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Louis Mazière, membre du collectif Jeunesse du FSMI
Nous publions ci-dessous un compte-rendu de l’atelier d’ATTAC-Québec sur le lobbyisme organisé qui s’est tenu au Forum social mondial des Intersections 2025. Or, dans le cadre de sa campagne sur le lobbyisme, ATTAC-Québec vient de dévoiler l’entreprise récipiendaire de son Prix du lobby de l’année 2025. Connue pour son implication controversée à la Fonderie Horne à Rouyn-Noranda et visée par une action collective toujours devant les tribunaux, il s’agit de la compagnie Glencore. Elle se distingue dans de nombreux dossiers pour ses pratiques soutenues d’influence politique.
L’association altermondialiste a choisi d’accorder cette récompense satirique à cette entreprise dont l’influence est excessive et dont la recherche de profit passe avant les intérêts d’une grande partie de la population. Son objectif est aussi de montrer, par l’exemple d’un cas particulier, comment s’exerce le lobbyisme des grandes entreprises au Québec. – La rédaction
L’ombre qui gouverne
Dans le théâtre politique contemporain, le lobbyisme n’est plus un figurant discret, il en est un scénariste. À la croisée des intérêts économiques, des relations d’influence, et des constructions idéologiques, le lobbyisme s’est imposé comme une mécanique incontournable du pouvoir réel. Ce n’est plus une simple pression exercée dans les antichambres de l’État, mais une architecture sophistiquée qui modèle les décisions, les récits, et même les sensibilités collectives.
C’est ce que dénonce avec force ATTAC-Québec, mouvement altermondialiste, dans un atelier enrichissant, au croisement du diagnostic et de la stratégie, avec la volonté de déconstruire ce pouvoir opaque.
Transparence de surface, impunité de fond
Le Canada, sur papier, est doté d’un système de registre du lobbyisme relativement avancé. Deux registres, l’un provincial du Québec et l’autre fédéral, permettent de retracer l’identité des lobbyistes et leurs rencontres avec les titulaires de charges publiques. Mais derrière cette vitrine, les carences sont nombreuses.
Les pénalisations sont rares, souvent liées à des vices de procédure plutôt qu’à une véritable remise en question du système. Aucun contenu des échanges n’est divulgué, et les commissaires au lobbyisme peinent à exercer une régulation réelle, leurs budgets et pouvoirs étant notoirement limités. Pire encore, certains secteurs clés, santé, éducation, échappent largement au cadre législatif actuel, ce qui ouvre la porte à des influences majeures hors de tout contrôle citoyen.
Lors de l’atelier, une expression a résonné : « Dès qu’il y a des élu.es, il y a du lobbyisme. » Ce constat brut souligne à quel point l’influence est désormais structurelle, et non circonstancielle. Ce ne sont pas quelques pommes pourries : c’est le panier tout entier qui mérite examen.
Quand le lobby devient culture
Le lobbyisme moderne ne se contente plus de défendre des intérêts. Il infiltre les esprits, reconfigure les récits et réécrit les normes. Il agit sur deux fronts : les institutions et les imaginaires. Ce phénomène est aussi visible en France, où la concentration des médias entre les mains de quelques oligarques, comme Vincent Bolloré, accentue cette hégémonie idéologique. Aux États-Unis, des think tanks ultraconservateurs façonnent des politiques publiques d’envergure, comme le « Projet 2025 », visant à imposer une réorganisation autoritaire de l’État.
Partout, les mêmes mécanismes se répètent : influence des élu.es, financement de groupes écrans, manipulation de l’opinion par la publicité ou les fausses mobilisations citoyennes, portes tournantes entre privé et public… Une démocratie sous influence.
Un outil d’hégémonie culturelle néolibérale
Les lobbys ne se contentent plus d’influencer les décisions politiques : ils façonnent aujourd’hui les imaginaires collectifs. À travers une présence massive dans les institutions, les médias et les sphères d’expertise, ils participent à structurer une hégémonie culturelle néolibérale qui se présente comme neutre. L’austérité devient « la responsabilité budgétaire », la destruction écologique est « la croissance verte », et l’extrême droite se normalise dans le paysage médiatique. Comme dit précédemment, ce glissement est rendu possible par le phénomène bien connu de pantouflage.
Face à cette emprise, la bataille des idées semble aujourd’hui perdue. La gauche, dans sa diversité, peine à imposer ses récits, à produire des contre-imaginaires puissants, à articuler une vision politique capable de faire rupture. Pourtant, des résistances émergent.
Au Québec, Attac Québec se bat pour une loi plus stricte sur les lobbys, afin de reprendre le contrôle démocratique sur les politiques publiques. Cette lutte pour la transparence est un pas vers une déconstruction de la pensée unique ultralibérale, car elle ouvre la voie à des formes de débat réellement pluralistes, non confisquées par les intérêts économiques dominants.
En France, la concentration des médias entre les mains de quelques milliardaires parachève cette mainmise idéologique. Vincent Bolloré en est l’exemple parfait (CNews, Europe 1, Le JDD, Hachette…). Son empire orchestre une offensive réactionnaire sans précédent. En martelant chaque jour les thèmes du choc des civilisations, de l’autorité perdue et du mépris de classe, son agenda est clair : permettre à l’extrême droite d’arriver au pouvoir. Il ne s’agit plus d’un biais éditorial, mais bien d’une stratégie politique.
La campagne « Stop Bolloré », portée par ATTAC France, Acrimed, Le Média, la Ligue des droits de l’homme, la Confédération générale du travail, InfoCom et bien d’autres, s’attaque directement à la concentration médiatique. Son objectif est de désarmer le pouvoir idéologique d’un homme d’affaires qui instrumentalise l’information pour transformer le paysage politique.
Sortir du règne des lobbys, c’est aussi reconstruire une culture politique critique, affirmer que d’autres mondes sont possibles.
D’une démocratie verrouillée à une démocratie libérée
La critique du lobbyisme ne doit pas se limiter à une indignation morale ou à la seule revendication de plus de transparence. Il s’agit d’un enjeu de pouvoir, de récit, et de démocratie réelle. En exigeant l’extension des périodes de carence, l’assujettissement des secteurs exclus et une refonte de la régulation publique, ATTAC-Québec construit une riposte juridique et politique.
En France, le terrain de bataille est médiatique, idéologique, et nécessite une mobilisation culturelle profonde. En effet, la régulation du lobbyisme repose principalement sur la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), créée en 2013. Celle-ci tient un registre des groupes représentant d’intérêts et impose des obligations déclaratives aux lobbyistes, notamment sur leurs activités, leurs dépenses et les décisions visées. Toutefois, le dispositif reste limité : il ne couvre pas tous les réseaux lobbyistes influents, les sanctions sont rares, et les moyens d’enquête de la HATVP restent contraints.
Par ailleurs, au niveau de l’Union européenne, un registre de transparence commun au Parlement européen et à la Commission existe, mais il demeure volontaire, ce qui affaiblit son efficacité. De nombreux lobbys y échappent encore, malgré leur rôle prépondérant dans l’élaboration des normes européennes, particulièrement dans les domaines du commerce, de l’environnement et du numérique.
Ainsi, que ce soit en France, à Bruxelles ou au Québec, le contrôle du lobbyisme reste partiel et souvent inadapté à l’ampleur des enjeux démocratiques. Le combat contre le lobbyisme est un combat pour la réappropriation citoyenne de nos institutions. Il est une exigence de souveraineté démocratique face à la colonisation silencieuse de l’État par les puissances économiques. Si « le monde d’après » doit un jour advenir, il passera nécessairement par cette reconquête du politique.