PARTI DE GAUCHE (FRANCE), 22 août 2020
Vingt-trois (23) morts dans la répression des 10, 11 et 12 juillet 2020, l’opposant politique « officiel » Soumaila Cissé disparu depuis maintenant quatre mois, un régime discrédité et corrompu, des élections législatives de mars-avril viciées, l’instabilité sécuritaire dans le centre et le nord du pays, des accords d’Alger en échec car ils ont été imposés en dehors du peuple malien, un risque avéré de partition du pays et surtout un mouvement populaire fort : rien de tout ceci n’émeut la CEDEAO, ce syndicat de dirigeants préoccupés pour la majorité d’entre eux par leur maintien au pouvoir.
Un syndicat qui a l’habitude de l’abus de pouvoir : on se souvient de l’épisode 2012 au cours duquel la CEDEAO avait décidé d’imposer un embargo sur les armes, décision contre laquelle le parti SADI avait porté plainte et a fini par gagner. Cette fois ci la CEDEAO viole délibérément la Constitution du Mali en demandant la démission de la trentaine de députés (ces derniers refusant d’ailleurs d’obtempérer) certes élus dans des conditions contestables mais installés de façon légale, une façon de faire une concession minime pour préserver l’essentiel à leurs yeux à savoir le maintien au pouvoir d’IBK.
Il est vrai qu’IBK reçoit régulièrement les louanges des institutions financières internationales pour son remboursement régulier de la dette (le Mali consacre 470 milliards CFA tous les ans au paiement de la dette alors qu’aucun ministère n’a un budget équivalent et emprunte plus de 30 milliards tous les mois tout en payant plus de 39 milliards pour le service de cette dette). Mais à quel prix ! 40 % des 20 millions de Maliens vivent dans une situation d’extrême-pauvreté, étant souvent sujets à la famine. Seul un tiers de la population sait lire et écrire dans un pays qui manque d’hôpitaux, d’écoles et de routes.
Face à ce désastre se dresse le Mouvement du 5 juin 2020 (M5/RFP), qui est composé de personnalités et de citoyens-nes de différentes origines, des mouvements sociaux dont des syndicats, ainsi que des organisations politiques. Un mouvement que certains (et en particulier le gouvernement français) cherchent à diaboliser mais qui se constitue en mouvement de révolution citoyenne dont nous souhaitons le succès.
Car le plan de sortie de crise présenté par la CEDEAO n’a pas convaincu et le M5/RFP continue avec raison à demander le départ (refusé par la CEDEAO) du chef de l’État Ibrahim Boubacar Keïta et du Premier ministre Boubou Cissé.
« Les solutions de demi-teinte ne pourront pas régler le problème malien », a déclaré Ibrahim Ikassa Maïga, un des leaders de ce mouvement.
« Le Mali n’est ni un peuple soumis ni résigné. Il ne faut pas qu’on cherche à nous distraire. Il faut restaurer la nation malienne par les Maliens et pour les Maliens », a déclaré l’imam Mahmoud Dicko.
Les jeunes du mouvement de contestation M5/RFP sont aussi décidés à poursuivre avec leurs ainés les actions de désobéissance civile après la trêve de la tabaski.
Le « hirak » malien à l’instar de son homologue algérien doit continuer dans la durée afin de montrer sa détermination même si la méfiance envers ce pouvoir aux abois est de mise car l’Etat malien aurait acquis récemment auprès de pays voisins, notamment de la Côte d’Ivoire et la Guinée, du matériel anti émeutes. La prochaine manifestation prévu le 11 août sera un test important d’une part de la volonté ou non du pouvoir de laisser le peuple s’exprimer, d’autre part du caractère progressiste et laïque du mouvement.
C’est que le pouvoir actuel fait les frais des conséquences d’une politique qui a consisté à affaiblir l’opposition et à annihiler la société civile pour être plus fort. Aujourd’hui, cette stratégie s’est retournée contre lui. Finalement, les autorités n’ont plus que la rue comme interlocuteur, mais, entre-temps, cette rue a été récupérée par un religieux qui joue de son pouvoir charismatique.
Ce dernier, Mahmoud Dicko s’est imposé sur la scène publique en 2009, au moment des débats sur la question du Code de la famille ; on se souvient aussi de ses déclarations réactionnaires sur les homosexuels. Il a mobilisé plus de 200 mouvements islamiques pour soutenir IBK en 2013 dans le cadre d’une coalition. Mais les choses ont changé en 2018-2019 et il a su récupérer toutes les formes de frustrations en incarnant la lutte contre la mal-gouvernance ou contre la corruption. Il est connu que l’imam Dicko est favorable au dialogue avec les terroristes, déjà au regard de ses rapports personnels avec certains dirigeants comme Iyad Ag Ghali, le leader d’Ansar Dine, ou encore Amadou Koufa, de la katiba Macina, qu’il appelle « mon grand frère ». Il faut aussi souligner que cette idée de dialogue avec les groupes terroristes fait partie des recommandations issues du dialogue inclusif inter-malien et qu’elle n’est pas propre à l’imam.
Qu’il veuille contrôler le pouvoir soit, qu’il veuille l’exercer non (il ne l’a d’ailleurs pas réclamé à ce jour). Les religieux non salafistes engagés dans le mouvement et les forces laïques de la coalition, dont le SADI, sont suffisamment vigilantes pour cela en veillant en particulier au comportement potentiellement dangereux de certains membres de l’entourage de l’imam à l’instar de son porte-parole Kaodim.
Sur l’intervention de la communauté internationale, il y a un conflit de perception entre l’approche internationale de la crise malienne et les perceptions locales. Outre le mode d’intervention militaire de la France, (mode qui a depuis été modifié avec une plus grande efficacité) les aspects civilo-militaires ont été négligés. On ne peut pas tenir dans la durée (plus de six ans !) des troupes étrangères dans un pays sans aussi s’occuper des populations terrorisées par les djihadistes et les conflits intercommunautaires. (A l’échec militaire du gouvernement français et au lieu de tenir compte de l’avis de ses propres militaires très lucides sur ce conflit sans fin, Macron ajoute l’échec de la mise en place d’une force européenne dite Tabuka que Macron avait claironnée en pensant naïvement obtenir que 11 Etats européens envoient au Sahel plusieurs centaines de leurs commandos de leurs forces spéciales).
Il y a une société civile forte et un développement des réseaux sociaux. Il faudrait faire confiance aux capacités des populations qui ont toujours su se réinventer avec des mécanismes traditionnels de résolution des conflits qu’on a jusqu’ici négligés. C’est donc à un changement de paradigme que la communauté internationale est confrontée, changement qui ne se fera que si le gouvernement français annonce clairement le retrait programmé de ses forces au profit de l’ONU et de l’UA.
Devant cette impasse, il nous faudrait d’abord admettre que le capitalisme français s’est enrichi sur le dos du Mali (nous ne sommes pas les seuls, le Canada en particulier faisant figure de gros prédateur). Puis dialoguer avec tous les acteurs politiques et les encourager à trouver une solution paisible tout en suspendant l’aide budgétaire à un régime aussi corrompu et en bâtissant les mécanismes d’appui lorsqu’un gouvernement de transition sérieux sera mis en place.