Nous publions ici un texte inédit qui nous provient d’Afrique d’une personne observatrice des discussions internationales sur l’environnement. Ce texte nuancé présente un intérêt sur l’évaluation des impacts des conférences internationales sur des enjeux en environnement, du point de vue des pays du Sud. Pour protéger sa situation professionnelle, la signature est un pseudonyme.

Tach, février 2023

L’année 2022 a été marquée par une série d’événements internationaux autour de la problématique de l’environnement1. D’un côté, il s’agit d’un phénomène positif et encourageant, car cela démontre l’intérêt grandissant pour les questions environnementales dans le débat public. Toutefois, d’un autre côté, il y a lieu de se questionner sur leur importance réelle en comparant les gros investissements pour leur organisation et les impacts réels sur l’environnement. Cela fait des décennies que ces conférences internationales ont lieu de manière périodique alors que tous les indicateurs sont au rouge et la sonnette d’alarme est tirée pour attirer l’attention sur le fait que la planète s’enfonce à un rythme effréné de destruction des ressources naturelles … et la vie sur terre telle que nous la connaissons avec.

Qu’est-ce qu’une COP ?

Dans notre contexte, l’acronyme COP signifie conférence des parties (Conference Of Parties, en anglais). Ainsi la COP15 de la CBD signifie que c’est la quinzième conférence des parties à la convention sur la diversité biologique. C’est une réunion de grande envergure réunissant les États parties à une convention ainsi qu’une quantité d’observateurs et organisations intervenant dans le domaine. La COP est donc l’organe de décision d’une convention.

Il y a deux dimensions dont il faut tenir compte dans les COP, la partie exposition où les pays, les organisations, les universités, les projets, les communautés peuvent avoir un stand et dérouler un certain nombre de sessions en invitant les participants à la COP à y prendre part. Ce sont des espaces de partage, d’apprentissage, d’influence, de réseautage où il peut y avoir plus d’une centaine d’activités parallèles. Et la deuxième dimension la plus importante est celle des négociations qui ne concerne que les États parties et quelques observateurs qui sont habilités à contribuer aux discussions qui aboutiront aux textes finaux qui seront adoptés. Ces négociations sont parfois houleuses et au-delà de la voix individuelle des pays, des blocs se constituent en fonction de la position géographique et des intérêts communs afin de faire avancer les agendas. Par exemple, il existe le groupe africain de négociateurs (African Group of Negotiatiors – AGN) chapeauté par l’Union africaine, le Groupe des pays de l’Amérique latine et de la Caribes (Group of Latin American and Caribbean countries (GRULAC), l’Union Européenne, etc.

Des avancées dans la bonne direction

Les COP15 de la CBD et COP21 de la CCNUCC dont les résultats sont plus connus sous le nom d’Accord de Paris pour le Climat (2015) et le cadre mondial post 2020 pour la biodiversité/déclaration de Kunming-Montréal (2022) marquent des tournants décisifs dans la prise de conscience mondiale et la nécessité de l’action,  respectivement en faveur du climat et de la biodiversité. Cependant les actions subséquentes ne sont pas au rendez-vous, en tout cas pas à la hauteur du besoin.

En effet, le constat de la situation environnementale au niveau mondial est plutôt alarmant : selon l’IPV (Indice Planète Vivante), entre 1970 et 2018, la taille moyenne des populations de vertébrés sauvages a décliné de 69 %. Autrement dit, en moins d’un demi-siècle, les effectifs de plus de 32 000 populations de mammifères, d’oiseaux, d’amphibiens, de reptiles et de poissons ont chuté des deux tiers ! Certaines régions comme l’Amérique latine sont plus touchées que d’autres, mais aucune région n’est épargnée2. On parle d’ailleurs de 6e extinction de masse. Par ailleurs, selon le GIEC3, la température moyenne de la planète a augmenté d’1,1 °C depuis les débuts de l’ère industrielle, « un niveau de réchauffement qui n’a jamais été observé depuis au moins 2 000 ans ». Ce phénomène d’origine anthropique va non seulement accélérer la perte de biodiversité, mais il va entraîner la hausse du niveau global des mers, on a déjà constaté une élévation de 20 centimètres entre 1901 et 2018, ce qui est très inquiétant quand on sait que la plupart des grandes villes du monde sont côtières. Selon l’IPBES4, nous avons perdu 87 % des zones humides depuis le début de l’ère moderne — avec 54 % de pertes depuis 1900 pendant que le 7e continent de plastique au milieu de l’océan Pacifique fait déjà 1,6 million de km² et continue son chemin. L’objectif de cet article n’étant pas d’accabler, mais d’informer pour inciter à la prise d’actions individuelles et collectives, nous nous arrêtons là avec le rappel des chiffres clés sur l’état de l’environnement mondial. On parle désormais du concept de « nature positive »5.

afin d’inciter à des initiatives pour la réalisation des gains nets de biodiversités par la restauration des écosystèmes. L’idée est louable, mais la vigilance reste de mise pour éviter de tomber dans le piège de tenter de sauver un modèle économique plutôt que de se concentrer sur la protection de la biodiversité.

