François Avard, Ariane Émond, Martin Forgues, Jacques Goldstyn (alias Boris), Geneviève Rochette et Christian Vanasse, Le Devoir, 21 septembre 2019
Près de trois ans après la mise en place du gouvernement libéral de Justin Trudeau, les aspects les plus criants des nombreuses politiques militaristes du gouvernement Harper ont été abandonnés. Mais les éléments fondamentaux de la politique étrangère et de la politique de « défense » du Canada sont demeurés les mêmes.
L’arrivée de 25 000 réfugiés syriens fut sans aucun doute le changement le plus médiatisé, rapidement exécuté par le nouveau gouvernement, alors que l’engagement envers les « missions de paix » de l’ONU a pris près de trois ans à se concrétiser par l’envoi au Mali de 250 militaires canadiens. Le Canada démontre aussi un intérêt renouvelé envers l’ONU, voulant briguer un siège au Conseil de sécurité. Quant à la fin de la participation canadienne aux bombardements en Syrie et en Irak, il faut noter que le Canada y a maintenu ses fonctions de ravitaillement en vol des avions qui bombardent et ses fonctions de renseignement/reconnaissance, qui contribuent à établir les cibles de ces bombardements…
Mêmes politiques sur le fond
Pour l’essentiel, la politique étrangère et la politique de « défense » du Canada sont restées alignées sur celles des États-Unis, qui jouent de plus en plus la carte militaire en réaction à leur perte d’hégémonie dans le monde. Et c’est à travers l’OTAN — véritable bras armé de cette hégémonie — que les États-Unis sermonnent les pays membres sur le niveau de leurs dépenses et de leurs effectifs militaires, leur recommandent les armements à acheter et les entraînements à suivre, et les enrôlent dans les guerres qu’ils mènent, souvent à l’encontre du droit international.
Face à l’intimidation trumpienne lors du dernier sommet de l’OTAN (juillet 2018), le premier ministre a affiché une résistance de façade, affirmant que le Canada ne doublerait pas son budget militaire. Mais la nouvelle politique de « défense » du Canada (juin 2017) avait déjà annoncé une augmentation de 70 % de ce budget en dix ans. Obtempérant de fait aux remontrances étasuniennes, le Canada a alors annoncé le prolongement pour quatre ans et le renforcement (de 455 à 540 soldats) de sa mission en Lettonie, ainsi que l’envoi de 250 militaires à Bagdad et ses environs pour une nouvelle mission d’entraînement de l’armée irakienne.
Notons que ces « missions » s’inscrivent dans le prolongement des guerres de tutelle menées en Irak et en Libye, et dans l’affrontement entre les États-Unis et la Russie concernant l’Ukraine. Cet alignement des politiques canadiennes sur celles des États-Unis l’amène ainsi à être intransigeant envers la Russie, le Venezuela, la Corée du Nord et l’Iran, mais beaucoup moins critique envers Israël, plusieurs régimes répressifs d’Amérique du Sud ou l’Arabie saoudite, pour ne prendre que quelques exemples.
Le cas de l’Arabie saoudite
Le gouvernement libéral s’est récemment posé en défenseur indéfectible des droits de la personne après à deux tweets au langage peu diplomatique demandant la libération « immédiate » de quelques prisonniers d’opinion en Arabie saoudite. Mais il avait totalement ignoré le terrible dossier des violations des droits par ce pays en délivrant des permis d’exportation dans le cadre de la vente record (15 milliards de dollars) de 928 véhicules de combat blindés, alors que des véhicules semblables sont notamment utilisés dans la répression interne des populations ou dans la guerre atroce que mène l’Arabie saoudite au Yémen. Selon l’ONU, en plus de 10 000 morts, cette guerre a entraîné « la pire crise humanitaire au monde causée par l’homme » : 8,4 millions de personnes en insécurité alimentaire ; près de 400 000 enfants de moins de 5 ans atteints de malnutrition aiguë ; près de deux millions de personnes déplacées à travers le pays ; et 1,1 million de cas de choléra recensés depuis avril 2017. Face à cette crise épouvantable, aucune demande immédiate de la part du Canada, aucun branle-bas médiatique en Occident : la monarchie saoudienne est un des plus importants acheteurs d’armements des pays membres de l’OTAN et un allié stratégique de cette alliance.
Pour un changement fondamental
Récemment, la démission d’un Nicolas Hulot confirmait qu’il faut bien plus qu’un changement de gouvernement ou la nomination d’un écologiste au ministère de l’Environnement pour réellement mettre en oeuvre les changements requis face au réchauffement climatique. Il en va de même en ce qui concerne la paix dans le monde. Il faut bien plus que les prétendues « voies ensoleillées » d’un nouveau gouvernement pour rompre définitivement avec la voie militariste qui, rappelons-le, menace toujours l’humanité d’annihilation nucléaire.
Tant et aussi longtemps que le Canada sera membre de l’OTAN et se pliera aux diktats de l’empire étasunien en matière de politique étrangère et de « défense » sous la menace plus ou moins constante de se faire couper l’accès au marché étasunien, le Canada fera partie du problème et non de la solution aux tensions internationales. Tant et aussi longtemps que nous participerons allègrement au commerce mondial des armes, nous attiserons les conflits plutôt que de les résoudre.
Pour marquer notre opposition à la voie militariste dans laquelle le Canada s’est depuis trop longtemps enfoncé au sein de l’OTAN et à la remorque des États-Unis, et en solidarité avec toutes les victimes des guerres (civiles autant que militaires), nous avons décidé d’appuyer la 8e campagne annuelle du coquelicot blanc que mènera le collectif Échec à la guerre cet automne. Nous vous invitons aussi à y participer.