La péninsule coréenne : incertitude en la demeure

Extrait d’ANTOINE PERRAUD, Médiapart. 26 avriL 2018

 

Pour l’heure, la région ressemble sinon à une poudrière, du moins à un salon de l’armement à ciel ouvert : présence des trois premières armées du monde (États-Unis, Chine, Russie), de la 7e (Japon), de la 12e (Corée du Sud) et de la 23e (Corée du Nord).

La situation plaide en faveur d’un statu quo, à condition que Pyongyang renonce à toute expansion par la force ainsi qu’à toute prolifération nucléaire et que Washington n’envisage plus la chute du régime nordiste au nom de prétendues valeurs démocratiques à exporter – de plus en plus délicat à défendre au vu des expériences proche-orientales et des verrouillages sino-russes : chaque régime doit avoir toute latitude chez soi ; ce qu’est sans doute prêt à entendre Donald Trump plus que tout autre président yankee…

Dans ce théâtre d’ombres empli de feintises, où la propagande le dispute aux symboles, il est à noter qu’après avoir été deux fois la puissance invitante en 2000 et 2007, la Corée du Nord fait un pas vers le Sud. Le sommet n’a certes pas lieu à Séoul, mais dans un entre-deux : sur la ligne de démarcation entre les Corées fixée par l’armistice de 1953 (aucune paix n’a été signée depuis). Les discussions sont ainsi prévues à Panmunjom, « village de la trêve » selon l’appellation sudiste. L’endroit s’avère épicentre du dégel en cas de détente ou, au contraire, des crispations en cas de tension – en 1976, l’émondage d’un arbre avait tourné à la boucherie

Le diable se nichant dans les détails, Tokyo pointe la décoration afférente au dessert qui sera servi par le Sud à ses homologues du Nord à Panmunjom. Une mousse de mangue sera en effet présentée avec un tralala gastronomico-géographique qui reste au travers de la gorge du Japon : non seulement la péninsule est réunifiée, mais elle anschlusse les rochers Liancourt (îles Takeshima en japonais et Dokdo en coréen), possession nippone régulièrement revendiquée par Séoul et vice versa… Attention ! La Corée du Sud et le Japon n’ont établi des relations diplomatiques qu’en 1965, l’empereur du Japon a longtemps été prié en vain par Séoul de présenter des excuses pour ses exactions coloniales (seul le mot « regret » sortait du gosier impérial), et les citoyens sud-coréens, dans leur majorité, se défient davantage de leur ancien despote japonais que de leurs malheureux frères nordistes.

Non seulement Tokyo craint un possible retournement d’alliance, mais a une hantise : que Trump se désengage de la région fort d’un succès diplomatique ayant donné l’impression d’avoir obtenu la dénucléarisation de la Corée du Nord. Le Japon serait alors seul face à quatre puissances liguées contre lui : la Chine, la Russie et les deux Corées. Cauchemar absolu ! Mais tout n’est pas perdu : la Chine ne verrait pas d’un bon œil que Pyongyang soit laissé la bride sur le cou, sans avoir davantage besoin du patronage vital de Pékin…

D’où une forme d’alliance objective entre Tokyo et Pékin pour que demeure suffisamment de discorde dans le dossier coréen, histoire d’éviter une réconciliation trop vive et rapide, qui serait dommageable aux grandes puissances habituées à diviser pour régner. C’est à cette aune qu’il faut interpréter la fuite dans la presse d’un point de détail crucial émanant des services chinois : le site ayant servi à Pyongyang pour effectuer ses six derniers essais nucléaires n’a pas résisté à de tels chocs et s’avère désormais inutilisable. Si bien que Kim Jong-un a beau jeu d’annoncer qu’il l’abandonne, puisqu’il était de toute façon obligé de lever le camp nucléaire. Trump aurait donc tort de tomber dans un tel piège, qui ne peut aboutir qu’à un marché de dupes…

Enfin signer un traité de paix

La partie est beaucoup plus serrée qu’en 2000 : Pyongyang a désormais la carte nucléaire en main. Et quelle carte ! Durant la première année de la présidence Trump, la Corée du Nord a pu procéder à vingt tests de missiles balistiques – contre huit pendant la première année de la présidence Obama. Cependant, aujourd’hui, la pression qu’exerce un Donald Trump au début de son premier mandat n’a rien à voir avec la diplomatie d’un Bill Clinton en fin de second mandat voilà dix-huit ans.

Un protocole sur la dénucléarisation du Nord – reste à convenir de ce que cela recoupe exactement – ne peut être conclu qu’à l’occasion du sommet comptant le plus aux yeux de Pyongyang : la rencontre prévue dans quelques semaines entre Kim Jong-un et Donald Trump. Que reste-t-il à négocier et à rendre public ? Le retour aux bonnes résolutions du passé. La mesure la plus symbolique pourrait être l’abandon par Pyongyang du fuseau horaire que ce pays est le seul au monde à utiliser, connu sous l’appellation UTC+08:30 et qu’imposa dans sa grande fureur Kim Jong-un en 2015, pour introduire un décalage incongru d’une demi-heure avec le Sud.

La décision la plus spectaculaire consisterait à enfin signer un traité de paix en bonne et due forme, 65 ans après l’armistice de Panmunjom, entre les deux Corées – c’était déjà un engagement dont avait accouché le second sommet intercoréen de 2007. Dans la foulée, Séoul pourrait promettre de renoncer aux grandes manœuvres annuelles que l’armée américaine et l’armée sud-coréennes organisent au nez et à la barbe du Nord, qui en prend à chaque fois ombrage.

Le but ultime de Kim Jon-un, que son homologue sudiste Moon Jae-in ne verrait pas d’un mauvais œil tant la présence yankee est pesante – en particulier à Séoul –, serait que Washington en arrive à annoncer un retrait de ses troupes, alors redistribuées sur des bases japonaises. Mais là encore, seul le sommet des sommets, avec Trump, pourrait en décider.

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