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Soudan : les guerres sans fin d’un pays brisé — deuxième partie

Des campagnes coloniales du XIXᵉ siècle aux affrontements entre généraux rivaux d’aujourd’hui, le Soudan incarne l’un des conflits les plus longs et les plus complexes d’Afrique. Nous présentons ci-dessous la première partie d’une analyse de notre nouveau correspondant basé à Paris sur l’origine et les racines du conflit. – La rédaction

Clément Basnier Hermida, correspondant

Depuis la chute d’Omar Al-Bashir en 2019, le rêve démocratique s’est effondré. Le pays est aujourd’hui ravagé par la guerre entre le général Al-Burhan et le chef des FSR Hemetti, dans un conflit nourri par les ambitions militaires et les ingérences étrangères.

Plus de dix ans après la sécession du Sud, le Soudan reste prisonnier de ses divisions internes. Depuis avril 2023, le pays s’enfonce dans une guerre fratricide entre deux généraux issus du même appareil militaire : Abdel Fattah Al-Burhan, chef de l’armée régulière, et Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemetti, commandant des Forces de soutien rapide (FSR). Ce duel pour le pouvoir, nourri par des rivalités ethniques, économiques et géopolitiques, replonge le pays dans le chaos.

De la dictature d’Al-Bashir à la révolution de 2019

En 1989, Al Bashir, un officier militaire arabe et islamiste, a organisé un coup d’État et instauré une dictature dans un contexte de conflit avec les groupes sécessionnistes du Sud. Au cours de cette période, deux généraux ont joué un rôle important et ont marqué le début d’une période où l’armée a pris une place prépondérante dans le Soudan : Hemetti à la tête des FSR et Al-Burhan à la tête des services de renseignement militaire.

La dictature a duré jusqu’en 2019, lorsqu’une révolution pacifique organisée par différents collectifs professionnels a mis à genoux l’appareil sécuritaire soudanais. À ce stade, un gouvernement civico-militaire intérimaire dirigé par Hamdok, ancien haut fonctionnaire de l’ONU, a été mis en place. Cependant, les forces armées tenaient à conserver leurs privilèges et à éviter toute condamnation pour les exactions qu’elles avaient commises.

En 2021, Al-Bashir a tenté un coup d’État, mais a échoué. Un mois plus tard, Al-Burhan, nommé chef des forces armées et sympathisant islamiste, et Hemetti, chef des FSR, ont réussi à organiser un nouveau coup d’État.

La rupture entre frères d’armes

Un Conseil souverain a été mis en place, composé de forces militaires, civiles et rebelles, au sein duquel les deux dirigeants se sont disputé le contrôle politique, militaire et économique du pays. Les FSR d’idéologie nationaliste arabe et anti-islamiste ont mené des actions contre les ethnies non arabes au Soudan. Elles renforçaient leur pouvoir grâce au soutien de pays étrangers tels que l’Arabie saoudite et les Émirats Arabes Unis en prenant le contrôle des mines d’or.

De son côté, les forces armées soudanaises contrôlaient un cinquième du budget de l’État. Al-Burhan ordonna l’intégration des FSR dans les forces armées, mais Hemetti refusa, ambitieux d’accroître son pouvoir politique et économique.

Un pays déchiré entre ethnies et intérêts

La FSR est composée d’Arabes du Darfour et du nord du Darfour appartenant à la tribu des Rizayqat. D’autre part, la classe dirigeante de l’administration est composée de tribus arabes du nord du Soudan, autour du Nil, les Ja’alin, les Danagla et les Sha’iqiya. Ils considèrent les Arabes du Darfour comme des Arabes africanisés en raison de leur manque de développement économique et d’éducation coranique. Les groupes du centre et du sud de la région sont musulmans, mais non arabes.

De même, ce type de conflit intercommunautaire se produit également dans le sud du pays entre les communautés noires et catholiques qui ont tenté de s’unir face à la tentative d’imposition et d’arabisation par les communautés arabes du nord. Cependant, les communautés dinkas et Nuer continuent de s’affronter dans le sud à la suite de l’accord conclu entre les Dinkas et le gouvernement central.

Les crimes commis par les Janjawids au Darfour illustrent également l’intensité du conflit. Les milices janjawid, responsables d’exactions au Darfour, ont été protégés par l’administration, intégrées et rebaptisées FSR, gagnant puissance et financements devenant un acteur majeur au Soudan, un État dans l’État, avec ses propres aspirations politiques vis-à-vis du gouvernement national.

Enfin, les vastes ressources du pays sont également un facteur important pour comprendre la prolongation de la violence et la radicalisation de certaines situations (comme au Darfour après la découverte de mines d’or en 2012). Elles sont la pierre angulaire des luttes communautaires pour l’hégémonie politico-économique, ainsi que la principale raison de l’intervention des puissances étrangères.

Le Soudan est le troisième producteur d’or en Afrique. Ses ressources pétrolières sont également d’une importance fondamentale pour soutenir les activités des différents acteurs du conflit. Les deux forces dépendent largement de leurs alliés pour leur armement : Al-Burhan est soutenu par l’Égypte, les États-Unis et l’Iran, tandis que Hemetti est soutenu par les Émirats arabes unis, la marine nationale libyenne, l’Éthiopie et la Russie par l’intermédiaire de Wagner qui tend récemment à changer de camp.

Une guerre sous influences étrangères

Les parties cherchent à obtenir un soutien à l’étranger et dans leur pays pour imposer leur hégémonie. En 2023, à la suite de visites de dirigeants internationaux (Israël, Russie, États-Unis, France) cherchant à renforcer leurs intérêts économiques et stratégiques dans la région en soutenant l’un ou l’autre camp, la guerre a repris lorsque les FSR ont occupé Khartoum, affirmant vouloir maintenir la sécurité dans le pays. Les combats se poursuivent depuis lors, face à l’indifférence et à la négligence de la communauté internationale. Les deux camps disposant de capacités similaires, on s’attend à une longue guerre et à une catastrophe humanitaire prolongée.

L’indifférence internationale

Pendant ce temps, la situation humanitaire s’aggrave. Les combats à El-Fasher et à Khartoum ont fait des milliers de morts et plus de six millions de déplacés. Les ONG dénoncent des crimes de guerre et un risque de famine généralisée. Pourtant, la communauté internationale se limite à des condamnations verbales et à quelques sanctions.

En même temps, les États-Unis et les pays européens se sont consacrés à condamner et à imposer des sanctions sans prendre aucune mesure pour aider les forces démocratiques. Les pays de la région tels que l’Égypte, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite n’ont aucun intérêt à encourager la naissance de la démocratie au Soudan, par crainte de répercussions régionales.

Les souffrances soudanaises ont été silencées par la communauté internationale dans le but de satisfaire ses intérêts économiques et commerciaux ainsi que de par sa lecture coloniale des conflits en Afrique. Malgré la récente mise en lumière, les violences à El-Facher durent déjà 16 mois et suivent d’autres comme le génocide s’ayant produit au Darfour, sous le regard passif de la communauté internationale.