Les prochaines élections présidentielles américaines seront déterminantes pour l’accès à l’avortement dans les pays à faibles revenus qui reçoivent du financement des États-Unis. En effet, l’élection du Parti républicain pourrait mener à la restitution d’une politique étrangère antiavortement du nom de Protecting Life in Global Health Assistance (PLGHA).
Au cours de sa première année de mandat, en 2017, l’ancien président américain Donald Trump a rapidement instauré la PLGHA. Cette politique faisait suite à une longue lignée de politiques similaires surnommées Global Gag rule (règle du bâillon mondial).
La règle du bâillon mondial a eu des impacts majeurs sur la santé des femmes dans plusieurs pays à faibles revenus. Candidate au doctorat en santé publique à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, j’étudie l’accès à l’avortement en milieu sécuritaire en Afrique Sub-Saharienne, sous la direction du professeur Thomas Druetz. Je propose ici une synthèse des résultats d’études ayant examiné cette politique et une critique des enjeux éthiques qu’elle soulève.
La règle du bâillon mondial
La règle du bâillon mondial a été abrogée par chaque nouveau gouvernement démocrate et réinstaurée par chaque nouveau gouvernement républicain depuis 1984.
Initialement instaurée par le gouvernement Reagan, cette politique obligeait les organisations non gouvernementales (ONG) non américaines à certifier qu’elles ne pratiqueraient pas et ne feraient pas la promotion de l’avortement si elles souhaitaient recevoir un financement du gouvernement américain. En 2017, elle a non seulement été réinstaurée par le gouvernement Trump, mais sa portée a été considérablement élargie. Cette nouvelle version s’intitulait Protecting Life in Global Health Assistance.
Effectivement, dans les versions antérieures de la politique, les restrictions liées à l’avortement n’étaient imposées qu’aux ONGs financées par des fonds d’aide à la planification familiale provenant de l’agence des États-Unis pour le développement international (USAID). À titre d’indication, ce fonds représentait un montant d’environ 600 millions USD, en 2017.
Sous le gouvernement Trump, les restrictions ont été élargies tant et si bien qu’elles s’appliquaient désormais aux ONGs financées par tout fonds d’aide en santé mondiale provenant de tout département ou agence du gouvernement américain. Or, l’enveloppe de ces fonds était près de 15 fois supérieure, et s’élevait en 2017 à un montant total annuel de 8,8 milliards USD. Les ONGs qui souhaitaient pouvoir bénéficier de ces fonds devaient alors se conformer aux restrictions.
Une diminution de l’offre de services d’avortement et de contraception
Dans plusieurs pays à faibles revenus, le secteur non gouvernemental est considérablement impliqué dans la fourniture de services de santé reproductive.
Devant choisir entre la certification de la PLGHA ou le refus de s’y conformer, plusieurs ONGs ont vu leurs activités perturbées. D’un côté, les ONG certifiant la PLGHA ont dû cesser d’offrir des services liés à l’avortement. D’un autre côté, celles refusant de la certifier se sont vu imposer des coupures considérables.
Les services d’avortement et de contraception étant souvent offerts par les mêmes ONGs, les coupures ont également affecté l’offre de contraception. Deux des ONGs les plus importantes dans le domaine de la contraception, International Planned Parenthood Federation et MSI Reproductive Choice ont notamment refusé de certifier la politique.
Des études de l’Université Colombia et de Population Action International (PAI) rapportent une désorganisation et une fragmentation des services de santé sexuelle et reproductive, un blocage des activités de sensibilisation sur le sujet ainsi qu’une perturbation des programmes de formation des prestataires de santé sur l’avortement sécuritaire.
Une étude de l’institut Guttmatcher a noté une réduction de l’offre de services de contraception, ainsi qu’une augmentation de 6,1 % des ruptures de stock de contraceptifs sous la PLGHA en Éthiopie.
Une augmentation du recours aux avortements non sécuritaires
Ces réductions dans l’offre de services d’avortement et de contraception par les ONGs affectées n’ont pas été sans conséquences sur la santé des femmes. Plutôt que de réduire le recours à l’avortement, tel qu’anticipé par ses créateurs républicains, la règle du bâillon mondial a plutôt eu l’effet inverse.
