(Deuxième partie)
Ronald Cameron et Pierre Beaudet[1]
Les batailles de l’Empire
Ce qui est dominant dans le discours d’Obama, des Clinton, de la majorité du Parti Démocrate et de plusieurs grands médias (à part le réseau Fox), laisse en effet qu’il y a eu, tout au long des années 1980 et 1990 une phase néolibérale « heureuse », une sorte d’« âge d’or » de la « mondialisation ». En réalité, il y a eu pendant ces longues années l’accentuation des problèmes partiellement occultés par la « bulle » de la financiarisation. La polarisation sociale, la décrépitude de régions entières (le « rust belt » de l’ancien épicentre de l’industrie), la dislocation induite par des flux migratoires croissants, l’aggravation de la violence et de la criminalité, ont été autant de conséquences visibles d’un dérèglement majeur.
Parallèlement, ce n’est pas un hasard que les grandes opérations militaires post-guerre froide (dans les Balkans, au Moyen-Orient, dans les franges de l’ex empire soviétique) se sont accélérées, directement sous commandement américain ou sur la base de l’OTAN, qui reste un dispositif où les alliés européens et canadiens acceptent leur rôle subalterne dans le déploiement des États-Unis. La perspective dominante était que les États-Unis, « libérés » de la pression de l’URSS, pouvaient régenter le monde pratiquement à leur guise, quitte à relooker ce nouvel interventionnisme de prétentions à saveur de droits humains et de protection humanitaire. Il fallait d’abord et avant tout consolider la suprématie états-unienne, au détriment des peuples récalcitrants d’une part, et des États « émergents » d’autre part.
Après la « guerre sans fin » de George W. Bush et des dits néoconservateurs, l’administration Obama a tenté de rectifier le tir tout en gardant le cap sur les mêmes objectifs. Il fallait désengluer l’armée américaine des politiques désastreuses de « réingénierie » au Moyen-Orient tout en redéployant des forces vers l’Asie-Pacifique et en mandatant le Pentagone de favoriser les guerres « par procuration » (avec des forces locales), plutôt que de mettre des GI sur le terrain dans les zones de haute intensité militaire, comme en Irak et en Afghanistan.
Entre-temps, il y a eu un effort concerté et soutenu pour consolider la mainmise américaine (toujours avec l’assentiment des alliés-subalternes européens, canadiens, japonais et autres) sur les institutions financières internationales, sur l’architecture du commerce et des investissements internationaux (accord de libre-échange), sur les centres névralgiques d’un capitalisme « 2,0 » (autour des grands opérateurs des nouvelles technologies, les fameux GAFSA) et même, sur la culture, l’enseignement supérieur et d’autres mécanismes qui fabriquent l’hégémonie (au sens gramscien).
Par ailleurs, Obama n’a cessé de tenté de resserrer le pouvoir des États-Unis en imposant au reste du monde les principes et règles du néolibéralisme. Il a continué la « guerre sans fin » au Moyen-Orient, quitte à une certaine désescalade avec l’Iran, en phase avec l’option européenne de réintégrer « en douce » ce pays dans le « giron » occidental. C’est Obama qui a accéléré les expulsions des immigrant-es dits « illégaux », aggravant le chaos meurtrier qui sévit au sud du Rio Grande. Les administrations précédentes ont saboté les négociations sur les changements climatiques, maintenant les postures d’une économie qui vit sur le pillage de la planète. Sur tous les grands dossiers, on constate donc que c’est davantage la rhétorique que les actions et les stratégies qui ont changé à Washington.
[1] Respectivement coordonnateur d’Attac-Québec et rédacteur des Nouveaux Cahiers du socialisme.