Ainsi, l’adoption de textes ratifiés par les États et soutenus par une grande quantité d’organisations à l’échelle locale, nationale, régionale et globale est certes un pas significatif, en premier lieu pour reconnaître les dommages causés à la planète, mais aussi pour apporter des réponses. Mais il y a lieu de se questionner d’une part sur les réponses proposées : est-ce qu’elles tiennent compte de tous les contextes et intérêts ? et d’autre part sur la suite, car le document seul ne peut pas changer la donne, il faut une mise en application. Sinon ces événements ne seraient qu’un théâtre où chacun joue son rôle afin que le public applaudisse et ensuite reprend sa vie en attendant le prochain épisode. Notons au passage que les somptueux décors de ce fameux théâtre ainsi que le déplacement de milliers de spectateurs n’est pas sans incidence financière significative, sans compter l’empreinte carbone des participants.

Si ces conférences régionales et globales sont les seuls moyens que l’humanité a trouvés pour que tous les acteurs discutent et trouvent des compromis qui permettront à la collectivité d’agir et d’aller de l’avant, les intérêts divergents des grands groupes ont tendance à saboter ces élans de solidarité. Mais une chose est sûre, nous sommes tous embarqués dans le même navire donc « nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères ou périr tous ensemble comme des idiots ((Citation de Martin Luther King)) ».

Heureusement on constate un éveil citoyen qui permet une remise en question du système et l’émergence de propositions pouvant contribuer à l’atteinte des objectifs communs.

Et si on changeait de perspective ?

Les COP sont un processus intéressant qui permettent de mettre en réseau, de partager des expériences et de prendre ensemble des décisions par rapport à des problèmes communs. Cependant, il est important que l’Occident arrête de se voir et de se positionner comme leaders dans le processus de régénération de notre planète,  sachant qu’il est à l’origine de sa destruction. Il y a certes « le narratif politiquement correct » sur les peuples autochtones et les communautés locales, mais comment est-ce que cela se traduit concrètement ? Parfois ça s’arrête aux discours, dans le meilleur des cas on y consacre une partie plus ou moins faible d’un projet, mais souvent tous les savoirs et la culture qui ont permis à nos ancêtres de préserver l’environnement et ses ressources sont réduits au folklore.

Il semble qu’un long chemin nous sépare encore de la simple folklorisation de leur patrimoine à l’alternative civilisationnelle à laquelle ils nous invitent. Après avoir invité ces communautés à chanter, danser, à faire quelques interventions à l’ouverture officielle des COP, après en avoir dédié des sessions, espaces et groupes de discussion, quel est leur véritable part d’influence dans les décisions qui vont engager les États et qui vont impacter la vie de chacun et de tous ? Sachant que beaucoup des solutions mises en avant nécessitent un budget important, on se tourne donc immanquablement vers « the usual suspects » qui détiennent les fonds accompagnés d’un modèle de vie et de développement.

Il faut donc un changement de perspective et de paradigme. Au nom de l’autodétermination des peuples, pourquoi ne laisserait-on pas chaque nation s’inspirer de ses connaissances et de ses savoir-faire pour apporter des solutions ? Il est clair qu’au-delà des initiatives locales et nationales, il faut un engagement régional et global afin de répondre à une crise mondiale, mais il est tout aussi crucial de ne pas noyer la dimension humaine et ses relations avec la terre et les océans. Considérant la charge historique de la dégradation de l’environnement, certains parlent d’écologie décoloniale6, nous avons le devoir en tant que peuples africains et descendants d’Africains de prendre position pour faire valoir nos réponses à la crise que traverse la planète. Et quand on sait que les 1 % les plus riches de la population mondiale sont responsables de plus d’émissions de gaz à effet de serre que les 50 % les plus pauvres7, cela incite à réfléchir sur les modes de vie et les conséquences réelles des mécanismes de prise de décision à l’échelle mondiale sur les plus vulnérables.

