Guillermo Almeyra, Rébellion, 4 septembre 2018
Pour commencer, il faut souligner le triomphe de la sagesse populaire qui a élu Andres Manuel Lopez Obrador (AMLO) lors des dernières élections présidentielles. De là à dire que la voie est ouverte pour la démocratie au Mexique, il faudrait être prudent. En réalité, AMLO a été endossé par les capitalistes mexicains, l’Empire et les forces armées, qui craignent les mobilisations sociales. La victoire d’AMLO est alors acceptée comme un problème mineur.
En fait, lorsque le peuple mexicain s’est réveillé après les festivités, les gorilles, les vampires étaient encore là. Le Mexique reste militarisé. Il existe un trafic de drogue, qui constitue une partie très importante du capital et qui est très lié au système bancaire. Le pouvoir de facto reste entre les mains des transnationales et des exploiteurs habituels. Une grande exploitation minière vole de l’eau et exploite des ressources. La politique de prédation et de dépossession se poursuit et toutes les lois et tous les décrets qui annulent les conquêtes sociales de la révolution mexicaine et du cardénisme restent en vigueur. La soumission aux États-Unis est encore aggravée par l’ALENA, qui permet à Washington de vendre au Mexique ses excédents agricoles. Le projet de verrouiller frontière américano-mexicaine vers l’Amérique centrale à travers la réédition du plan Puebla Panama, contraires aux intérêts des communautés autochtones, reste à l’horizon. Bref, la démocratie et l’indépendance n’existent pas et doivent encore être conquises.
Tous les États nationaux ont été affaiblis par la mondialisation et soumis à des décisions supranationales. Les divisions entre les différents secteurs de la bourgeoisie (capital étranger dominant, groupes exportateurs, groupes dépendant du marché intérieur) s’accroissent. Le cynisme envers les institutions et les parlements augmente également. Cela renforce le pouvoir de décider de l’exécutif, en particulier dans les pays dotés d’un système présidentiel. Le gouvernement AMLO est bonapartiste en ce sens, car il doit tenir compte de la nécessité de maintenir un soutien populaire (qui pourrait être transitoire) et de la nécessité de répondre aux diverses pressions des pouvoirs de facto. Dans la phase actuelle du capitalisme avec la terrible crise écologique et les tensions militaristes, il serait illusoire de penser qu’on puisse revenir au « nationalisme révolutionnaire » du temps des présidents Echevarria et de Lopez Portillo,
AMLO prétend s’inspirer de Benito Juárez, Francisco I. Madero et Lázaro Cárdenas. Quel que soit leur mérite respectif, le premier a étatisé les terres de l’Église et ceux des communautés autochtones, avec le soutien d’une Amérique qui n’était toujours pas une puissance impérialiste. Le second était un grand capitaliste qui avait le soutien de Washington pour vaincre Diaz, étroitement lié à la France, et qui a fini par spolier la terre, l’eau et la liberté de gouvernement autochtone et même assassiné des gens proches. Cárdenas, pour sa part part, a construit les bases de l’État capitaliste actuel, Il a créé le prédécesseur du PRI (PRN), subordonné les syndicats à l’État capitaliste, divisé les syndicats paysans, tout en nationalisant le pétrole en profitant du fait que les divers impérialistes étaient divisés face à à une guerre mondiale imminente. AMLO arrive au pouvoir dans un autre contexte.
Les 30 millions d’électeurs sont une force importante pour impulser des réformes, mais ils ne constituent pas un camp non anticapitaliste. La majorité des Mexicains partagent l’idéologie et les aspirations bourgeoises et attendent une solution du gouvernement. Les Mexicains n’ont pas encore de syndicats qui sont la plupart d’entre eux des appareils dirigés par des bureaucrates millionnaires. Il n’y a ni expérience démocratique ni noyau anticapitaliste ayant une certaine importance numérique. Mais il existe un secteur syndical militant et de classe socialiste. Malgré le crime, la décomposition sociale, le retard et la misère subsistent entre le communautarisme, la solidarité et la fraternité parmi les opprimés.
Pour l’instant, AMLO, en tant que président élu, est en attente. Pour autant, des décisions importantes devront être prises bientôt. Les paysans de Texcoco ont déjà voté au référendum sur le projet d’aéroport deux fois. Cela serait difficile de les décevoir. La loi sur l’éducation a déjà été abrogée, en pratique, par la lutte des enseignants. Cette volonté doit être respectée et non ignorée. Si AMLO optait comme son entourage aujourd’hui pour satisfaire aux attentes des secteurs dominants, cela pourrait déclencher une vague de luttes. S’il les réprimait, comme Madero, il serait à la merci de son soutien actuel de droite et devrait, éventuellement, avoir recours au soutien des États-Unis.
Au total, il ne faut pas s’attendre à des miracles. Rien ne remplace l’auto-organisation et l’autonomie de la pratique et de l’autogestion. Il faut exiger un programme économique d’urgence : recensement des besoins et des ressources locales, programmes de travail pour créer des emplois, protéger l’environnement, résoudre le problème du logement, protection de l’eau, imposer des solutions à l’éducation et la santé, etc. Entretemps, les germes du pouvoir populaire existant aujourd’hui (dont les zones zapatistes) doivent fédérer et échanger des expériences.