Travailleur·euses d’Amazon manifestant devant le National Labor Relations Board à New York en octobre 2021 @ Joe Piette CC BY-SA 2.0 via WikiCommons

Une entrevue de Léo Palardy avec Justine Medina pour le Journal des Alternatives

Léo Palardy a participé à la délégation du Journal des Alternatives à la conférence No War, But Class War à New York. Il a rencontré Justine Medina, travailleuse au site Amazon JFK8 à New York et qui est impliquée dans l’organisation du syndicat Amazon Labor Union.

Léo Palardy – JdA-PA. À quoi ressemblent les conditions de travail dans les entrepôts Amazon ?

Avant de joindre l’Amazon Labor Union, Justine Medina, à droite, fut organisatrice centrale de campagne d’Alexandria Ocasio-Cortez, à gauche, membre, députée de Democratic Socialists of America (DSA) sous la bannière démocrate.

Justine Medina: Les conditions de travail chez Amazon sont horribles. À Amazon JFK8, il y a sans cesse des blessures et des ambulances visitent l’entrepôt presque tous les jours. Et ce ne sont que les blessures qui sont déclarées, d’autres sont complètement ignorées par la compagnie.

Une enquête a démontré qu’il y a deux fois plus de blessures chez Amazon que le ratio normal de blessures dans un entrepôt semblable et qu’il est plus élevé que le ratio de blessures dans l’industrie moderne d’extraction du charbon.

Dans d’autres entrepôts, des gens sont littéralement morts au travail. Les quarts de travail sont de 10 à 12 heures, au moins quatre jours par semaine. Durant les périodes de pointe, nous sommes forcé·es à faire du surtemps. On doit alors travailler 60 heures par semaine en étant toujours debout. Amazon cherche constamment à accélérer la production et à imposer des rythmes très rapides. Les travailleur·euses ne sont pas en mesure de s’asseoir, même si ce sont des personnes âgées, voire handicapé·es ou enceintes.

Très souvent, Amazon viole la loi en refusant de donner des accommodements ou de les respecter s’il y en a. C’est un des principaux problèmes que le syndicat cherche à régler. Nous défendons les personnes lésées devant les ressources humaines afin qu’elles obtiennent les accommodements dont elles ont besoin. Nous veillons à ce qu’elles connaissent leurs droits, notamment celui de refuser de travailler si on leur demande d’exécuter un travail dangereux ou si leurs accommodements ne sont pas respectés.

L.P. À propos du cadre juridique, est-ce la législation qui est mauvaise ou est-ce plutôt qu’elle n’est pas appliquée ? Ou peut-être une combinaison des deux ?

J.M. Un peu des deux. La législation n’est définitivement pas assez forte. Depuis Taft-Hartley, qui est une loi qui remonte à 1947, au début du Red Scare 1, les pénalités envers les compagnies qui brisent le code du travail sont très légères : ce ne sont qu’une petite tape sur les doigts pour ces méga corporations. Il est aussi très difficile de les faire appliquer. Le Labor Department et le National Labor Relations Board ont tous les deux été sévèrement sous-financés. Ça prend des années pour faire appliquer ces lois par la Cour. En conséquence, les compagnies violent la loi constamment.

Le cadre légal est toutefois utile comme outil d’agitation et de sensibilisation. Dans l’État de New York, par exemple, nous avons soutenu l’adoption d’une loi appelée la Warehouse Worker Protection Act, qui assure le respect de droits de base. Par exemple, si vous travaillez dans un entrepôt, vous avez le droit d’aller aux toilettes ou d’aller boire de l’eau sans vous faire renvoyer. Ce qui vient en même temps réduire le rythme de la production bien entendu.

Avec le Warehouse Worker Protection Act, c’est aujourd’hui devenu plus difficile pour Amazon de mettre des gens à la porte pour avoir eu recours à un droit prévu dans la loi, surtout lorsqu’on demande son respect en affirmant : « Non, ce sont mes droits ! ». On se sert du code du travail comme un outil de lutte. Bien sûr, une application plus forte de la loi et des lois plus contraignantes seraient utiles aux travailleur·euses.

