Photo de la côte somalienne.
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Mariam Jama-Pelletier, correspondante en stage

Le Somaliland, région autoproclamée indépendante depuis 1991, tente depuis plus de trois décennies d’obtenir une reconnaissance internationale en tant qu’État souverain distinct de la Somalie. Son autonomie, sa stabilité relative et son port sur le golfe d’Aden en font un acteur stratégique en Afrique de l’Est.

À Washington, certains élus républicains commencent désormais à tendre l’oreille. Le républicain Scott Perry est même allé jusqu’à présenter au Congrès un projet de loi intitulé Somaliland Independence Act, visant à reconnaître officiellement le Somaliland comme État souverain.

Sans oublier que cette région figurait déjà dans le controversé Project 2025, un vaste guide politique pour la présidence de Trump, publié en 2023 et rédigé par des personnalités conservatrices américaines. À la page 186, dans la section dédiée à l’Afrique subsaharienne, on peut lire : « la reconnaissance officielle de l’État du Somaliland comme levier stratégique face à la dégradation de la position américaine à Djibouti ».

Donald Trump, interrogé à la Maison-Blanche le 8 août dernier, a d’ailleurs dit « We’re looking into that right now, Somaliland ».

Toutefois, la reconnaissance officielle reste encore un pari risqué alors que l’administration Trump double les frappes aériennes en Somalie

Le Somaliland

Une grande partie de la population et des responsables du Somaliland ne s’opposent pas à la présence militaire américaine sur leur territoire, rapporte un article de la BBC publié en début d’année. Au contraire, beaucoup y voient une opportunité politique.  La BBC cite des adeptes de la région du président américain dans les rues du Somaliland, célébrant sa victoire électorale : « Donald is our saviour. He is a wise and practical man. God bless America.»  Certains espèrent même que le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche pourrait faire des États-Unis le premier pays à reconnaître officiellement leur indépendance.

Mais selon le politologue Julien Tourreille, chercheur en résidence à la Chaire Raoul-Dandurand de l’Observatoire sur les États-Unis, tempère l’enthousiasme de plusieurs. Selon lui, une telle reconnaissance nécessiterait un engagement diplomatique soutenu, une logistique complexe et une implication à long terme. Autant de choses dont le président américain n’est ni capable ni désireux d’entreprendre. Selon lui, le statu quo demeure le scénario le plus envisageable et le plus espéré par la Somalie.

M. Tourreille met aussi en garde contre les conséquences d’une telle décision. «Jouer avec la souveraineté, c’est prendre le risque de rouvrir la boîte de Pandore des frontières africaines.»

En bleu, la carte de la Somalie. En rouge, la région du Somaliland.

Frappes américaines en Somalie

Moins d’un mois après son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump fait de la Somalie l’un de ses premiers terrains d’intervention militaire dès février 2025. Des drones américains ont alors visé des positions de l’État islamique dans les montagnes de Golis, au nord-est du pays.

Trump a revendiqué lui-même l’attaque sur ses réseaux sociaux. Selon lui, un chef important du groupe terroriste a été tué. Fidèle à son style, il a publié la vidéo des frappes avec ce message : « Nous vous trouverons et nous vous tuerons ! ».

Le secrétaire à la Défense, Pete Hegseth, a ajouté qu’aucun civil n’avait été touché et que plusieurs djihadistes avaient été éliminés. Pour l’instant, aucune source indépendante n’a confirmé ce bilan.

Cette opération marque une rupture avec l’administration de Joe Biden, qui avait privilégié une approche plus discrète. Pourtant, les États-Unis n’ont jamais interrompu leurs actions en Somalie, notamment contre Al-Shabaab, un groupe affilié à Al-Qaïda. En 2019, Amnistie internationale dénonçait déjà le mutisme de l’armée américaine face aux nombreuses victimes civiles.

Des intérêts qui se croisent

À Mogadiscio, le président Hassan Sheikh Mohamud a salué l’opération comme la preuve d’un « partenariat solide » avec les États-Unis. Mais une lettre confidentielle, révélée par l’Associated Press, vient jeter un pavé dans la mare.

Datée du 16 mars 2025, elle propose à Washington un « contrôle exclusif » sur plusieurs infrastructures stratégiques : bases aériennes de Berbera et Baledogle, ports de Berbera et Bosaso.

Problème : certaines zones relèvent de l’administration du Somaliland et non du gouvernement central somalien. S’ajoute à cela le port de Berbera, situé sur le territoire auto-proclamé indépendant, confié à la gestion exclusive de Dubai Ports World, un géant émirati. Face à cette situation, le gouvernement du Somaliland dénonce une « ingérence injustifiée ».

Un geste politique autant que militaire

Pour plusieurs spécialistes, ce geste relève davantage de la communication politique que de la stratégie militaire. « Trump veut montrer sa puissance et rompre avec l’inaction perçue de l’ère Biden », explique le politologue Julien Tourreille.

Mais il reste sceptique : « L’opinion publique américaine n’acceptera pas un nouvel engagement massif. Les proclamations de victoire sont surtout de la communication. », rappelle-t-il.

Entre frappes militaires et tractations diplomatiques, l’avenir du Somaliland pourrait bien se décider à Washington plutôt qu’à Hargeisa, sa capitale autoproclamée.