Fabien Deglise, Le Devoir, 30 octobre 2019
Au moment où l’Arabie Saoudite se prépare à prendre les rênes de la conférence diplomatique du G20 en 2020, plusieurs voix se font désormais entendre pour dénoncer l’arrivée de ce pays à la présidence de ce forum international, particulièrement en raison de l’implication du régime de Mohammed ben Salmane dans l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, chroniqueur au Washington Post, il y a plus d’un an.
Ce crime, perpétré dans l’enceinte de l’ambassade saoudienne de Turquie, tout comme l’atteinte aux droits de la personne et aux libertés civiles dans ce pays où est toujours incarcéré le blogueur Raif Badawi, devrait être ouvertement condamné par les pays démocratiques siégeant au sein de cette organisation, estime entre autres Reporters sans frontières (RSF) qui refuse que la monarchie ne profite d’une présidence ordinaire lors de son année à la tête de l’organisation.
« Mohammed ben Salmane va chercher à faire bonne figure à la tête du G20 dont le prochain sommet se tient en novembre en Arabie Saoudite d’ailleurs », résume à l’autre bout du fil Christophe Deloire, secrétaire général de RSF joint à Paris par Le Devoir.
« Si les démocraties du G20 lui permettent de faire ça, elles vont légitimer ce qui s’est passé. On demande que cette présidence ne soit pas une présidence comme les autres. Il ne faut pas que les leaders des démocraties du G20 passent pour les spectateurs bienveillants de ce crime d’État qu’a été celui du journaliste Jamal Khashoggi ».
Rappelons que le dissident et chroniqueur a été assassiné le 2 octobre 2018 dans la représentation diplomatique de son pays à Ankara où il était allé chercher un document pour planifier son mariage. L’existence d’un enregistrement audio témoigne de la violence de l’exécution qui aurait été commandée par Mohammed ben Salmane. Le corps du journaliste n’a jamais été retrouvé.
Une nouvelle présidence
Les membres du G20, un organisme fondé par le Canada sous la houlette de Paul Martin, ne peuvent s’opposer à l’entrée en vigueur d’une nouvelle présidence qui se décide au sein des cinq groupes de pays composant cette conférence, et ce, par rotation entre ces groupes annuellement. Le Japon, qui fait partie du groupe 5, préside cette année à la destinée de ce groupe, initialement imaginé pour réunir les ministres des finances des 20 économies les plus fortes de la planète. C’est la première fois que l’Arabie Saoudite, qui fait partie du groupe 1, accède à cette présidence depuis 1999, et ce, après entente avec l’Australie, le Canada et les États-Unis.
Le G20 qui, au départ, a été formé pour discuter de stabilité financière à travers le monde a, depuis, étendu ses champs de compétence pour aborder les questions d’environnement social et politique qui ne peuvent être déconnectées des réalités économiques mondiales. Les chefs d’État et de gouvernement s’y retrouvent désormais pour discuter.
« Le G20 rassemble des pays qui ne partagent pas les mêmes valeurs, mais les mêmes intérêts », fait remarquer l’ancien diplomate canadien Pierre Guimond, expert en résidence à l’École supérieure d’études internationales de l’Université Laval.
« Un pays peut avoir une opinion sur la situation interne d’un autre pays, mais cette opinion doit être mise en perspective avec l’intérêt que l’on a à participer à ces rencontres. La présidence saoudienne va faire des propositions de textes pour définir sa présidence et c’est à ce moment-là que la diplomatie va se mettre en marche et mettre en jeu les intérêts et les valeurs respectives ».
Liberté de presse
Pour la Fondation Raif Badawi pour la liberté, le Canada devrait profiter de cet espace de discussion pour faire avancer la cause de la liberté de la presse, mais également obtenir la libération du jeune blogueur dont la femme et les enfants ont trouvé refuge dans la région de Sherbrooke au Québec.
« Le gouvernement canadien, mais aussi les gouvernements des autres pays du G20 doivent demander la libération de Raif et de tous les autres prisonniers d’opinion en Arabie Saoudite », dit Ensaf Haidar. Elle réclame depuis des années un coup de main d’Ottawa afin de faire venir son mari au Canada, sans réponse claire pour le moment, déplore-t-elle.
« J’ai espoir que si tous les pays du G20 se mettent ensemble, les changements pourraient être grands », en matière de modernité et de liberté dans son pays d’origine.
« Il n’y a plus grand monde pour défendre au G20 les valeurs de liberté et d’indépendance du journalisme. Les gouvernements qui peuvent le faire se comptent sur les doigts d’une main, fait toutefois remarquer M. Deloire en plaçant le Canada, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni dans cette catégorie.
Il rappelle que la Turquie, la Russie, le Mexique, membres du G20, font pâle figure en matière de droits et de liberté d’expression et que les États-Unis, eux aussi, sont actuellement dirigés par un président qui attaque vertement les journalistes.
En juillet dernier, le Canada s’est fait interpeller par la rapporteuse spéciale de l’ONU sur les exécutions sommaires, arbitraires et extrajudiciaires à travers le monde, Agnès Callamard qui réclame des pressions de la part du pays fondateur de cette conférence diplomatique pour relocaliser ailleurs qu’en Arabie Saoudite la tenue du prochain sommet du G20 du mois prochain. Elle dénonce également que ce royaume en devienne le président en 2020.
« Cette présidence du G20 est une claque au visage de tous ceux qui se sont battus et qui ont perdu la vie dans le combat pour la protection des droits de la personne », a-t-elle résumé sur les ondes de la CBC.
En 2019, l’Arabie Saoudite est tombée au 172e rang sur 180 du classement mondial de RSF de la liberté de la presse.
Actuellement, 30 journalistes y sont détenus de manière arbitraire. « Le G20 doit être aussi ce genre de réunion où l’on cherche à sauver les systèmes de liberté », dit Christophe Deloire.