La puissance diasporique, source vive d’une solidarité sans frontières

Une partie de la salle composée notamment de personnes de la diasporas @ crédit photo Forum International Solidarité et Développement - FISD
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Maria Kiteme, correspondante

À l’heure où les crises et les conflits géopolitiques se multiplient, les modes de coopération évoluent profondément à l’échelle mondiale. La hausse des mouvements de population et le nombre croissant de personnes réfugiées amènent à repenser les modèles traditionnels de l’aide. Dans ce contexte, l’implication des diasporas s’impose comme un pilier essentiel de la solidarité internationale. Leur fine connaissance du terrain et leur capacité d’action constituent de puissants leviers pour bâtir des ponts durables entre les communautés, ici comme ailleurs.

Le 4 juin, le Grand Rendez-vous des États généraux québécois de la solidarité internationale de l’AQOCI a ouvert un espace de dialogue essentiel afin de définir des stratégies communes face aux défis mondiaux à venir. Avec la collaboration avec le Forum international solidarité et développement (FISD) et Terre sans Frontières, ce panel a mis en lumière le rôle unique que peuvent jouer les diasporas dans la coopération internationale.

Qu’elles quittent leur pays d’origine pour des raisons temporaires ou permanentes, les diasporas transportent avec elles leurs cultures et leurs valeurs, et continuent à les faire vivre, même dans des conditions d’accueil parfois difficiles. En réunissant des spécialistes principalement du Québec, la rencontre a permis de partager des expériences concrètes menées en Afrique, en Amérique latine, dans les Caraïbes et ailleurs. Comme l’a rappelé la panéliste Marcela Escribano, présidente de Katalizo, « le Sud n’est pas seulement un lieu géographique ; le Sud est partout ».

Bâtir des ponts entre les mondes

Longtemps perçues à tort comme un simple groupe issu de l’exil ou de l’immigration forcée, les diasporas constituent aujourd’hui des groupes essentiels et pluriels de la coopération internationale. Ce sont des communautés riches en compétences et en expériences capables de bâtir des ponts entre leur pays d’origine et leur pays d’accueil. Même sans pouvoir toujours retourner physiquement sur le terrain, les diasporas contribuent concrètement au changement à travers le lobbying, l’activisme local ou encore la mobilisation citoyenne.

C’est à travers une fine connaissance des réalités locales et à des réseaux d’influence politiques ou sociaux que l’aide diasporique permet un gain de temps et d’efficacité considérable pour la mise en œuvre de programmes de coopération. Ces groupes en viennent même à favoriser l’atténuation du choc culturel qui accompagne souvent les interventions en outremer. Comme le rappelle Alpha Touré : « leur capacité à naviguer entre plusieurs mondes culturels constitue une valeur ajoutée essentielle pour constituer des équipes efficaces et respectueuses des contextes locaux ».

Au-delà des grandes ONG internationales, de larges réseaux diasporiques sollicitent des collectes de fonds et le transfert de savoir-faire avec la collaboration d’organisations locales actives à l’international, dont Terre sans Frontières. Cette organisation s’appuie sur des ressources canadiennes, notamment de professionnel·le·s, afin de favoriser le transfert de compétences et renforcer ses partenariats ailleurs. Ses contributions vers les pays du Sud global s’organisent tant en développement qu’en situation d’urgence, en assurant un accès durable à l’éducation, à la santé et à des moyens de subsistance décents.

Par les transferts de fonds, le soutien à la famille ou aux projets communautaires, les diasporas irriguent leurs pays d’origine et participent à un développement inclusif, loin d’une vision paternaliste où seuls les organismes du « Nord » apporteraient leur aide. Cette dynamique permet de s’éloigner d’une approche du « white savoir », en valorisant la capacité d’agir et la résilience des communautés elles-mêmes. Comme le souligne Sophie Zala Kanaza, issue de la diaspora congolaise, il est fondamental de « chercher les compétences au sein même des diasporas, sans tomber dans le simple affichage symbolique ni le tokénisme ».

Freins et paradoxes d’un engagement diasporique

Malgré leur potentiel considérable, les diasporas font face à plusieurs défis freinant leur pleine contribution à la coopération internationale. Parmi eux, la sous-représentation reste marquée, y compris au sein de leurs propres communautés, où leurs compétences sont parfois dévalorisées au profit d’une expertise perçue comme plus légitime, souvent « blanche » ou « occidentale ».

Cette remise en question de leur leadership se double de pressions sociales et familiales : des proches, marqués par l’exil et un héritage traumatique, peinent à comprendre leur désir de repartir aider un pays qu’eux-mêmes ont fui. De leur côté, les communautés locales s’interrogent : « Pourquoi revenir alors que nous rêvons de partir ? », illustrant la complexité de ces allers-retours solidaires.

Enfin, la fragmentation interne des diasporas freine leur capacité d’action collective. Trop souvent, les initiatives restent portées individuellement, sans parvenir à créer de synergies à plus grande échelle, ce qui limite leur impact. Consolider les réseaux, renforcer la collaboration et mieux arrimer les projets apparaît crucial pour structurer une force de frappe durable.

À cela s’ajoutent les défis liés à la contrainte du temps : l’action humanitaire et le développement international exigent un investissement constant et soutenu. Certains projets encadrent des mandats plus courts, « […] de six à douze mois, afin de valoriser une participation plus flexible. », explique Marie Denise Léger Samson. Or, des mandats trop courts peuvent empêcher une réadaptation réelle au contexte local, sans permettre aux personnes de se réconcilier avec la population, ou même leur propre parcours.

Diasporas en action : des réussites qui inspirent

Certaines initiatives illustrent avec force l’impact décisif des diasporas et des partenariats équitables. Marcela Escribano évoque le projet de sensibilisation à la situation des paysan.nes sans terres au Brésil en raison de fortes inégalités, menées grâce à des liens solides avec des partenaires du milieu. Grâce à des contacts étroits avec des partenaires du Brésil et à l’implication de la diaspora brésilienne du Québec, ce projet a fait émerger une dynamique porteuse d’égalité et de solidarité Nord-Sud.

Pour sa part, Marie Denise développe le projet AGIR, créant des espaces de dialogue structurés entre Montréal et Haïti renforçant une gouvernance inclusive et valoriser la voix de la diaspora haïtienne. Ce projet a permis à Marie Denise de renouer un lien fort avec Haïti, en dépassant le sentiment de distance et parfois de décalage avec la réalité locale. Comme elle le souligne, « on parle souvent du rêve américain, mais le rêve haïtien est tout autant possible ».

Enfin, il est essentiel de rappeler que la diaspora n’est pas un bloc homogène : elle est composée de vagues successives de migrations, de générations entières, de jeunes, de professionnel.les. À chaque vague, de nouvelles compétences et de nouvelles ressources, qu’il serait judicieux d’intégrer plus systématiquement dans les stratégies de coopération internationale.

Marie Denise rappelle qu’il reste encore de vastes perspectives à explorer : la coopération internationale gagnerait à lever les barrières et à investir pleinement ces « îles » de ressources que représentent les diasporas, en mettant en place des structures de suivi, d’évaluation et d’apprentissage adaptées. La diversité des parcours, des expériences et des identités au sein des diasporas est une richesse, et non un obstacle. Autant de pistes qui, ensemble, tracent la voie d’une coopération internationale plus inclusive, plus efficace, et résolument tournée vers l’avenir.

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