Pierre Beaudet
En août dernier, le gouvernement malien était renversé par un coup d’état militaire. Pendant des semaines, des dizaines de Maliens étaient dans la rue pour réclamer le départ du mal-aimé Ibrahim Boubacar Keïta, au pouvoir depuis 2013. Croulant dans la misère et la corruption[1], le peuple en avait marre, d’où une grande coalition, le Mouvement du 5 Juin – Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) regroupant plusieurs familles politiques, incluant la gauche et les islamistes « modérés (dirigés par l’Imam Mahmoud Dicko, une des personnalités les plus populaires au pays). Peu après leur capture du pouvoir, les militaires ont mis de l’avant le Comité national pour le salut du peuple (CNSP), ce qui a débouché sur un gouvernement provisoire chargé de préparer des élections.
Le jeu de l’impérialisme français
Dès les années 1960 au début de la décolonisation, la France n’a pas voulu lâcher le morceau en renversant par la force le premier président Modibo Keita qu’elle trouvait trop nationaliste. Par la suite, la France s’est bien installée au Mali tant sur le plan militaire que sur le plan des investissements dans l’agro-industrie (le coton) et les mines. Depuis quelques années cependant, « Françafrique » (le réseau politico-économico-militaire qui règne en maître dans la région a énormément reculé, en perdant notamment son « beau fleuron » (la Côte d’Ivoire) et en voyant des régimes pourris renversés par la rue (Burkina Faso, Sénégal). Derrière ce déclin, il y a la colère africaine, et aussi la forte compétition que font à la France les intérêts chinois notamment. Malgré les entourloupettes du président Macron, on a l’impression que le chien crevé de l’impérialisme français connaît ses dernières heures. Depuis le coup d’état, la France et ses alliés régionaux essaient de calmer le jeu et de réclamer le « retour de la démocratie », c’est-à-dire de leur réseau d’influence. Paris et ses alliés de l’OTAN craignent que le processus en cours ne mène à une certaine radicalisation et éventuellement, au rétablissement d’une réelle souveraineté nationale. La transition réclamée par le peuple et des organisations comme le Forum pour un autre Mali présidé par Aminata Traoré devrait aller plus loin qu’un simple changement de personnel[2].
Un pays en faillite
Selon Aminata Traoré, le pays est dans une crise totale, aggravée par la pandémie. La sécurité flanche de toutes parts alors que les 7000 militaires français devaient assurer la « paix ». « En 2014, le président Hollande a ordonné une autre grande opération militaire au Mali, soi-disant pour bloquer l’avancement des Jihadistes. Aujourd’hui, les Jihadistes sont plus forts que jamais et présents partout dans la région, au Mali, au Burkina, au Niger, au Tchad et même dans certaines régions du Nigeria et du Cameroun, ce qui a causé ces dernières années des centaines de morts et la destruction de plusieurs villages et quartiers, partout au pays, au nord comme au sud et au centre. Cette offensive française a été endossée par l’OTAN et ses États-membres, dont le Canada[3], également, avec l’appui de la Banque mondiale. Selon Aminata, « ils nous parlent de la bonne gouvernance et de la défense de la démocratie et de la paix, mais dans le fonds, ils sont des obstacles à une véritable démocratisation ». Les mouvements populaires en grande majorité ne veulent pas « échanger » le joug français pour le « joug islamiste », surtout après les exactions qu’ils ont commis contre les civils lorsqu’ils ont occupé quelques villes du nord. « Pour moi, djihadisme et interventions militaires vont ensemble. Un se nourrit de l’autre », précise Aminata.
Selon les observateurs africains, la détérioration de la situation s’est accélérée quand l’OTAN avec la France au premier plan, à l’encontre des résolutions de l’ONU, a détruit le régime de Mouammar Kadhafi en 2011, ce qui a mené au dépeçage et au pillage de ce pays. Un des effets collatéraux de ce carnage a été de déstabiliser toute la région, y compris le Mali, qui était alors un grand pourvoyeur en main d’œuvre de la riche Lybie. « Les puissances demandent à des pays pauvres comme le Mali de gérer leurs turpitudes qui apparaissent comme une atroce guerre « sans fin ».
Les défis de la reconstruction
Le nouveau gouvernement s’est empressé de négocier avec les Jihadistes pour obtenir la libération d’otages étrangers en échange des prisonniers jihadistes. « La solution pour rétablir la paix est politique, sociale, culturelle, écologique et non militaire », selon Aminata. Par ailleurs, « une paix à long terme ne surviendra que lorsque le Mali pourra confronter les politiques néolibérales qui ont enfermé son développement et forcé des dizaines de jeunes Maliens à prendre le chemin de l’exil, très souvent dans des conditions horribles » Fait à noter, une des otages français libérées, Sophie Pétronin, a choqué Macron lorsqu’elle a déclaré son opposition à la vague d’islamophobie qui sévit en France et qui justifie les interventions militaires.
Pour Aminata, la participation des organisations de la société civile sera indispensable pour entamer une véritable transition vers la paix. « La France et ses alliés régionaux veulent des élections précipitées pour imposer, comme ils l’ont fait au Burkina, une autre clique à son service ».
[1] 78 % et 28% de la population malienne vivent respectivement dans la pauvreté et dans l’extrême pauvreté.
[2] Les citations sont extraites d’une présentation d’Aminata Traoré lors d’un webinaire organisé le 10 octobre dernier par le Forum social africain.
[3] Le Canada a déployé 2n 1918 1200 soldats dans le cadre d’une opération dirigée par la France mais endossée par l’ONU.