L.P. À propos du nombre d’heures de travail par jour, y a-t-il des restrictions aux États-Unis ? Et si oui, est-ce qu’Amazon les respecte ?

J.M. Au niveau fédéral, après avoir travaillé 40 heures, vous devez être payé·es en temps supplémentaire et on ne peut pas travailler plus de 60 heures par semaine pour un travail unique. Certains États calculent le surtemps en fonction du nombre d’heures par jour, mais la plupart le font par semaine. C’est ainsi qu’Amazon réussit à imposer des journées de 12 heures. Ils respectent la loi de cette manière.

Cependant, Amazon est aussi très reconnu pour faire du vol de paye, surtout vis-à-vis de ses chauffeur·euses. Ils refusent de leur donner les bonus et les pourboires qui leur sont dus. Amazon trouve aussi des moyens d’éviter de payer quand il y a des blessures et travaille très fort à voler une partie des salaires des travailleur·euses tout en semblant respecter la loi.

L.P. Et face à cela vous vous organisez ?

J.M. Oui, nous le faisons, ou du moins nous y travaillons.

L.P. Vous avez eu des succès ?

J.M. Dans certains cas, oui. Amazon JFK8 a été le premier entrepôt Amazon en Amérique du Nord à réussir à se syndiquer 2. La décision du National Labor Relations Board aux États-Unis est une très grande victoire considérant qu’il s’agit d’un entrepôt de plus de 5000 travailleur·euses. Plus récemment, un autre emplacement, un centre de livreur·euses a réussi à se syndiquer sous les Teamsters, ce centre emploie par sous-traitance environ 150 travailleur·euses.

Mais ce n’est pas tout, il y a beaucoup d’autres mobilisations qui ont lieu en même temps. Il y a présentement des comités dans près d’une centaine d’Amazon à travers les États-Unis. Certains essaient de se syndiquer, mais d’autres cherchent simplement à faire de l’agitation contre les politiques d’Amazon. Il peut s’agir d’enjeux de racisme, de sexisme, d’homophobie ou de transphobie. Il y a aussi la campagne du mouvement No Tech For Apartheid, qui lutte entre autres contre les politiques pro-guerres et pro-apartheids d’Amazon, qui supporte l’IDF par le biais de contrats avec l’armée américaine.

L.P. Avec cette lutte directe pour de meilleures conditions de travail, est-ce que la conscience de classe des travailleur·euses se développe ?

J.M. Je peux définitivement dire qu’à mon entrepôt, le JFK8, la conscience de classe est beaucoup plus forte qu’il y a trois ans. Vous savez, même si le syndicat est toujours faible en termes de participation des membres, il y a une conscience de classe qui se développe chez les travailleur·euses. Certain·es commencent à dire qu’iels méritent d’être mieux payé·es. D’autres résistent individuellement à travailler dans des conditions dangereuses. D’autres encore commencent à refuser de travailler dans d’autres entrepôts par lesquels iels n’ont pas été embauché·es.

Parfois les travailleur·euses reprennent les arguments du syndicat, mais même si ce n’est pas toujours le cas, on sait que nous avons fait un bon travail sur le plan de l’éducation aux droits. Quand j’ai commencé à travailler à JFK8, j’allais voir les gens et je leur parlais du mouvement et du combat syndical. La plupart n’en n’avaient jamais entendu parler et ne savaient pas vraiment ce que voulait dire être syndiqué·e. Depuis ce temps, nous voyons définitivement une progression dans la conscience de classe ainsi que dans le combat collectif. La prochaine étape est simplement d’organiser ces travailleur·euses de manière à les unir et à passer à l’action.

L.P. Merci beaucoup pour votre disponibilité.

J.M. Vous êtes le bienvenue.

  1. Peur Rouge, expression qui veut caractériser le sentiment qui prévaut dans la population américaine durant la période de l’offensive anticommuniste et antisyndicale du sénateur McCarthy aux États-Unis.[]
  2. Au Québec, c’est le 10 mai 2024 que fut reconnu un premier syndicat chez Amazon au Canada par le Tribunal administratif du travail, suite au dépôt de signatures majoritaires par la CSN : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2072208/syndicat-entrepot-amazon-laval-canada[]