Sacha Dessaux, correspondant en stage
Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, l’Autriche a vu une victoire législative du Parti de la Liberté d’Autriche (FPÖ — Freiheitliche Partei Österreichs) d’extrême droite. Une nouvelle vague continentale populiste semble avoir été relancée cette année avec le résultat du Rassemblement national (RN) au premier tour des élections en France l’été dernier. Elle pourrait très bien se poursuivre en Tchéquie l’année prochaine, formant un véritable fortin européen d’extrême droite de l’Italie à la Hongrie. Tour d’horizon des parcours de l’extrême droite en France et en Autriche.
La gauche autrichienne, une géante au pied d’argile
Si l’on se penche sur les résultats électoraux depuis 2000 en Autriche, la tendance qui saute aux yeux n’est pas la montée de l’extrême droite. En effet, le Parti social-démocratique (SPÖ), de l’autre côté du spectre politique, suit une longue et lente chute. Le parti historique du pouvoir en Autriche a participé à 23 gouvernements sur les 26 depuis la guerre. Le pouvoir était stable et alternait depuis 1949 entre le SPÖ et la droite traditionnelle du Parti populaire autrichien (ÖVP).
Le SPÖ sort des législatives de 2002, affaibli et est relégué comme deuxième force nationale. Il n’aura ensuite de bilan positif que lors d’une seule élection, ne progressant que d’un seul maigre siège. Des 69 sièges obtenus en 2002, le parti de centre-gauche se retrouve avec seulement avec 41 sièges en 2024, soit le deuxième résultat le plus faible de son histoire.
Le SPÖ ne sait plus convaincre. Plus que le constat d’une inertie d’échec, c’est la manière dont s’articule cette chute qui est franchement inquiétante. Ce n’est pas que l’électorat de gauche est convaincu par d’autres projets ou qu’il est en train de se droitiser, il est de fait en train d’abandonner les urnes.
En 2024, 20 % de l’électorat traditionnel du SPÖ a préféré ne pas aller voter plutôt que de mettre un bulletin pour un parti qui ne leur convient plus. Voilà un point de différence majeur avec la situation en France. La gauche française a remué monts et montagnes pour offrir une alternative à l’extrême droite l’été dernier, alternative qui s’est matérialisée par le Nouveau front populaire et par une renaissance du Parti socialiste. Les gens ont répondu présents à l’appel au barrage.
En Autriche, le SPÖ ne sait pas perdre. Il semble incapable de reconnaître qu’il n’est plus de loin le premier parti national, et c’est cette absence de remise en question qui fait un tremplin à l’extrême droite. La non-existence d’alternatives de gauche qui n’ont jamais vraiment pu naître tant le SPÖ était dominant se fait maintenant cruellement ressentir.
De l’autre côté du spectre, l’extrême droite populiste a certes récupéré un tiers des voix chez la droite traditionnelle, mais surtout elle a su piocher dans le bassin non votant et y récupérer 260 000 voix, soit 20 % de celles de 2024. Là où l’électorat de gauche préfère ne plus aller voter, l’extrême droite réussit à convaincre la masse silencieuse par son populisme.
Les différences dans les parcours entre le FPÖ et le FN/RN
Si des similitudes peuvent être constatées dans les reculs des partis traditionnels dans les deux pays, le cas du FPÖ en l’Autriche n’est toutefois pas un copié-collé du scénario français. Là où le Front national (FN)/RN n’était pendant longtemps qu’un acteur secondaire à l’Assemblée nationale, le FPÖ a su s’intégrer rapidement dans l’arc politique autrichien en suivant une direction politique moins catégoriquement radicale que le FN des Le Pen.
Rappelons d’abord que le FPÖ fut fondé par d’authentiques nazis à l’orée des années cinquante. Il va toutefois osciller entre libéralisme européen et radicalisme. Dès 1980, l’aile plus libérale du parti participe à deux gouvernements de coalition avec le traditionnel parti de gauche SPÖ. Ce n’est qu’après la convention de 1986 du parti qu’il va se réorienter durablement vers un nationalisme populiste. Cela ne l’empêche pas de retrouver l’accès au gouvernement à peine 14 ans plus tard avec une coalition les réunissant avec le parti de droite traditionnelle ÖVP.
La fin du 20e siècle sera pour le parti un terreau fertile de radicalisation sous couvert d’euroscepticisme et de montée de l’islamophobie. Après le retour au gouvernement, le scandale du Ibizagate en 2017, une affaire de corruption entourant le chef du parti, semble détruire pour de bon le FPÖ. Sans en être le seul facteur de résurrection, la pandémie du Covid sera un puissant outil pour toutes velléités populistes. Le parti va utiliser sa position minoritaire pour se dégager de la responsabilité dans la gestion de la pandémie. En alliant rhétorique antivax, anticonfinement et se plaçant en opposition frontale de l’establishment politique autrichien, il va réussir par cette stratégie de radicalisation à devenir le premier parti d’Autriche en 2024.
Il est improbable que le FPÖ soit inclus dans la prochaine coalition gouvernementale et l’Autriche ne devrait probablement pas être dirigée par un parti se revendiquant presque fièrement de son héritage nazi. Néanmoins, l’état de la gauche autrichienne est plus qu’alarmant et une remobilisation d’ampleur ainsi qu’un nouveau cycle de gauche autrichienne sont absolument nécessaires.