Crédit photyo: Proimagenes Colombie - Film Alias María
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Isabel Cortés — correspondante

Dans le sud-ouest de la Colombie, où la jungle dissimule des noms et la guerre déchire des enfances, un groupe de personnes courageuses, principalement des femmes, refuse de baisser les bras pour contrer le recrutement forcé de jeunes mineur.es pour la guerre. Solanyi Guejia, autochtone Nasa, et Emilse Jiménez de la communauté afrodescendante, dirigent la Garde interculturelle humanitaire et le Mouvement national des mères et femmes pour la paix, qui ont sauvé depuis janvier neuf jeunes mineur.es des griffes de groupes armés dans le Cauca, épicentre actuel de cette tragédie. Elles ont obtenu quatre mesures de protection de la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH) pour protéger les filles et garçons victimes de recrutement forcé.

Ce mouvement reflète la douleur et la détermination de directions autochtones, afrodescendantes et paysannes qui recherchent leurs proches avec un courage défiant menaces et violence. Cet article veut rendre hommage à leur résistance et dénoncer un crime qui continue de déchirer la Colombie.

La Garde interculturelle : une résistance diverse et unie

La Garde interculturelle humanitaire, fondée en décembre 2024, est la première initiative en Colombie à réunir des communautés autochtones, afrodescendantes et paysannes pour combattre le recrutement forcé. Sous la direction de Solanyi Guejia, du resguardo Nasa de Yumbo, ce réseau opère sans siège fixe, se coordonnant virtuellement pour localiser des jeunes capté.es par des groupes tels que les dissidences des FARC et l’État-major central (EMC). En 2025, ils ont documenté plus de 200 cas dans le Cauca et réussi à libérer neuf personnes mineures, incluant une jeune fille de 14 ans, sur le point d’être transférée aux Llanos del Meta.

Guejia, qui porte l’écusson de la Garde sur son foulard, affirme : « Nous nous sommes unis parce que seulement en communauté pouvons-nous pénétrer dans des territoires interdits et retrouver nos enfants, filles et jeunes. » La Garde cartographie la présence de groupes armés, partage des informations entre les communautés et plaide pour la libération des mineurs.

Leur travail fait face à une tactique cruelle des groupes armés : ceux-ci font signer des « contrats » sous contrainte, présentés comme des accords volontaires pour contourner le Droit international humanitaire qui interdit la participation de personnes de moins de 18 ans dans les conflits armés.

La douleur des familles : des histoires de perte

Emilse Jiménez, responsable de la Garde Cimarrona de Buenos Aires, Cauca, porte le poids d’une tragédie personnelle. Son neveu, Derian David Carabalí, a été recruté à 17 ans par les dissidences en septembre 2022. « Il n’apparaît ni vivant ni mort, » partage Lucila Carabalí, mère de Derian. Ces histoires de perte reflètent la souffrance de nombreuses familles confrontées à l’incertitude et à la violence.

Un crime en augmentation : les chiffres de l’horreur

Illustration du Défenseur du peuple de Colombie

Le recrutement forcé en Colombie a pris des proportions alarmantes. Selon le Défenseur du peuple, 55 cas ont été enregistrés entre janvier et juin 2025, bien que des organisations comme Coalico rapportent 60 cas et la Juridiction spéciale pour la paix (JEP), 140 entre janvier et avril. Les responsables communautaires, toutefois, documentent plus de 200 plaintes dans le Cauca, où le conflit armé et l’exclusion sociale transforment les jeunes en cibles faciles. Un rapport de l’ONU (2024) a vérifié 450 cas de recrutement à l’échelle nationale, une hausse de 60 % par rapport à 2023, les enfants autochtones et afrodescendants étant les principales victimes.

Les groupes armés, comme l’État-major central EMC, l’Armée de libération nationale (ELN) et le Clan du Golfe, emploient des tactiques de plus en plus sophistiquées, incluant des promesses d’argent, de biens ou une manipulation via les réseaux sociaux pour attirer des jeunes. Selon l’UNICEF, ces promesses sont des leurres qui emprisonnent enfants, filles et jeunes dans un cycle de violence, d’exploitation et de mort.

