World money @ Japanexperterna.se CC BY-SA 2.0, 9 mai 2015 via Flickr

Nina Morin

En 2017, les pays les plus pauvres ont perdu 2 200 milliards de dollars à cause du système d’échanges commerciaux qui avantage les plus nantis. Si la théorie de l’échange inégal a été développée par Arghiri Emmanuel dans les années 1970,et revisitée au travers du système-monde d’Immanuel Wallerstein, est plus que jamais d’actualité.

La somme perdue aurait pu éradiquer la pauvreté 15 fois, mais au lieu de cela, ce sont les pays aisés qui en ont profité. Depuis 1990, les bénéfices annuels du Nord provenant de transactions inéquitables représentent 5,2 % de son PIB, bien au-delà de son taux de croissance annuel moyen. En clair, sans ces échanges inégaux, le revenu total du Nord aurait régressé au fil des décennies.

Cette exploitation s’est accentuée avec le temps. Dans les années 1960, le Sud perdait environ 38 milliards de dollars par an, soit un peu plus de 1 % de sa production totale. Pourtant, en 2005, les pertes des pays pauvres se chiffraient à près de 3 000 milliards de dollars, soit 9 % de leur production. (Sullivan, 2021).

Des théories avant-gardistes

Au cours des années 1960-70, Immanuel Wallerstein a largement contribué au développement des « théories de la dépendance » en introduisant celle du système-monde. Il décrivait le système international comme structuré en un centre (Amérique du Nord, Europe occidentale et Japon) qui exploite la périphérie (les pays en développement) en soutirant des matières premières, des produits tropicaux et une main-d’œuvre bon marché (Unequal Exchange, 2023).

Ce système maintient les pays périphériques dans une position de dépendance économique et les empêche de se développer pleinement, tout en enrichissant les pays du centre. Wallerstein rajoute que dans ce système, il y aurait un hégémon qui en ressort, et dominerait le système mondial économiquement et politiquement, en imposant ses règles et son propre avantage.

Après avoir vécu une quinzaine d’années au Congo, ce qui a beaucoup influencé sa pensée, Arghiri Emmanuel, quant à lui, avait introduit la théorie de « l’échange inégal ». Celle-ci postule que les pays les plus pauvres souffrent de taux de rémunération du travail inférieurs à ceux des pays les plus riches, même si la productivité est comparable.

En conséquence, pour un bien de la même valeur, les pays riches profitent davantage de l’échange, car les biens produits dans les pays pauvres ont un coût de travail moins élevé. Les pays riches, le centre, exploitent donc les pays pauvres, la périphérie, en tirant profit de la différence de salaire. Cette situation ralentit alors le développement local puisqu’ils n’ont que très peu de gains de travail (Alternatives Economiques, s. d.).

Une dynamique fondamentalement impérialiste

L’augmentation des échanges inégaux depuis plus de 50 ans est le résultat des politiques impérialistes du Nord sur le Sud Global.

L’installation violente de régimes militaires pour réprimer les mouvements syndicaux et sociaux au Sud dans les années 1960 et 1970, comme au Congo (1960), en Indonésie (1965) et au Chili (1973), a permis de supprimer les salaires et les prix. La déréglementation des marchés du travail et la réduction des effectifs dans les secteurs publics pour les pays du Sud

Le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque Mondiale dans les années 1990, les deux dirigés par le G7, ont imposé des politiques dites d’ajustement structurel, inspirées par le Consensus de Washington. Celui-ci a constitué une des assises des politiques néolibérales à l’époque. .

Une pression a également été mise sur les pays les plus pauvres afin qu’ils abolissent les droits de douanes, ce qui a entraîné un déclin de leurs secteurs industriels gérés par les populations locales. Le capital du Nord s’est ainsi imposé en monopole en dominant le marché international et en imposant ses conditions dans les échanges. (Sullivan, 2021). « Les pays du Nord se sont servi de la démocratie pour administrer les pays du Sud » résume Immanuel Ness, un professeur de science politique au Brooklyn College, City University of New York.

Un changement de dynamique à l’horizon ?

Depuis près de 35 ans, les dynamiques des échanges mondiaux ont été profondément modifiées par l’arrivée de la Chine sur le devant de la scène internationale. Celle-ci permet, pour la première fois dans l’histoire du capitalisme, une remise en question l’hégémonie occidentale ou plus particulièrement celle des États-Unis sur le commerce mondial – comme l’expliquait 50 ans plus tôt Wallerstein. Mais, il semblerait que les BRICS n’y seraient tout de même pas une alternative viable.

Pour en savoir plus :


 

Atelier «Unequal Exchange: Capitalism and Global Economic Inequality»

Panélistes Torkil Lauesen, Nemanja Lukić, Immanuel Ness, Joseph Mullen, Yasin Al-Amin, le dimanche 2 juin à New York.