Charles Étienne Beaudry est doctorant en science politique à l’Université d’Ottawa
L’actualité en ce début d’année 2021 est fertile en rebondissements. Elle mène vers toutes sortes de réflexions. En fait, il est possible de faire des drôles de parallèles. Un peu comme s’il y avait dans la vie sociale certains patterns, certains algorithmes. L’exercice permet de voyager entre la Russie et les États-Unis, avant de passer par le Myanmar pour revenir enfin au Québec.
En Russie, l’opposant de longue date au régime de Vladimir Poutine, Alexey Navalny vient de recevoir une sentence de deux ans et huit mois de prison pour avoir brisé ses conditions de liberté. Il faut dire qu’il avait été condamné avec sursis pour fraude. Navalny nie catégoriquement ces accusations. Les faits de l’affaire tendent à lui donner raison. En effet, il a respecté les termes de son sursis jusqu’à ce qu’il soit empoisonné au Novitchok en août dernier, c’est dans ces circonstances seulement que Navalny, qui était comateux, s’est rendu en Allemagne pour être traité. Il n’a alors pas pu se présenter comme prévu à la justice russe. Qu’il ait été ou non empoisonné par les services secrets russes (FSB) comme il le dénonce, le fait que la justice russe le condamne dans ces circonstances montre, à sa face même, la politisation de l’affaire. Ensuite, Navalny n’était en rien forcé de rentrer en Russie. Il aurait très bien pu continuer sa dissidence au pouvoir russe «en exil». Il y est retourné dans un geste de grand courage et pour démontrer la corruption du système. Il est alors intéressant de constater que l’appel de Navalny aux Russes à manifester en sa faveur pourrait s’apparenter à l’appel de Donald Trump aux Américains à manifester contre le trucage allégué des élections. À la différence près que l’un de ces appels était tout à fait légitime, alors que l’autre ne l’était absolument pas. C’est ici qu’un autre parallèle étrange apparaît. Le palais sur la mer Noire que Poutine est prétendu posséder, rappelle le lieu de l’exil de Trump à la suite à l’investiture de Joe Biden; Mar-a-Lago en Floride. Il semble que les leaders populistes ont une grande tendance à l’opulence, comme si leurs partisans voyaient en eux un espoir de richesse. C’est un très mauvais calcul puisque c’est justement sur le dos des ouvriers que ces grands capitalistes ont bâti leurs fortunes. Le populisme tente sournoisement de séduire le peuple pour cacher la réalité de l’oligarchie.
Rendons-nous maintenant au Myanmar pour établir un autre parallèle, celui-ci est assez troublant. L’armée birmane a récemment conduit un coup d’État contre le gouvernement démocratiquement élu d’Aung San Suu Kyi, celle-ci a d’ailleurs été mise en état d’arrestation. L’armée affirme que son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND) a truqué les élections de novembre dernier. C’est exactement l’argument invoqué par Trump pour ne pas concéder la victoire à Biden aux États-Unis. Les complotistes du mouvement QAnon prétendaient justement que l’armée américaine allait mettre les dirigeants du Parti démocrate en état d’arrestation et renverser l’élection à la faveur de Trump. Heureusement, la comparaison s’arrête là, la tentative trumpiste a échoué. Ces mêmes complotistes affirment que rien ne serait perdu pour eux puisque supposément les Marines ne salueraient pas Biden et ne lui auraient pas offert les vingt et un coups de canon au moment de son investiture le 20 janvier dernier. Trump lui-même semble croire encore qu’il reviendra en poste puisque dans la foulée de son deuxième procès en destitution, il a renvoyé toute son équipe d’avocats puisque ceux-ci refusaient de plaider la fraude électorale pour justifier son comportement. Tout porte donc à croire qu’une nouvelle équipe d’avocats complotistes vont faire leur apparition au Sénat américain lors du procès. Une raison peut-être pour laisser tomber cette procédure.
De leur côté, les élections au Myanmar avaient été observées par des organisations internationales telles que The Asian Network for Free Elections (ANFREL) et Democracy Reporting International (DRI). Celles-ci n’avaient pas décelé d’irrégularités majeures. Il s’agit donc strictement d’une stratégie des militaires pour reprendre le pouvoir dans ce pays. Ceux-ci n’ont pas encore perpétré de crimes majeurs, mais il faut craindre pour la population birmane. Les réseaux cellulaires ont été désactivés peu après le coup d’État. Ensuite, la population a été soumise à un couvre-feu de 20 h à 4 h.
Cet horaire ressemble beaucoup à celui des Québécois actuellement, un autre parallèle étonnant, mais la comparaison s’arrête là. Par contre, la mesure de lutte à la pandémie a mis en lumière la triste situation des itinérants montréalais durant les rigueurs de l’hiver québécois. Le premier ministre François Legault a pris à la légère l’impossibilité pratique de soumettre les sans-abris à un couvre-feu. Il a d’ailleurs déclaré une grande fausseté à cet égard, c’est-à-dire que selon lui, les policiers du Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM) auraient assez de jugement pour ne pas donner des contraventions à des itinérants, qui de toute façon «n’avaient pas les moyens de payer». Pourtant, une organisation non gouvernementale appelée Clinique Droits Devant se bat depuis des années pour faire invalider les dizaines de milliers de dollars de contraventions distribuées à chaque itinérant pendant qu’il est dans la rue. Elle a réussi à obtenir du ministère de la Justice le Programme d’accompagnement justice-itinérance à la cour (PAGIC) qui revoit les contraventions abusives. Dans le dossier du couvre-feu, il aura fallu que la Cour supérieure du Québec ordonne aux policiers de ne pas appliquer la règle aux itinérants. Comme l’a brillamment déclarée la députée solidaire Manon Massé : «Monsieur Legault vient d’avoir une leçon de compassion».
La compassion est certainement le sentiment qui devra régner dans les prochains mois de cette année 2021. Compassion pour les malades de la covid-19, ainsi que pour le personnel médical à bout de souffle. Cette compassion nous devrons aussi l’exercer envers les complotistes qui se sont laissés entrainer dans un labyrinthe odieux de mensonges. La même compassion, nous la devons aux manifestants pro-Navalny interpelés violemment par la police russe et nous la devons au peuple du Myanmar.
Charles Étienne Beaudry est doctorant en science politique à l’Université d’Ottawa