et l’Union soviétique a été remplacée par une compétition nucléaire multipolaire, avec une dynamique beaucoup plus instable. La Russie est confrontée à de possibles attaques nucléaires de la part des États-Unis, de la Chine, de la France et du Royaume-Uni. L’Inde doit s’inquiéter de la Chine et du Pakistan. La Chine doit dissuader les États-Unis, l’Inde et la Russie. La Corée du Nord se sent menacée par les États-Unis, tandis que certains politiciens au Japon et en Corée du Sud préconisent de développer leurs propres armes nucléaires pour contrer celles de la Corée du Nord. Le terrorisme nucléaire constitue une menace mondiale. Et tout le monde, semble-t-il, déteste les États-Unis.
De plus, les conséquences d’une guerre nucléaire pourraient être encore plus dramatiques que tout ce qui avait été anticipé pendant la guerre froide. Dans les années 1980, l’astronome Carl Sagan attira l’attention du public sur le danger de « l’hiver nucléaire », un changement climatique soudain et extrême qui serait précipité par la poussière et les débris qui montaient dans l’atmosphère comme des nuages de champignons des villes oblitérées. Selon diverses études, une guerre entre l’Inde et le Pakistan, impliquant une centaine de bombes atomiques, pourrait envoyer cinq millions de tonnes de poussière dans l’atmosphère, réduire la couche d’ozone jusqu’à 50%, faire chuter les températures mondiales à leur point le plus bas depuis mille ans, créer des famines mondiales, et causer plus d’un milliard de victimes.