Une étude de l’Université Stanford démontre que sous l’administration Bush (2001 à 2008), le recours à l’avortement dans les pays bénéficiaires de fonds états-uniens a connu une augmentation brute de 4,8 avortements par 100 000 femmes-années. Une diminution de la capacité des femmes à planifier leurs grossesses en raison de la réduction de l’offre de contraceptifs serait à l’origine de ce phénomène, les forçant à avoir davantage recours à l’avortement, et souvent à des méthodes non sécuritaires.
Bien que les impacts de la PLGHA de Trump sur le recours à l’avortement n’aient pas encore été clairement établis, plusieurs études indiquent des effets similaires.
Une étude de l’Institut Guttmatcher note une réduction de l’utilisation des contraceptifs modernes sous la PLGHA en Éthiopie, ainsi qu’une stagnation des progrès dans la réduction des grossesses et des grossesses non désirées en Ouganda, notamment dans les districts les plus exposés à la politique.
Les mêmes auteurs ont identifié une augmentation de 15.5 % de patientes admises à l’hôpital pour des soins post-avortement en Ouganda, suggérant une augmentation des complications liées aux avortements et, indirectement, une augmentation du recours aux avortements non sécuritaires. En effet, en restreignant l’accès aux avortements sécuritaires, la PLGHA a forcé les femmes a se tourner vers des méthodes plus risquées. Les femmes marginalisées et vulnérables auraient été particulièrement affectées par la politique.
Abus de pouvoir et néo-colonialisme : une entrave au droit à l’autodétermination des pays concernés
Les droits à l’avortement ont considérablement progressé mondialement depuis la fin des années 1990. Bien qu’il ait été entièrement illégal dans de nombreux pays par le passé, la majorité des pays du monde ont maintenant légalisé l’avortement dans certaines circonstances.
Il convient donc de souligner qu’en s’opposant au cadre juridique de plusieurs pays, la PLGHA va à l’encontre du principe éthique de l’autodétermination.
En effet, cette politique entrave la fourniture de services d’avortements dans des pays où l’avortement a été légalisé par décision des autorités locales. En 2016, 37 pays sur 64 recevant du financement américain avaient des lois nationales autorisant l’avortement dans des circonstances non autorisées par la PLGHA.
L’exportation d’idéologies par les États-Unis au-delà des frontières américaines peut être considérée comme un impérialisme moral rendu possible par une position économique favorable.
Alors que le domaine de la santé mondiale tente de s’éloigner des dynamiques de pouvoirs entre le nord global et le sud global, cette politique reproduit ouvertement un néo-colonialisme destructeur.
À quoi s’attendre si Trump est réélu ?
Alors que les sondages affichent une lutte serrée entre Kamala Harris et Donald Trump, les deux candidats à la présidence américaine, les organisations luttant pour améliorer l’accès à l’avortement dans les pays à faibles revenus devraient s’inquiéter.
Bien que des discussions aient eu lieu sous le gouvernement Biden pour abroger de façon permanente la PLGHA, aucune mesure concrète n’a été prise jusqu’à présent.
La position du Parti républicain sur le droit à l’avortement se radicalise, comme en témoigne le candidat à la vice-présidence, J.D. Vance, qui s’est positionné pour l’interdiction nationale de l’avortement aux États-Unis. S’il est réélu, il est attendu que Trump réinstaure la PLGHA.
Il est également probable que le parti républicain élargisse encore davantage sa portée, comme cela a été recommandé par Project 2025– une série de propositions recommandée par une coalition d’organisations conservatrices.
Project 2025 recommande notamment d’élargir les restrictions à tout fonds d’aide étrangère, aux ONGs américaines, aux instances publiques étrangères et aux ententes bilatérales entre gouvernements, affectant potentiellement un montant de 51 milliards de dollars.
Ces ajouts pourraient mener à une réduction encore plus prononcée des services d’avortement et de contraception accompagnée d’une augmentation probable de la mortalité maternelle, en plus d’entraver la coordination de systèmes de santé déjà précaire.