Prenons par exemple l’épineuse question de l’information sur les séquences numériques8 qui concerne l’utilisation des ressources génétiques et biologiques de manière à ce que le partage de ses avantages soit fait dans le cadre d’un mécanisme multilatéral mondial afin d’assurer la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité et d’éviter de tomber dans les travers de la biopiraterie et du brevetage du vivant au détriment des populations qui utilisent les ressources depuis des centaines d’années. La lutte de Vandana Shiva est très édifiante à ce sujet9.

On l’a bien vu lors de la COP15 de la CBD, il a suffi que l’Afrique assume le fait de quitter la salle de négociation,  parce que ses perspectives ne sont pas prises en compte,  pour que d’autres pays du Sud rejoignent le mouvement et ça fait bouger les lignes. Ce n’est donc pas impossible, mais il faut l’unité et la solidarité dans la diversité.

La science est l’un des moyens privilégiés en Occident pour générer la connaissance.  On doit se résoudre à reconnaître qu’il y a d’autres rapports au rées et modalités de connaître . Pour reprendre Felwine Sarr « La démarche scientifique est un parti pris sur la perspective du réel que l’on envisage et que l’on promeut, avec une méthodologie bien précise, mais qui n’épuise pas les possibilités d’appréhension du réel. La seule raison raisonnante est un instrument qui demeure limité10 ».

Ce pluralisme épistémologique et épistémique est aujourd’hui plus que nécessaire pour s’ouvrir à des manières alternatives de faire monde. Sans exclusivisme, en dehors de tout universalisme clos. D’autant que la modernité est loin d’avoir tenu ses promesses. Le fait de reléguer au second plan certaines cosmogonies desquelles découlent diverses perceptions de la planète et conséquemment les manières de l’habiter et de gérer ses ressources déséquilibre le débat. C’est pourquoi nous faisons ici le plaidoyer de la prise en compte sérieuse de leur apport dans les décisions qui engagent l’avenir de l’humanité, notamment à travers les organes globaux tels que les COP. Avenir il faut dire chaque jour plus incertain, qu’il appartient à chacun de nous de préserver du désastre environnemental, pour celles qui en souffrent déjà dans le présent et surtout pour les générations futures.

RÉFÉRENCES

  1. Citons entre autres, le Forum mondial de l’Eau du 22 au 27 mars 2022 (Dakar, Sénégal), la Convention des Nations Unies sur la désertification du 9 au 20 mai 2022 (Abidjan Côte d’Ivoire), le Forum sur l’énergie durable pour tous du 17 au 19 mai 2022 (Kigali, Rwanda), la Convention des Nations Unies sur les changements climatiques du 8 au 18 novembre 2022, COP27 CCNUCC, (Sharm el Sheikh, Egypte), la Conférence des Nations Unies sur les Océans du 27 juin au 1er juillet 2022 (Lisbonne, Portugal – Hybride), la 14e conférence des parties à la Convention RAMSAR sur les zones humides du 5 au 13 novembre (Suisse), la 19e conférence sur la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction du  14 au 25 novembre (ville de Panama, Panama), la Convention des Nations Unies sur la biodiversité du 7 au 19 Décembre 2022, COP15 (Montréal, Canada) []
  2. Almond, R.E.A., Grooten, M., Juffe Bignii, D., Petersen, T. (Eds). (2022). Rapport Planète vivante 2022 – Pour un bilan « nature » Positive. Gland : WWF []
  3. Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat https://www.ipcc.ch/languages-2/francais/ []
  4. Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services https://www.ipbes.net/fr []
  5. Tout un pavillon y était dédié la COP 15 de la CBD : https://www.naturepositive.org/cop15pavilion []
  6. Ferdinand, M. (2019). Une écologie décoloniale. Penser l’écologie depuis le monde Caribéen. Paris : Seuil []
  7. https://www.un.org/fr/actnow/facts-and-figures []
  8. Digital Sequence Information – DSI, voir ce que la CBD en dit : https://www.cbd.int/doc/c/c181/12cf/d29ef8c3f6bd4ec701699d9d/cop-15-l-30-en.pdf []
  9. pour en Apprendre plus sur Vandana Shiva : https://humansandnature.org/vandana-shiva/ et https://vandanashivamovie.com/ []
  10. Mbembe, A., Sarr, F., & Ateliers de la pensée (Eds.). (2017). Écrire l’Afrique-monde: Les Ateliers de la pensée, Dakar et Saint-Louis du Sénégal, 2016. Philippe Rey ; Jimsaan. []