Mary Louise Malig et Pablo Solón, Systemic Alternatives, 17 septembre 2019
Dans la vie, tout a un cycle. Un début, un milieu et une fin. L’année 2001 a été marquée par le succès emblématique des manifestations de Seattle contre l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui ont inspiré de nombreuses personnes, non seulement parce qu’elles ont encerclé la réunion ministérielle de l’OMC à Seattle, mais parce qu’elles ont montré qu’il était possible de construire un front uni entre les étudiants, les travailleurs, les femmes, les personnes racisées qu’on pouvait combattre pour la justice et même gagner. Par après s’est développé le mouvement qu’on a appelé anti-mondialisation.
C’est de là que l’idée du FSM a pris forme en 2001. Il fallait cibler le Forum économique mondial et renforcer les mouvements. En 2003, le résultat fut d’organiser une marche mondiale contre la guerre en Irak avec de 6 à 11 millions de personnes dans au moins 650 villes du monde.
Par la suite, cette énergie du FSM a faibli. Certains accuseraient une bureaucratie qui s’était formée dans les couloirs du Forum ; d’autres remettraient en cause la nature participative du FSM avec la hausse des coûts pour les mouvements qui ne disposaient pas de millions de dollars. Les dates ont été changées : le Forum économique mondial n’était-il plus la cible?
Plus important encore, le FSM s’est enfermé dans un bourbier. Étions-nous là pour parvenir à un consensus et convenir d’un objectif, en concentrant tous nos efforts collectifs pour l’atteindre? Tout comme la marche de 2003 contre la guerre en Irak. Pourrions-nous accepter, par exemple, que tous travaillent à faire dérailler l’OMC? Ou peut-être que l’Amazonie était la priorité, et ainsi de suite. Cependant, certains ont soutenu que le FSM était un espace. Un espace pour discuter, débattre et partager des idées et des luttes. Ce fut le début de la lente disparition du grand FSM.
Comme indiqué précédemment, tout a un cycle. Mais certains se sont accrochés, comme si le FSM était un but en soir
Ce n’est pas unique au FSM. Nous, êtres humains, avons tendance à nous attacher aux choses et aux espaces que nous avons réalisés et à prolonger leur existence au-delà de leur durée de vie ou de leur objectif. Cela a été le cas de nombreuses campagnes, réseaux, mouvements et alliances qui ont joué un rôle très important dans leurs moments et contextes particuliers, mais qui traînent aujourd’hui leur existence sans pertinence significative.
Il n’y a aucune faute à être fier de rendre possible quelque chose de grand, de novateur et d’inspirant. Mais cela ne fait pas de sens refuser de continuer pour continuer. Pour reformuler Gramsci, la crise réside justement dans le fait qu’avec les anciens refusant de mourir, les nouveaux ne peuvent naître.
Le Conseil international du FSM doit reconnaître qu’il a complété son cycle et qu’au lieu de traîner ce processus en utilisant temps, énergie et ressources, il devrait être fier de ce qui a été accompli et lui donner maintenant la mort digne qu’il mérite. Le FSM ne sera pas oublié. En fait, il deviendra une référence pour les années à venir. Aujourd’hui, les mouvements sociaux ont pu arrêter de différentes manières l’avancée du néolibéralisme et ont même donné naissance à différents types de gouvernements progressistes qui ont eu quelques succès mais qui n’ont pas réussi à construire des alternatives structurelles au néolibéralisme, pour ne pas dire le capitalisme, l’anthropocentrisme et le patriarcat.
Nous sommes au cœur d’une crise systémique beaucoup plus profonde que celle dans laquelle nous nous trouvions lorsque le premier FSM a eu lieu en 2001. Cette crise systémique concerne tout le monde, les partis politiques de gauche, les organisations sociales, les activistes, les intellectuels. Nous devons réfléchir à nos erreurs par action ou par omission. Nous devons sortir de la justification que tout est la faute de l’impérialisme, de la droite et des forces néolibérales. Nous faisons également partie du problème.
Avec la fin du FSM, un grand nombre de fleurs d’idées et d’innovations pousseront partout. Nous ne devons pas sous-estimer le pouvoir de l’imagination, de l’invention et surtout, de la résistance et de l’espoir.
Un autre monde possible n’est pas un simple cri de ralliement; C’est un objectif auquel nous travaillons tous activement, de diverses manières. Cela ne mourra pas avec le FSM. Le FSM a accompli beaucoup. Il a inspiré et continuera d’inspirer les générations à venir. Aussi, sa fin n’est pas un moment triste.