Les États-Unis et la paix totale en Colombie : un conflit de priorités

Arrestation de Geovany Andrés Rojas, alias « Araña » @ crédit photo: @Marovaan
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Isabel Cortés, collaboration spéciale

La politique de paix totale du président colombien Gustavo Petro traverse une période critique. Avec le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, la pression des États-Unis sur la Colombie s’est intensifiée, et la récente demande d’extradition de Geovany Andrés Rojas, alias « Araña », a déclenché des alarmes. Cet événement met non seulement en péril les accords avec les groupes armés illégaux, mais soulève aussi des doutes quant à l’avenir des négociations de paix dans le pays, qui sont suspendues depuis le 17 janvier 2025.

Un processus de paix menacé

L’arrestation d’« Araña » dans un hôtel de Bogotá, juste après sa participation à une réunion des pourparlers de paix entre le gouvernement colombien et la Coordinadora Nacional Ejército Bolivariano, illustre la fragilité du processus.

Désigné comme le chef des Comandos de la Frontera, il a été arrêté le 12 février 20251 en vertu d’un mandat international d’Interpol. Son arrestation, réalisée sur la base d’une notice rouge émise par un tribunal du district sud de la Californie, répond à des accusations de trafic de drogue aux États-Unis.

Bien que le gouvernement colombien ait temporairement suspendu les mandats d’arrêt contre Rojas par la résolution 0-0139 du 12 avril 2024, cette mesure n’avait aucun impact sur les mandats internationaux. Le bureau du procureur général de la Colombie a expliqué que la détention d’« Araña » est une obligation relevant des engagements internationaux du pays en matière de coopération judiciaire. Son extradition est maintenant entre les mains de la Cour suprême de justice.

Le président Gustavo Petro a insisté sur le fait que ce processus pourrait être suspendu si les groupes armés démontrent des progrès concrets dans le démantèlement des économies illicites et le respect des droits de la personne.

Ce message place d’autres acteurs et actrices armés, comme l’État-major des Blocs et Fronts (EMBF), la Coordinadora Nacional Ejército Bolivariano et le Clan del Golfo, face à un dilemme. L’analyste Elizabeth Dickinson, de l’International Crisis Group, avertit que l’absence de garanties claires de la part du gouvernement colombien pourrait inciter ces groupes à abandonner les négociations, craignant d’être arrêtées en plein processus.

« Les garanties judiciaires ne sont pas celles qu’on attendait, et cela complique les choses. Il sera difficile de convaincre d’autres négociateurs de s’asseoir à la table s’ils risquent une extradition », a déclaré Dickinson à The Associated Press.

Trump et la menace des extraditions

Avec Trump de retour au pouvoir, sa stratégie de répression sévère contre le narcotrafic refait surface. Sa politique de désigner les cartels et groupes armés comme organisations terroristes pourrait bouleverser complètement la situation en Colombie.

Le Clan del Golfo, par exemple, est dans la ligne de mire de Washington et pourrait être classé comme groupe terroriste, ce qui compliquerait toute tentative de négociation. Si cela se concrétise, les directions perdront tout incitatif à se rendre à la justice et risquent plutôt d’intensifier leurs activités criminelles, alimentant ainsi davantage le conflit armé.

Impact sur les relations bilatérales

Le gouvernement colombien marche sur une corde raide entre le respect des engagements en matière d’extradition et la survie du projet de paix totale. Par ailleurs, la décision de Trump de réinscrire Cuba sur la liste des États soutenant le terrorisme a ajouté un nouvel obstacle. L’île joue un rôle clé en tant que garante dans les négociations avec l’ELN, et cette mesure pourrait compromettre son implication dans le processus de paix mené par la Colombie.

Pour aggraver la situation, Washington a réduit son financement des programmes clés de sécurité et de lutte antidrogue en Colombie, affaiblissant ainsi la capacité de l’État à contrôler les territoires abandonnés par les groupes démobilisés. Une contradiction flagrante : d’un côté, ils durcissent leur position face au narcotrafic, et de l’autre, ils réduisent l’aide aux mécanismes de sécurité qui pourraient freiner son expansion.

Si la Cour suprême approuve l’extradition d’« Araña » et d’autres chefs insurgés, les négociations pourraient s’effondrer et la violence s’intensifier. Dans la région du Putumayo, des signes d’une reprise du conflit sont déjà visibles après l’arrestation de Geovany Andrés Rojas.

Alias Araña s’est imposé comme une figure clé des Comandos de la Frontera, un groupe dissident opérant dans les départements d’Amazonas, Caquetá et Putumayo. Cette faction, née après une rupture avec la Segunda Marquetalia — dirigée par alias Iván Márquez —, a pris son propre chemin en engageant des pourparlers de paix avec l’État colombien.

Son rôle en tant que négociateur a été essentiel dans les efforts visant à instaurer un cessez-le-feu et une éventuelle démobilisation.

Le grand défi pour Petro est de maintenir le dialogue ouvert avec les groupes armés sans entrer en confrontation directe avec Washington. La paix totale est à la croisée des chemins : si elle aboutit, elle pourrait redéfinir la politique de sécurité du pays. En revanche, si elle échoue, la Colombie risque de sombrer dans un nouveau cycle de violence et d’incertitude.

À un moment où la Colombie cherche à consolider la paix, la communauté internationale et les acteurs et actrices impliqués doivent redoubler d’efforts pour que les négociations avec les dissidences ne soient pas compromises par des décisions judiciaires externes. L’arrestation d’alias Araña est un rappel des complexités du conflit colombien et de la nécessité de solutions globales alliant justice et réconciliation.


1. Willinton Henao, alias « Mocho Olmedo », un autre chef guérillero a également été arrêté. Connu sous le nom de « Mocho Olmedo », il est un leader important des dissidences des FARC. Il a été identifié comme le numéro deux du Front 33, une faction qui opère principalement dans la région du Catatumbo, dans le département de Norte de Santander, près du Venezuela. Il est important de noter que les pourparlers de paix avec les dissidences présentes dans le Catatumbo, comme le Front 33, en sont encore à une phase préliminaire et ne remplissent pas les critères de progrès exigés par la loi sur la Paix totale.


Tableau des principaux groupes armés opérant toujours en Colombie

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