En octobre 1960, Washington décrétait un embargo contre Cuba. D’abord limité aux exportations, il devait l’étendre à partir de février 1962 aux importations. Il présentait ces sanctions comme une riposte aux expropriations décrétées par le gouvernement cubain. Mais des documents internes révèlent que l’objectif était de semer le chaos, de prendre le peuple cubain en otage et de l’affamer afin de le pousser à se soulever. Cela faisait de l’embargo une mesure foncièrement immorale. Washington croyait que le « castrisme » ne pourrait survivre à cette opération d’étranglement. L’île était en effet, en 1959, dépendante du marché états-unien pour les trois quarts de ses exportations et importations. Il fallut instaurer le carnet de rationnement pour assurer une distribution équitable et à prix subventionnés des aliments essentiels. Et trouver un marché pour le principal produit d’exportation, le sucre, et un fournisseur pour le pétrole.
À Washington, la chute de l’URSS et la disparition des partenaires est-européens ont ravivé l’espoir dans l’efficacité d’une mesure qui avait fait grand mal, sans parvenir toutefois à dresser le peuple contre son gouvernement. L’effondrement et la reconversion du commerce ont désorganisé l’économie, entraînant des pénuries de toutes sortes, une chute de la production faute de pétrole, de matières premières ou de pièces de rechange. Deux lois vinrent renforcer l’embargo à partir de 1992 et de 1996. La seconde prétendait donner aux mesures une portée extraterritoriale et surtout faisait du Congrès une instance incontournable de tout processus d’abrogation, retirant à l’exécutif des prérogatives qu’il détenait jusqu’alors. Le blocus a atteint son paroxysme sous le gouvernement Trump qui édicta plus de 240 mesures contre Cuba, dont beaucoup annulaient les assouplissements adoptés à la fin de la présidence Obama. Surtout qu’elles frappaient un pays qui devait faire face à une pandémie, rendant plus difficile l’importation d’équipements médicaux et sanitaires.
Cet ensemble de mesures coercitives unilatérales participe du crime de génocide, selon la Convention de Genève de 1948, et du crime de lèse-humanité, selon le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Il constitue une violation systématique du droit à l’autodétermination du peuple cubain, du principe de l’égalité souveraine des États, de la liberté de commerce.
Souffrances généralisées
Il n’y a pas de famille cubaine ni de secteur qui n’ait pas souffert des effets du blocus : au niveau de la santé, de l’alimentation, des services, du prix des produits, des relations familiales, etc. 80 % des Cubains ont vécu depuis leur naissance sous le blocus. Il aura occasionné des préjudices qui s’élèvent, depuis son instauration, à près de 150 milliards en dollars. Les coûts qu’il occasionne en 12 heures équivalent à toute l’insuline que requièrent les 60 000 patients en une année.
Ce 23 juin, Cuba reviendra à la charge devant l’ONU avec une résolution réclamant la levée du blocus. Les États-Unis seront à nouveau sur la sellette, pour la 29e fois, et encore une fois ils seront isolés, impuissants à justifier une politique aussi ignoble. Une campagne inédite aura mobilisé cette année la société civile à travers le monde pour dénoncer le blocus. Des caravanes ont circulé dans les capitales et plusieurs villes, y compris aux États-Unis et au Canada.
Des élus au Congrès réclament la levée des mesures touchant le commerce. Le sénateur Ron Wyden, président du Comité des finances, a qualifié récemment l’embargo de « vestige des années 1960 ». Plus de 19 conseils municipaux ont adopté des résolutions en vue de son retrait. C’est un débat qui fait mal paraître les États-Unis dans la mesure où le blocus répond à une finalité contraire au droit international et à la morale, une violation systématique de droits fondamentaux qui, comble de cynisme, a échoué en 60 ans à contrer l’orientation de Cuba au plan économique et politique.