Les chiffres d’expansion, comme l’augmentation de 84 % de la présence du Clan du Golfe entre 2019 et 2024, témoignent d’un renforcement de ces groupes au milieu de la faiblesse étatique et de la fragmentation des processus de paix. La perception que ces groupes « tiennent la Colombie en échec » souligne l’urgence d’aborder leurs activités criminelles ainsi que les conditions sociales qui leur permettent de prospérer.

La crise de l’exploitation sexuelle des filles recrutées

Au cœur de ce problème réside une tragédie silencieuse. Le recrutement forcé des filles en Colombie ne se limite pas à leur dépossession de liberté, il les plonge dans un cycle de violence sexuelle laissant des cicatrices indélébiles.

Des filles, certaines de seulement 10 ou 11 ans, sont recrutées par des groupes armés et soumises à de l’exploitation sexuelle, selon un rapport dévastateur de la Coalition contre l’engagement d’enfants, de filles et de jeunes dans le conflit armé en Colombie (Coalico). Publié en juillet 2025, ce rapport expose comment elles affrontent non seulement la perte de leur enfance, mais aussi une manipulation émotionnelle et des violences sexuelles utilisées comme outils de contrôle.

Hilda Molano, membre de Coalico, met en garde que ces filles sont choisies selon la logique « plus elles sont jeunes, mieux c’est », les intégrant dans des stratégies de violence sexuelle qui perpétuent des cycles de traumatisme et de nouveaux recrutements. L’absence de présence étatique et la crainte de représailles aggravent le sous-enregistrement, réduisant au silence victimes et familles.

La Juridiction spéciale pour la paix (JEP), dans son dossier sur le recrutement et l’utilisation de jeunes mineur.es, a documenté que la violence sexuelle contre les filles n’est pas un fait isolé, mais une pratique systématique dans le conflit armé colombien. En 2025, la JEP poursuit la collecte de témoignages qui contredisent les affirmations d’anciens membres des FARC niant des schèmes de violence sexuelle, soulignant la nécessité de vérité et de justice pour les victimes.

La lutte pour l’espoir

Le Mouvement national des mères et femmes pour la paix, aux côtés de la Garde interculturelle, ne se contente pas de rechercher les jeunes, il défie l’indifférence institutionnelle. Sofía López, avocate de la Corporation Justice et Dignité, souligne que la rapidité des plaintes est cruciale pour les libérations. Lorsqu’une famille signale un cas, la Garde diffuse de l’information sur les réseaux sociaux et coordonne avec des leaders communautaires pour localiser les jeunes. « L’information partagée par la communauté est notre plus grande force », affirme Jiménez.

En février 2025, le Mouvement national des mères et femmes pour la paix, avec les Corporations Justice et Démocratie et Justice et Dignité, a porté son message en Europe. Depuis le Sud-ouest colombien, où enfants, filles et jeunes sont arrachés des écoles pour combattre, les responsables de ces organisations ont dénoncé le recrutement forcé qui fait disparaître des vies dans la jungle. Sans ressources, mais avec la force de la vérité, leur tournée à Genève, Barcelone et Madrid a mis en lumière une crise qui, en 2025, a généré plus de 200 plaintes rien que dans le Cauca, l’enfance autochtone étant la principale victime.

Toutefois, le mouvement dénonce la Procureure générale de la Nation qui ne répond pas avec l’urgence requise, priorisant des crimes comme le narcotrafic. Face à l’inaction institutionnelle, le Mouvement exige que la Procureure développe des protocoles spécialisés pour enquêter sur le recrutement forcé, particulièrement dans les communautés ethniques, où la moitié des jeunes mineur.es recruté.es sont autochtones. Les mesures de protection de la CIDH constituent un pas vers la sauvegarde, mais les dirigeantes insistent : sans enquêtes efficaces et confidentielles, le cycle de violence persistera. Leur appel résonne comme un cri mondial pour la défense des enfances volées par la guerre.

Sources :

  • Mouvement national des mères et femmes pour la paix — Colombie.
  • Rapport du Secrétaire général de l’ONU sur les enfants et les conflits armés, 2024.
  • Coalition contre l’engagement d’enfants, de filles et de jeunes dans le conflit armé (Coalico), 2025.
  • Défenseur du peuple, Rapport sur le recrutement forcé, juillet 2025.
  • Juridiction spéciale pour la paix, Rapport Macrodossier 07, 2025.
  • Entretiens avec Solanyi Guejia et Emilse Jiménez, juillet 2025.