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Claire Comeliau, correspondante en stage

Le 9 septembre dernier, lassée du népotisme et de la corruption du régime, la jeunesse népalaise est descendue dans la rue pour réclamer ses droits. Ce qui devait être une manifestation pacifique a rapidement tourné au cauchemar : 76 innocents ont perdu la vie et le premier ministre a démissionné avant de fuir le pays.

Une République naissante, mais une corruption invétérée

Entre l’Inde et la Chine se niche le Népal, ancienne monarchie de 30 millions d’individus. C’est à l’issue de la guerre civile entre 1996 et 2008 que naît la République fédérale démocratique du Népal. Le parti communiste maoïste népalais, vainqueur du conflit, promet de rendre le pouvoir absolu au peuple assujetti par un régime corrompu. Une nouvelle constitution a été adoptée en 2015.

Pourtant, dès lors, la pauvreté, les inégalités et la corruption des élites persistent. Le taux de chômage des 15 à 24 ans a été évalué à 20,8 % par la Banque mondiale, contraignant des centaines de milliers de personnes népalaises à l’expatriation pour trouver un travail. Les transferts de fonds depuis l’étranger constituent un tiers du PIB du pays. La frustration partagée d’une jeunesse désespérée, pourfendeuse d’un pouvoir inégalitaire, a fini par se manifester dans les rues de Katmandou le 9 septembre dernier.

Un mouvement avant tout citoyen et non politique

Jasmine Ojha appuie sur l’essence apolitique et le caractère collectif du soulèvement de la Gen Z qui n’a ni figure emblématique ni leader.

Jasmine Ojha

Elle affirme résolument « Nous comptons rester un mouvement citoyen, et non un parti politique — une force morale qui rappelle à celles et ceux qui gouvernent que la nation appartient à son peuple, non à ses politicien·nes. » Les jeunes souhaitent seulement rendre la politique plus honnête, participative et responsable devant le peuple.

Le mouvement symbolise l’unité et la frustration collective d’une génération éreintée de voir toujours les mêmes visages monopoliser le pouvoir. L’usage abusif des ressources publiques — tirées des impôts — à des fins personnelles est devenu intolérable pour la population qui voit le fossé se creuser entre la vie citoyenne ordinaire et celle privilégiée des élites politiques et de leur entourage.

De la frustration est née l’action. Les revendications sont claires : dénoncer la corruption, l’abus de pouvoir et l’absence de reddition de comptes dans les institutions de l’État. Il est nécessaire d’amender la Constitution pour qu’elle reflète réellement la voix et les aspirations de la nouvelle génération.

Jasmine réitère : « Notre but n’est pas de conquérir le pouvoir, mais de restaurer la responsabilité, la transparence et l’intégrité dans la gouvernance. » Toutefois, elle reconnaît qu’une restructuration pourrait être nécessaire pour assurer la pérennité du mouvement. Si tel était le cas, cela se ferait par une consultation populaire démocratique afin d’assurer inclusion et représentativité.

Une révolte à l’ère du numérique

Rébellion organisée sur les réseaux sociaux, élection de la première ministre intérimaire Sushila Karki sur Discord… La place prépondérante de la technologie dans ce mouvement questionne légitimement le risque d’exclusion de celles et ceux qui n’y ont pas accès. Jasmine reconnaît que l’ampleur du soulèvement tient aux réseaux sociaux, mais souligne la nécessité de diversifier les moyens d’action. Des bénévoles travaillent déjà à combler le fossé entre mobilisations en ligne et engagement sur le terrain en organisant des discussions communautaires, des visites locales et des dialogues publics pour que les décisions de la Gen Z reflètent la voix de toute la population népalaise et pas seulement celle de la génération connectée. La technologie est un moyen de coordination, mais pas d’exclusion.

L’ampleur et la violence inattendues du mouvement

Personne ne s’attendait à ce que les évènements du 9 septembre prennent une telle ampleur. Mouvement populaire d’un peuple qui réclame justice et un avenir meilleur, ce n’était en aucun cas une tentative de coup d’État. La manifestation, censée être pacifique, s’est transformée en véritable bain de sang : 76 innocents ont été tués et des centaines blessés.

Jamais le mouvement de la Gen Z n’a soutenu la violence ou les actes de vandalisme : le seul but était de revendiquer une démocratie qui protège ses citoyens et citoyennes, pas qui les réduit au silence. Cette tension soudaine vient de la douleur d’un peuple réprimé plutôt qu’écouté — non d’un désir de chaos. C’était un cri désespéré pour la justice et le changement.

Le mouvement, né d’une prise de conscience collective, est uni par un objectif commun : changer le système. Sa force réside dans ses valeurs et sa diversité plutôt que dans une hiérarchie. Une structure souple, mais une vision claire : bâtir une nation où la transparence et l’égalité ne sont plus des revendications, mais des réalités. La violence subie et les tentatives de répression ont montré le prix de la parole libre et ont renforcé la solidarité. L’enjeu dépasse la peur. Loin de s’affaiblir, le mouvement a mûri : les jeunes sont plus stratégiques, plus unis et plus déterminés à ce que les sacrifices du passé ne soient pas vains.

Postérité du mouvement depuis les évènements

Plus de quarante jours après les évènements, le gouvernement n’a répondu à aucune des revendications ni pris la moindre mesure concrète. La population continue de vivre dans la peur et dans un sentiment d’absence d’État. La confusion et la méfiance règnent. La première ministre a aggravé la défiance du public en proposant la nomination de figures controversées comme ministres. Cette ancienne juge en chef n’a toujours pas engagé de dialogue avec les partis politiques concernant les élections de mars. Pourtant, la mission d’un gouvernement intérimaire est de créer un climat propice à leur déroulement. Elle a choisi de dissoudre le Parlement, décision jugée inconstitutionnelle par les grands partis politiques tels que le Congrès népalais et le UML (Unified Marxiste-Leninist) qui ne reconnaissent pas sa direction. Sushila Karki ne se présentera pas aux élections, ce qui rend sa position symboliquement faible.

Dans un pays où l’avenir politique semble suspendu, la jeunesse népalaise a déjà tranché : sa révolte ne s’éteindra pas avec la peur.

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Et ci-dessous pour le balado publié sur le site du journal :

Le cri d’une génération : au Népal, la jeunesse réclame justice

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