LAURE BROULARD, Médiapart, 26 août 2018
« La migration est et a toujours été une réalité de notre sous-région. Ici, nous faisons face à plus de trois millions de réfugiés. Le nombre d’Africains partant pour l’Europe est minime. » Caroline Njuki ne cache pas son scepticisme face à ce qu’elle rechigne aujourd’hui à appeler la « crise migratoire » européenne. Le secrétariat régional pour les déplacements forcés et la migration qu’elle dirige a été établi en 2016 pour soutenir et approfondir les actions de l’Igad concernant les déplacements de populations en Afrique de l’Est et dans la Corne de l’Afrique.
Outre les mouvements transfrontaliers de populations nomades telles que les Massaï, les Somalis ou les Pokot, la région abrite en effet deux des cinq pays produisant le plus grand nombre de réfugiés du monde, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) : le Soudan du Sud, avec 2,4 millions de réfugiés, et la Somalie, avec près d’un million de réfugiés. Ces populations déplacées sont majoritairement réparties dans des camps en Ouganda, en Éthiopie et au Kenya, qui comptent parmi les plus importants pays d’accueil du continent.
Ce sont ces populations, forcées de quitter leur foyer à cause de conflits ou de crises politiques, qui représentent aujourd’hui le plus grand défi pour la communauté internationale, assure Caroline Njuki : « Le nombre de personnes quittant notre région pour des raisons strictement économiques est peu important. Beaucoup de migrants appelés “migrants économiques” à leur arrivée en Italie n’avaient pas choisi l’Europe comme première destination. Lorsque les populations doivent quitter leur foyer à cause d’un conflit ou tout autre type de menace, leur première étape est le plus souvent un pays voisin. Tout simplement car c’est moins cher, que ces pays sont culturellement plus proches et qu’ils n’ont jusqu’ici jamais fermé leurs portes aux réfugiés. »
Cependant, beaucoup de pays comme le Kenya et l’Éthiopie ont depuis longtemps mis en place des politiques qui cantonnent les réfugiés dans des camps, dans des conditions difficiles, poussant certains migrants à chercher une vie meilleure ailleurs. Certains Somaliens ont ainsi passé toute leur vie dans le camp de Dadaab, troisième ville du Kenya en taille et en nombre d’habitants.
Pour les Érythréens arrivés en Éthiopie, c’est souvent la même chose. « La perspective de ne jamais pouvoir quitter un camp, de ne pas pouvoir accéder à l’éducation supérieure ou à tout type de formation est extrêmement décourageante. Rappelons que la moyenne d’âge du migrant africain vers l’Europe est de 25 ans. Ce sont des personnes qui refusent de voir leurs rêves mourir. Nous devons trouver le moyen de leur offrir des perspectives et un avenir au sein de notre région. »
Cette universitaire prône donc davantage de liberté de mouvement entre pays est-africains, ainsi que des mesures permettant aux réfugiés d’accéder au marché de l’emploi. « Aujourd’hui, nous ne nous attaquons pas aux causes premières de la migration. Nous renforçons les contrôles aux frontières, tandis que nous devrions travailler à la stabilité politique et au développement. Les projections démographiques pour l’Afrique en 2050 sont effrayantes en ce sens, s’il n’y a pas d’opportunités adéquates sur le continent. »