ISMAËL BINE, Médiapart, 3 août 2021
Un an après l’explosion survenue à Beyrouth, l’enquête sur les causes du cataclysme piétine. Alors que le pays s’enfonce dans la crise économique, sociale et politique, Emmanuel Macron réunit mercredi une nouvelle conférence internationale.
Deux déflagrations retentissent. L’onde de choc détruit le port et les quartiers environnants. Un épais voile blanc, semblable à un champignon, recouvre Beyrouth peu après 18 heures. Il y a un an, mardi 4 août 2020, des scènes apocalyptiques se jouent dans la capitale libanaise. La double explosion causée par l’embrasement de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium, un produit hautement explosif stocké dans un hangar portuaire six ans plus tôt, fait officiellement 214 morts et 6 500 blessés. Selon l’ONU, 73 000 appartements, 163 écoles et six hôpitaux sont détruits ou endommagés.
Un an après le drame, les responsabilités dans le cataclysme n’ont toujours pas été établies et ses circonstances exactes continuent de faire débat. La presse libanaise a démontré que les plus hautes autorités de l’État avaient été alertées de la présence dans le port du nitrate d’ammonium, un explosif pouvant servir d’engrais azoté. Mais l’enquête menée par le juge Tarek Bitar fait du surplace.
Sur le terrain, la situation est toujours critique. L’explosion aurait provoqué des dommages s’évaluant à quatre milliards d’euros, selon la Banque mondiale. Des milliers de personnes sont toujours sans abri et seuls 50 % des 77 000 bâtiments endommagés auraient été réparés.
Un rapport de l’ONG Human Rights Watch, publié le 3 août, apporte de nouveaux éléments qui pointent la responsabilité de l’administration et du gouvernement. Il accuse de négligence criminelle, de violation du droit à la vie et de faire barrage à l’enquête locale sur l’explosion dévastatrice du 4 août 2020 au port de Beyrouth.
D’après l’ONG, les manquements auraient commencé en 2013 dès l’arrivée de la cargaison à bord du navire moldave « Rhosus » arrivant de Géorgie et naviguant à destination du Mozambique. « Les responsables du ministère des Travaux publics et des Transports ont décrit de manière inexacte les risques de la cargaison dans leurs demandes à la justice de décharger la marchandise », a déclaré HRW.
Ils auraient également « sciemment stocké le nitrate d’ammonium dans le port de Beyrouth avec des matériaux inflammables ou explosifs pendant près de six ans », même après avoir reçu les rapports sur la dangerosité du stock.
Les autorités douanières, alertées pour la première fois en 2014 n’ont pas pris les mesures adéquates pour s’en débarrasser, selon l’ONG. Et l’armée libanaise n’aurait « pris aucune mesure apparente pour sécuriser » le stock, indique le rapport.
Human Rights Watch recommande la mise en place d’une mission d’investigation indépendante de l’ONU et des sanctions internationales contre les hauts responsables libanais, notamment l’ancien premier ministre Hassan Diab, qui a démissionné en août 2020. Mais à ce jour, aucun responsable n’est traduit en justice et l’enquête des juges, qui se heurtent aux autorités politiques, patine.
Le juge libanais Fadi Sawan, chargé de l’enquête sur l’explosion a inculpé, en décembre 2020, le premier ministre démissionnaire et trois anciens ministres pour négligence. Une première. Hassan Diab a déclaré être choqué de cette accusation. La décision du juge a été prise après que l’enquête a confirmé que les accusés avaient reçu des rapports les mettant en garde des dangers que représentaient ces produits chimiques stockés dans le port.
Explosion de Beyrouth : le désastre reconstitué © Mediapart
L’explosion dans le port de Beyrouth a été un séisme de plus pour le Liban, alors que le pays s’enfonce dans une crise économique, sociale et politique depuis 2019. Les ruptures d’approvisionnement, les pénuries (voir notre article sur les coupures d’électricité) sont devenues le lot quotidien des Libanais, aggravé par la pandémie de Covid-19. Le Liban connaît « l’une des pires crises économiques de l’histoire moderne », selon la Banque mondiale. La livre libanaise a perdu plus de 90 % de sa valeur et plus de la moitié de la population a basculé dans la pauvreté.
Alors que « l’initiative française » menée par Emmanuel Macron au lendemain de l’explosion du 4 août 2020 s’est soldée par un échec, le président français prévoit de conduire ce 4 août une conférence internationale sur le Liban. L’objectif ? Réunir une aide d’urgence d’au moins 350 millions de dollars pour la population libanaise, explique l’Élysée. 280 millions d’euros avaient déjà été levés lors d’une première conférence internationale l’été dernier. Un soutien d’urgence alors que le Liban est en faillite et à court de réserves.
Les participants à la conférence devraient « réaffirmer la nécessité [pour le Liban – ndlr] de constituer un gouvernement rapidement capable de mettre en œuvre les réformes structurelles attendues par la population libanaise et la communauté internationale et qui permettra d’apporter un soutien qui va au-delà de l’urgence », a précisé la présidence française.
À l’issue de la réunion, des sanctions devraient aussi être prises contre les élites jugées responsables de la situation désastreuse du pays.
Début mai, le gouvernement libanais a sollicité une aide du Fonds monétaire international (FMI). L’institution monétaire a réaffirmé que l’octroi d’une enveloppe restait conditionné à la formation d’un gouvernement capable d’engager des réformes de fond, alors que le pays souffre d’une corruption endémique. À tous les niveaux.
Le gouverneur de la banque centrale libanaise, Riad Salamé, est devenu un des symboles de cette corruption. Sa fortune a fait l’objet de nombreuses enquêtes dans la presse. Au printemps, il a été mis en examen dans le cadre d’une enquête de la justice suisse pour « blanchiment d’argent aggravé en lien avec un éventuel détournement de fonds au détriment de la Banque du Liban ». En juin, le Parquet national financier (PNF) a à son tour décidé d’ouvrir une enquête contre lui.
Le Liban est toujours sans gouvernement depuis la démission de Hassan Diab et de son équipe le 10 août 2020. Neuf mois de tractations avec le président Michel Aoun n’auront pas suffi au sunnite Saad Hariri, successeur de Diab au poste de premier ministre, pour former un gouvernement. Mi-juillet, il a annoncé démissionner à son tour. « Il est clair que nous n’allons pas pouvoir nous entendre, le président et moi. J’ai donc décidé de démissionner », a-t-il déclaré à la suite d’une rencontre avec Aoun. Le litige portant sur la composition de l’équipe gouvernementale.
Ce dernier exigeait de désigner lui-même la totalité des ministres chrétiens, censés, selon la Constitution, composer la moitié du gouvernement. Saad Hariri a refusé de lui céder cette prérogative qui revient, selon lui, au premier ministre.
Le nouveau Premier ministre désigné, Najib Mikati, a annoncé le 2 août qu’un gouvernement ne verrait pas le jour avant la commémoration de l’explosion du port de Beyrouth le 4 août, les marchandages politiques obstruant une nouvelle fois sa tâche.