En Asie et au Moyen-Orient, les migrants déjà durement traités font désormais face au chômage et manquent d’accès aux soins.
L’Arabie Saoudite a expulsé des milliers de travailleurs éthiopiens. Les autorités malaisiennes ont arrêté des centaines de travailleurs sans papiers lors de perquisitions dans le cadre de son ordonnance sur le contrôle des déplacements, tandis que le pays voisin, l’Indonésie, dont viennent la plupart de ces migrants, faisait rapatrier ses ressortissants.
À l’exemple de Singapour, où l’épidémie de Covid-19 s’est propagée rapidement parmi les travailleurs étrangers vivant dans des foyers, de nombreux pays employant beaucoup de migrants à bas salaires sont confrontés à des situations similaires.
De l’Asie au Moyen-Orient, la pandémie de Covid-19 met en évidence la précarité des 164 millions de travailleurs migrants dans le monde, qui acceptent pour des salaires très bas les emplois dédaignés par la population locale. Objectif : économiser de l’argent pour démarrer une activité dans leur pays d’origine.
Si certains États ont apparemment échappé aux désagréments rencontrés par Singapour [où plus de 36 000 cas de contaminations sur les 39 000 enregistrés dans le pays concernent les travailleurs migrants], les associations affirment que rares sont les pays qui ont à cœur de traiter correctement cette catégorie de population.
Expulsions, suicides et chômage
Le Covid-19 a fait des ravages sanitaires et économiques dans de nombreux pays, touchant encore plus fortement les migrants sous-payés. Selon les observateurs, cette situation s’explique par leurs mauvaises conditions de vie, la faiblesse de leur protection juridique et leur accès limité aux soins.
Le mois dernier, l’Arabie Saoudite a renvoyé chez eux près de 3 000 des quelque 200 000 Éthiopiens vivant sur son sol avant que les Nations unies ne lui demandent d’arrêter. Au Koweït [en avril], au moins une douzaine de travailleurs migrants se sont suicidés ou ont tenté de le faire, selon migrant-rights.org, un site internet géré par des militants, citant des articles de presse.
En Thaïlande, des centaines de milliers de travailleurs originaires des pays voisins comme la Birmanie, le Laos et le Cambodge sont retournés chez eux par crainte de rester coincés sans argent ni nourriture pendant le confinement.
En Malaisie, la police a arrêté 200 travailleurs sans papiers rien que la semaine dernière [le 19 mai] à Petaling Jaya, près de Kuala Lumpur, alors même que les autorités assouplissent progressivement les restrictions de déplacements. On estime que le pays compte au moins 5 millions de travailleurs migrants [sur une population active d’environ 14 millions].
L’Indonésie, l’un des plus grands fournisseurs de main-d’œuvre du monde, a rapatrié plus de 130 000 de ses ressortissants étudiant ou travaillant à l’étranger dans le bâtiment, sur des navires de croisière ou comme employés de ménage.
Oubliés de la crise
Selon David Welsh, directeur national de la branche Asie du Sud-Est du Centre de solidarité, une organisation à but non lucratif affiliée à la Fédération américaine du travail AFL-CIO [la plus grande fédération syndicale des États-Unis], la crise a mis en évidence les piètres conditions de travail de nombreux travailleurs migrants.
“Les gouvernements ont laissé tomber les travailleurs migrants sur qui ils comptent habituellement pour effectuer des travaux dangereux, devenus encore plus risqués pendant l’épidémie”, souligne Welsh.
Et puis il y a le Qatar, qui doit accueillir la Coupe du monde de football en 2022. Selon les observateurs, depuis qu’il a été vivement critiqué au sujet du sort qu’il réservait à sa main-d’œuvre étrangère, il a mis en œuvre de nombreux changements, qui devraient inspirer d’autres pays, même si ces réformes montrent aussi à quel point le processus est compliqué.
Comme à Singapour, le coronavirus au Qatar a surtout touché les travailleurs étrangers, qui sont près de 20 fois plus nombreux que la population active qatarie. Le nombre total de cas a dépassé les 40 000 dans un pays qui compte 2,8 millions d’habitants.
Des améliorations ponctuelles au Qatar
En octobre dernier, le pays a supprimé les visas de sortie qui étaient jusqu’alors obligatoires pour les travailleurs qui voulaient quitter le pays et a supprimé les lois discriminatoires qui fixaient des salaires minimaux en fonction des nationalités.
Dans le même temps, la monarchie a supprimé les règles de parrainage qui liaient les travailleurs à leurs employeurs [sans possibilité d’en changer] et les rendaient plus vulnérables aux abus. Les nouvelles lois qataries sur le salaire minimal ont également rendu caduques les accords bilatéraux conclus avec les pays d’origine, qui permettaient qu’un soudeur bangladais, par exemple, touche seulement les deux tiers du salaire d’un Philippin.
La volonté du Qatar d’accueillir la Coupe du monde a contribué à ces changements. Peu après avoir obtenu l’organisation de l’événement il y a dix ans, le Qatar a officiellement promis d’accorder quatre semaines de congés payés aux travailleurs employés par les entrepreneurs auxquels il avait attribué des chantiers, de mieux rémunérer leurs heures supplémentaires et de leur offrir d’autres avantages.
Contrôle des syndicats
Les entreprises qui doivent construire des stades et autres infrastructures nécessaires à cet événement offrent aux travailleurs des conditions attrayantes à même de convaincre associations et syndicats.
Apolinar Tolentino, représentant régional de l’Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois pour la région Asie-Pacifique, raconte que son syndicat a pu régulièrement inspecter les chantiers ainsi que les foyers où les travailleurs sont logés à quatre dans une chambre climatisée et où les lits superposés sont interdits.
Les visites comprenaient des entretiens collectifs avec les travailleurs afin d’évaluer leurs conditions de vie, notamment dans le domaine de la santé et la sécurité, la qualité de la nourriture et même la qualité de la connexion Internet. “Le Qatar montre l’exemple dans la région”, souligne Tolentino. Mais il reconnaît que ces améliorations du sort des travailleurs migrants ne sont pas uniformes.
Enfermement dans les foyers
Au début de mai, le gouvernement qatari a commencé à assouplir le confinement pour les centaines de milliers de travailleurs enfermés dans leurs foyers durant deux mois dans la zone industrielle tentaculaire située en dehors de Doha.
Le gouvernement a beau exiger que tous les employeurs paient les salaires de leurs employés au chômage forcé, certains rapports ont fait état d’ouvriers sans ressources obligés de mendier leur nourriture. Cette situation concernait en grande partie des personnes sans papiers, sans employeurs réguliers et qui comptaient sur des petits boulots ponctuels.
“Le respect des normes en dehors des chantiers de la Coupe du monde est plus difficile, explique Tolentino. Les institutions internationales n’ont presque pas accès à ces chantiers.”
Le mois dernier, Amnesty International et un regroupement d’organisations non gouvernementales et de syndicats ont envoyé des courriers à l’Arabie Saoudite, aux Émirats arabes unis, au Qatar, au Bahreïn, au Koweït et à Oman, pour leur faire part de leurs préoccupations concernant les travailleurs migrants.
Selon Lynn Maalouf, directrice des recherches à Amnesty International pour le Moyen-Orient :
“Si certains gouvernements ont pris des engagements encourageants pour soutenir les travailleurs migrants, il reste encore beaucoup à faire pour garantir que le Covid-19 ne sera pas la source de nouvelles violations des droits de l’homme et de plus grandes souffrances.”