Pour son vingtième anniversaire, le Forum social mondial tiendra, une fois de plus, son édition en parallèle de celle du Forum de Davos. Loin d’être épargné par la pandémie, l’événement se déroulera cette année en ligne — avec au programme des panels de discussion portant sur la justice économique et sociale, le féminisme ou encore l’environnement. Vingt ans après les débuts du Forum à Porto Alegre au Brésil, Le Devoir propose un regard sur ce qu’est devenu l’altermondialisme — ce mouvement porté par la vision selon laquelle un autre monde est possible.
Cette année, plus de 6000 participants sont attendus au Forum social, se réjouit Carminda Mac Lorin, membre du Conseil international du FSM. La tenue de l’événement — du 23 au 31 janvier 2021 — a pourtant bien failli être compromise en raison de la pandémie. « Cette année, ce qui est incroyable, c’est que toute l’organisation du forum s’est basée sur des personnes volontaires. On a bâti tout ça en seulement quelques mois. Pour moi, c’est une preuve de mobilisation. »
Certes, l’engouement pour l’événement est moins important qu’il ne l’était à ses débuts, reconnaît toutefois Mme Mac Lorin. « Le monde a changé depuis la naissance du Forum au Brésil », mais les revendications, si elles ont fluctué au gré du temps, restent toujours en ébullition, croit-elle.
Le Forum à l’épreuve du temps
« Le Forum a beaucoup évolué au fil des ans », constate Raphaël Canet. À la fois expert et militant de longue date, le professeur de sociologie au cégep du Vieux Montréal a participé à toutes les éditions du Forum social mondial depuis 2004, a agi comme co-coordonateur général de celle qui s’est tenue au Québec en 2016 et siège à son conseil international de direction.
« Au début, c’était surtout une histoire d’intellectuels qui se voyaient comme une avant-garde éclairée qui devait expliquer les grands enjeux “aux masses”. Puis c’est devenu un espace de rassemblement que se sont approprié ses participants », explique-t-il.
Comme porté par une vague, le mouvement de lutte pour la justice sociale a élargi ses horizons aux questions environnementales, à la cause féministe ou encore aux droits des peuples autochtones.
Accompagnée de l’élection de nouveaux gouvernements de gauche en Amérique latine et ailleurs, cette montée en force a culminé lors de la dernière crise financière avec le mouvement Occupy Wall Street et le printemps arabe… avant de retomber. « Le printemps arabe a largement été un échec. Et Obama a été remplacé par Trump, et [le président brésilien de gauche] Lula par [Jair] Bolsonaro », soupire Raphaël Canet.
L’expert et militant se garde bien toutefois de parler d’un échec complet. « On n’est manifestement pas parvenus à construire cet autre monde qu’on disait possible », reconnaît-il volontiers, mais plusieurs des idées portées par le Forum social mondial ont fait leur chemin, y compris dans de grandes institutions internationales comme le Fonds monétaire international, ou même au Forum de Davos, qui en appellent tous deux aujourd’hui à une réduction pressante des inégalités et à un virage vert.
Il faut dire que la colère populaire sur laquelle surfe le populisme de droite des dernières années est largement le résultat des défaillances du système que le Forum social mondial dénonce depuis le début.
« On a l’habitude, au Forum, de dire qu’on est tannés d’avoir raison », dit Raphaël Canet. La pandémie de COVID-19 et les mesures extraordinaires déployées par les gouvernements pour en freiner la progression et en réduire les dommages lui donnent espoir. « C’est la preuve qu’ils peuvent procéder à de grands changements lorsqu’ils le jugent nécessaire. Et le manque de volonté politique reste le principal obstacle à l’avènement d’un monde meilleur. »
Un mouvement divisé
Le Forum, bien qu’il se soit toujours voulu rassembleur, ne fait pourtant pas l’unanimité — même au sein du mouvement altermondialiste. L’une de ces voix discordantes est celle du militant de longue date Jaggi Singh, qui se décrit d’ailleurs davantage comme « un anticapitaliste without apology, qui ne s’excuse pas » plutôt que comme un « altermondialiste. »
Sans jeter la pierre au Forum, Jaggi Singh explique ne s’y être jamais identifié. « Mais mes critiques et celles des autres envers le Forum n’ont jamais été amères, ça n’a jamais été de dissuader les gens d’y participer », précise-t-il. Le militant reproche cependant au FSM d’avoir été, dès ses balbutiements à Porto Alegre, trop institutionnalisé, trop proche du politique, et pas assez axé sur « la base », c’est-à-dire la société civile, à son goût. « Au début, l’ADN du Forum, c’était le Parti travailliste du Brésil, c’était ATTAC de France… Il y avait même une blague à l’époque, c’était de dire que c’était des hommes blancs barbus », se souvient-il.
Quand le politique se mêle à la société civile, il y a de « la récupération », croit M. Singh. « On ne convainc pas un tigre de devenir végétarien », ajoute celui qui croit que la lutte pour la justice économique et sociale doit se penser « en dehors du cadre et du système actuels ». Or, comme à Davos, le politique s’est invité au Forum social mondial.
Louise Beaudoin fait partie de ces politiciens qui ont assisté aux toutes premières éditions du Forum au début des années 2000.
Alors ministre des Relations internationales et de la Francophonie dans le gouvernement du Parti québécois de Bernard Landry, elle a d’abord dû convaincre ses collègues du Conseil des ministres de l’utilité de participer à ce nouvel événement qui se posait en frère ennemi du fameux Forum de Davos, auquel le gouvernement du Québec avait l’habitude d’envoyer une délégation.
« Ça n’a pas été simple. Moi, j’avais toujours pensé que la mondialisation pouvait être une bonne chose, mais pas à n’importe quelles conditions. Je les ai convaincus qu’une petite délégation au Forum social nous permettrait de couvrir les deux visions sur le sujet, d’avancer notre projet de défense de la diversité culturelle, en plus d’affirmer la place du Québec sur la scène internationale. Mais la plus grande résistance est venue des syndicats québécois qui participaient aussi à l’événement. Ils estimaient qu’on n’y était pas les bienvenus, qu’on n’était pas assez sociaux-démocrates. Mais on s’est réconcilié rendu sur place. »
De ses deux participations à l’événement, Louise Beaudoin se souvient de nombreuses rencontres, notamment avec de futurs porte-étendard de la gauche en Amérique latine et en Europe, mais aussi de journées bien remplies passées aux côtés de Jacques Parizeau qui n’était plus premier ministre. « À cette époque, il était très intéressé par le problème de la croissance des inégalités. Il avait plaisir à aller d’atelier en atelier et de discuter de ce qu’il avait appris. »
Et demain ?
Qu’en est-il de la relève au Forum social ? Abir Samih, une jeune impliquée dans l’organisation du FSM, espère qu’il y aura une relève. « Ça date de 2001 et je vois une prédominance de ces ex-jeunes qui gardent le flambeau, souligne-t-elle. Or, c’est vraiment à nous de prendre la relève. On est la génération qui n’a plus le temps. On est la génération pressée parce qu’on n’a plus le choix d’agir », défend la jeune organisatrice.
Mais si la nouvelle génération ne s’implique pas nécessairement dans le Forum, elle n’en demeure pas moins mobilisée, en témoignent les manifestations en réaction à la mort de George Floyd, en ralliement au mouvement Black Lives Matter en 2020, ou les marches pour le climat menées aux quatre coins du globe en 2019 par la militante écologiste suédoise Greta Thunberg.
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