Le génocide palestinien à l’écran

Par Alexy Kalam

Entretien avec le cinéaste mexicain Rafael Rangel, dans le contexte de la présentation du film Gaza, la bande de l’extermination à Oaxaca

Avec des images et des séquences réunies en collaboration avec une équipe de photographes et de vidéastes dans la Bande de Gaza, l’essai cinématographique expose le génocide tel qu’il est. Au moment où il a connaissance des massacres commis par l’armée israélienne en octobre 2023, Rafael Rangel décide de suivre son intuition – laquelle lui vaut le surnom de « Werner Herzog mexicain » dans le milieu du cinéma – et monte dans un avion en direction de l’Égypte. À peine quelques mois après être parti au Proche-Orient pour documenter les exactions commises par l’armée israélienne, Rafael Rangel présente son film documentaire au Mexique.

Après une projection en avant-première quelques jours plus tôt à la Cinémathèque Nationale de Mexico, le film a fait salle comble à l’Institut des Arts Graphiques de Oaxaca. Une institution iconique où Rafael Rangel avait fait en 2015 la présentation de son film Un día en Ayotzinapa 43 (Une journée à Ayotzinapa 43) à l’invitation du fondateur de l’Institut, le grand maître Francisco Toledo.

En entrevue exclusive réalisée le lendemain de la projection dans un café de la ville de Oaxaca, le cinéaste raconte le périple qui allait le mener aux portes de Gaza. « J’ai établi des contacts avec des personnes vivant en Palestine et qui publiaient directement les faits à titre personnel sur les réseaux sociaux. »

Une initiative que prend le réalisateur au Mexique et qui le conduit à connaître le photographe de guerre Mahmoud M. Zagout. Celui-ci allait par la suite devenir son principal collaborateur pour la réalisation de Gaza, la bande de l’extermination.

« C’est pour nous un honneur d’avoir fait un pied de nez à la cinquième armée la plus puissante de la planète; nous avons produit le film et même en étant séparés par les barbelés de la frontière. »

Si Rafael Rangel s’est rendu en Égypte, c’était avec l’intention d’aller à Gaza. « J’en ai fait la tentative trois fois et ce fut impossible. On ne laissait entrer personne et encore moins des journalistes ou des personnes qui pouvaient être susceptibles de rendre compte de la situation. »

Témoignages historiques

La beauté et la noblesse de la ville palestinienne de Rafah. 

Un après-midi de soleil éclatant où quelques personnes partagent une tasse de thé, tandis que des enfants jouent dans les rues. Et soudain, l’horreur. Les bombes qui retentissent. Les bâtiments qui s’effondrent et les flammes qui surgissent. À travers les cris de terreur et les pleurs, les visages ensanglantés des victimes du bombardement israélien émergent à l’écran.

C’est avec une voix off que se succèdent les séquences du film. « Le film expose les faits et la réflexion appartient à qui le regarde. »  Autant d’images qui témoignent au-delà des articles et des nombres. Gaza, la bande de l’extermination montre le génocide et sa cruauté.

Une opération militaire qui met une nation à feu et à sang

Au-delà de l’horreur sans nom, le film dévoile l’humanité dans la tragédie. Les mots de l’enfant qui vient de perdre ses parents ou son ami ; le cri de douleur et de résistance des personnes qui survivent aux massacres d’Israël. « Jamais je n’aurais cru possible que l’humanité vive quelque chose de tel en plein XXIe siècle. »

C’est avec un public sous le choc de l’émotion qu’a eu lieu la projection à Oaxaca. Il pouvait être difficile de contenir ses larmes devant de telles scènes. « Il y a des images qui sont encore pires et davantage insupportables; j’ai choisi de ne pas les inclure dans le film ».

Le réalisateur ose décrire en entrevue l’une de ces séquences, filmées par un de ses collaborateurs. « On voit apparaître dans le désert les traces du passage d’un char d’assaut; celles-ci s’étendent avec un amas de viscères humaines dans une mare de sang. Les soldats juifs attachaient les victimes palestiniennes en file de manière à ce que les roues du char d’assaut leur passent dessus. »

Selon une étude de la prestigieuse revue scientifique The Lancet, les attaques israéliennes ont fait d’octobre à juin plus 186,000 morts à Gaza. Des exactions menées avec le soutien et la fourniture en armes des États-Unis. 

« L’heure est venue pour le monde de voir qui sont les vrais terroristes ».

Exemples de solidarité

Nour est une figure essentielle du film. À la lentille du cinéaste, la jeune femme courageuse offre un exemple de la résilience du peuple palestinien dans les camps de réfugiés.

Rafael Rangel a fait son travail à partir de ces camps frontaliers en Égypte. « Israël attaquait constamment les camions d’aide humanitaire, même s’ils se trouvaient du côté égyptien. Il y en avait des centaines à proximité des frontières et on vivait dans la crainte des bombardements ».

Par la suite, Mahmoud M. Zagout a réussi à rejoindre le cinéaste au Caire.

Le réalisateur souligne qu’il peut être très ardu de sortir de Gaza. « Ce sont plus de 8 000 euros qu’il a dû payer pour quitter la Palestine et je dois dire que je vois ici une situation très similaire à celle de la frontière entre le Mexique et des États-Unis, où les personnes migrantes doivent payer un coyote pour passer clandestinement. Ce sont les mêmes codes ».

Un enjeu que le réalisateur connaît bien, puisqu’il constitue le sujet d’un film qu’il a produit en 2018, El grito de los coyotes (Le cri des coyotes). « Mes films sont accessibles en ligne gratuitement; je veux que mon travail soit à la disposition du public et cela constitue une position politique ».

Il souligne que si se sont faites en si peu de temps la réalisation et la production de Gaza, la bande de l’extermination, c’est grâce l’équipe professionnelle palestinienne sur laquelle il a pu compter du début à la fin. « On était 5 personnes dans une chambre d’hôtel au Caire et on a fait le montage en un seul mois. Un exploit qui a eu lieu grâce à la capacité de travail extraordinaire de mes collaborateurs. »

Aujourd’hui, il rentre au Mexique avec un amour profond pour la Palestine. Il se réjouit du mouvement de solidarité qui se développe dans le pays et à Oaxaca.

S’il a entrepris une tournée au Mexique, Rafael Rangel révèle qu’il prévoit des projections dans différents pays. D’ailleurs, il affirme avoir eu des invitations afin de présenter son film au Canada. Assurément, il s’agit d’un film qu’on peut espérer voir à Montréal.

Article publié en espagnol sur le site Estado 20, traduit pour le Journal des Alternatives par l’auteur.