L’accord de libre-échange Europe-Canada, deux ans plus tard

Guillaume Hébert, extrait d’une fiche socio-économique publiée par l’IRIS, octobre 2019,

Le 30 octobre 2016, après sept années de négociations, l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne entente (AÉCG) était signée entre le Canada et l’UE. L’accord est entré en vigueur en septembre 2017, résultant en l’abolition de 98 % des barrières tarifaires restantes – une grande proportion ayant déjà été abolie – entre l’UE et le Canada. L’accord est appliqué de façon « temporaire », sous réserve de ratification des parlements, puisqu’il est entré en vigueur avant que tous les pays membres ne l’aient ratifié et donc avant que les parlementaires élus des pays engagés n’aient pu se prononcer sur son contenu.

Dès son entrée en vigueur, un membre de l’UE, la Belgique, a demandé à la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) de se pencher sur cet accord, et plus spécialement sur le mécanisme de règlement des différends. Elle s’inquiétait de perdre son autonomie dans sa capacité de légiférer sur son sol. La cour a rendu son jugement le 30 avril dernier, concluant que l’accord est compatible avec le droit de l’UE.

Selon la CJUE, il permet aux États membres de conserver leur autonomie et contient des garanties suffisantes pour qu’ils puissent légiférer, notamment sur la question des droits des personnes et de l’environnement. Comme toute entente commerciale toutefois, il contient des dispositions qui permettent aux entreprises de poursuivre des gouvernements pour des lois, des décrets ou des règlements qu’ils mettent en place. Des décisions prises par un gouvernement démocratiquement élu peuvent ainsi devoir être défendues devant un tribunal de commerce dont des juges sont nommés par d’autres pays.

Même si la CJUE a donné un avis favorable à l’AÉCG, plusieurs se demandent encore aujourd’hui si le jeu en vaut vraiment la chandelle.

L’AÉCG est une entente de « nouvelle génération », puisqu’il ne porte « pas seulement sur la libéralisation des échanges et l’accès aux marchés, mais également sur plusieurs nouveaux enjeux dans les accords de commerce, comme les services, l’investissement, les marchés publics – notamment ceux des États fédérés et des municipalités –, la mobilité des personnes, la propriété intellectuelle1 », etc.

La dimension canadienne

L’AÉCG a aboli des droits de douane entre le Canada et l’Union européenne (UE) et protège les investisseurs privés contre des limites au commerce que pourraient imposer les élus des différents pays engagés.

Depuis son entrée en vigueur il y a deux ans, la balance commerciale (la valeur des exportations moins celle des importations) du Canada avec ses principaux partenaires au sein de l’Union européenne a diminué de 22,1 %.

La balance commerciale s’est néanmoins fortement améliorée (+125,2 %) dans le secteur de l’énergie, transformant le Canada d’importateur net en exportateur net vis-à-vis l’UE. La balance commerciale s’est aussi améliorée dans le secteur des produits minéraux (+12,5 %).

À l’inverse, durant la même période, la balance commerciale s’est dégradée dans les secteurs des produits alimentaires (-40,9 %), produits forestiers (-38,5 %), équipements de machinerie industrielle (-37,1 %),   produits de plastiques et de caoutchouc (-34,9 %),  et produits de consommation (-21 %).

L’AÉCG, un traité de libre-échange qui devait aider les PME à atteindre de nouveaux marchés tout en contribuant à diversifier l’offre de produits aux consommateurs canadiens, a plutôt contribué à la croissance d’une industrie devenue le fer de lance de la politique canadienne aux dépens de ses engagements environnementaux : le pétrole.

Les entreprises canadiennes, selon les données disponibles deux ans après l’entrée en vigueur de l’AÉCG, n’étaient vraisemblablement pas prêtes à conquérir des parts de marché en Europe, à l’exception des sociétés pétrolières.

Quel bilan?

Deux ans après l’entrée en vigueur de l’AÉCG, on observe qu’il a été bénéfique pour les entreprises européennes et pour l’industrie canadienne du pétrole brut. Les PME manufacturières, pourtant courtisées par le gouvernement fédéral lorsqu’il cherchait des appuis dans ses négociations avec l’UE, ont eu du mal à tirer leur épingle du jeu et ne semblent pas en voie de reprendre du terrain. À la lumière de ces constats, est-ce que les gains pour la collectivité découlant de cette entente seront plus grands que les pertes encourues ? Tout semble indiquer pour le moment que l’intérêt de cet accord concerne des secteurs limités de l’économie canadienne et que les principaux bénéficiaires en sont les entreprises européennes. Qui plus est, l’environnement semble le grand perdant de cet accord, paradoxalement désigné comme « de nouvelle génération ». Alors que les gouvernements affirment volontiers accorder désormais une place déterminante aux considérations environnementales, celles-ci semblent ne pas avoir pesé lourd lors de la conception de l’AÉCG.

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