L’Afghanistan : nouveau terrain du jeu chinois

Le Wakhan et son couloir, dans l'est de l'Afghanistan - Ninara @CC BY 2.0 via Flickr

Nicolas de Bellefeuille, correspondant en stage

Le pays est aux prises avec une pauvreté très importante, qui s’est aggravée dès août 2021, date à laquelle les rebelles talibans ont pris le contrôle de la capitale, dans ce qui sera surnommé la « Chute de Kaboul ». Selon le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), en 2024, 85 % de la population vivait avec moins d’un dollar par jour.

Le régime taliban cherche tout de même à améliorer son économie, malgré le PIB en chute et malgré son incapacité à récupérer les pertes économiques depuis 2021. Celui-ci peut compter sur un territoire riche en ressources naturelles pour lui donner un souffle, qui fait tourner les têtes de quelques-uns de ses voisins. Par exemple, en septembre 2024, l’Ouzbékistan a signé un contrat de 2,5 milliards de dollars américains d’importations avec son voisin du sud.

Mais Kaboul souhaite renforcer ses liens avec un voisin bien plus imposant que l’ancien territoire soviétique : la Chine. Nonobstant une frontière de moins de 30 kilomètres les séparant à l’est, la puissance orientale a exprimé son intérêt de travailler avec l’Afghanistan. Et cela doit passer par le corridor du Wakhan, une bande montagneuse d’à peine 13 kilomètres de large.

Localisation du corridor – via WikiCommons

Pourquoi ce corridor ?

Initialement désignée pour séparer l’Inde britannique (Raj) de l’Union soviétique, Pékin a les yeux rivés sur le Wakhan. Le régime chinois souhaite affirmer une certaine autorité sur les pays d’Asie Centrale, dont l’Afghanistan et lui permettre de devenir un pôle commercial important. Elle désire de plus renforcer la sécurité de ses frontières. La crainte des groupes terroristes dans la région ouïgoure du Xinjiang, qui jouxte le corridor, lui suffit pour s’y intéresser et, potentiellement, y installer des forces armées comme ce qu’elle aurait fait au Tadjikistan, en 2016.

De plus, elle souhaite remettre au goût du jour une route datant d’au moins deux mille ans : la route de la soie. Ce projet, différent de la mythique route, prévoit plusieurs couloirs économiques en partance et à destination de la Chine, dont celui avec le Pakistan. Lors de discussions en 2023, les deux pays se sont montrés favorables à l’intégration de l’Afghanistan dans ce couloir, et le corridor du Wakhan est la seule façon pour l’empire du milieu de l’inclure.

Ce couloir pourrait également faciliter le transport de ressources minières, alléchantes pour une Chine qui connaît déjà bien les rouages de ce milieu. En 2023, 540 millions de dollars américains sont signés pour lui permettre d’exploiter les gisements de l’Amou Daria, un fleuve délimitant la frontière nord de l’Afghanistan. Puis, en 2024, le projet d’exploitation de la mine de cuivre de Mes Aynak, près de la frontière pakistanaise est remis en marche, après seize ans de retard.

Mais les talibans, qui touchent du bout des doigts leur rêve de devenir une puissance économique d’Asie centrale, se voient freinés dans leurs démarches. Ayant entamé la construction d’une route dans le couloir, celle-ci ne peut être terminée en raison d’un manque de fonds, selon le Washington Post..

Un écho à l’Afrique

Ce rêve chinois n’est pourtant pas nouveau. L’Afrique vit ces mêmes développements économiques, mais avec des enjeux et des ressources qui sont différents.

En République démocratique du Congo, au Kenya, au Nigeria et ailleurs sur le continent, la puissance asiatique laisse sa marque. Ces pays ont pour point commun d’avoir traversé, ou de traverser des situations difficiles pour la population : une pauvreté, une guerre civile ou encore un manque d’infrastructures sont les raisons des investissements répétés par Pékin.

Grâce au souhait commun de se détacher de la mentalité occidentale, en particulier celle des États-Unis, les deux régions ont su forger des liens de confiance importants et capitaux pour leur PIB respectifs. Si bien qu’en 2000 naît le Forum sur la coopération sino-africaine, un sommet annuel où l’on discute des perspectives économiques entre les deux partenaires.

En échange de l’exploitation de minerais et d’hydrocarbures, la Chine construit des routes, des ports, des chemins de fer et même des centrales géothermiques (au Kenya, en l’occurrence). Tout cela pour offrir au continent une transition vers l’avenir des grandes puissances économiques.

Une Chine néocoloniale ?

Comment la deuxième économie mondiale redéfinit-elle les horizons du néocolonialisme ? Rappelons que le concept du néocolonialisme fait référence à une domination économique et politique sans colonisation directe, et où un pays en développement devient dépendant de celui qui exerce ce pouvoir. Au Djibouti, un pays entouré par l’Éthiopie, la Chine a construit une première base militaire navale en échange d’une route ferroviaire entre la capitale Djibouti et Addis-Abeba, celle de l’Éthiopie.

Avec cette installation maritime, la République populaire élargit sa perspective au Moyen-Orient et dans l’océan Indien. Mais cet avantage a des conséquences économiques pour le Djibouti. En 2022, le pays devait près de 90 % de sa dette à son principal investisseur, un montant difficile à rembourser pour un pays qui, en 2023, n’affichait que 4,1 milliards de dollars américains, d’après Trading Economics.

Kaboul n’a pas encore reçu d’investissements majeurs de la part de son voisin
de l’Est (moins de cinq milliards de dollars américains). Toutefois, d’ici peu,
l’Afghanistan pourrait se retrouver avec une dette comme au Djibouti. C’est ainsi
que le colosse oriental redessine les frontières du néocolonialisme, par une
forme de domination économique basée sur des accords mutuellement
bénéfiques!