Mexique : 30 ans plus tard, qu’est devenu le mouvement zapatiste ?

Illustration exposée dans le contexte de la préparation de la Caravane «El Sur Resiste» ayant eu lieu en 2023 - Crédit photo : Guillaume Manningham.

Le mouvement zapatiste vient de fêter ses 30 ans cette année ! Ces communautés, principalement autochtones, qui prospèrent de manière autonome et indépendante dans l’État du Chiapas, sont pourtant caractérisées de déclinantes dans les médias traditionnels. Mais ce déclin est-il bien réel ?

La mort du mouvement: une fausse croyance occidentale

Guillaume a effectué un séjour à Acteal dans la région de los Altos dans une communauté tzotzil autonome reliée à la société civile des Abejas. Il s’agissait d’une brigade d’observation pour la défense des droits humains (BRICOS) organisée par le Centre des droits humains du Chiapas, le FRAYBA. Crédit photo: Guillaume Manningham

Guillaume Manningham, un militant québécois rentré du Chiapas l’an dernier, a passé plusieurs mois dans les zones zapatistes. Pour lui, les médias font fausse route sur la dégradation des conditions de vie de la population sous le contrôle des forces zapatistes. Bien que ce mouvement ait perdu en popularité dans les médias internationaux et sur les réseaux sociaux, il ne se meurt pas pour autant. Cette communauté, qui vit  avec son propre système juridique, éducatif, de santé et de gouvernance, est toujours très présente dans les médias nationaux du Mexique.

L’impression des reculs de ce mouvement serait en fait liée au fonctionnement des médias. La recherche de l’exceptionnalisme n’est pas compatible avec ce mouvement pacifiste. Le soulèvement de 1994 avait fait forte impression dans les médias internationaux qui voyaient dans l’émergence d’un mouvement indigène pour les droits humains un scoop. Mais le sensationnalisme a disparu avec la non-violence de cette communauté et avec le retrait de Marcos, l’ancien porte-parole charismatique. 

Guillaume soutient que les zapatistes n’ont pas pour objectif d’imposer leur idéologie ou de faire des opérations militaires pour la paix dans le monde. Ça rend leur activité moins impressionnante pour les médias comparés aux conflits dans le monde. 

Retour sur les évènements de 1994

Rappelons que le 1er janvier 1994, une insurrection indigène, principalement Maya, au Chiapas a lieu  en réponse à l’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) le même jour. L’Armée zapatiste de libération nationale (Ejército Zapatista de Liberación Nacional – EZLN) prend les armes pour la première et dernière fois pendant douze jours de conflit, avant que le gouvernement fédéral ne décrète un cessez-le-feu unilatéral sous la pression de la société civile nationale et internationale.

Progressivement, les militant.es obtiennent l’autonomie de plusieurs municipalités qui sont regroupées en cinq « caracoles » autogérées et autosuffisantes. Aujourd’hui, l’expérience zapatiste se déploie dans un territoire équivalent à la Belgique. Mais, sur ce territoire, vivent aussi des gens qui ne sont pas sous la gouverne du mouvement zapatiste, ce qui implique donc la coexistence, pas toujours facile, de deux systèmes politiques différents. 

L’EZLN étend son action sur près de 25% du territoire du Chiapas, avec environ mille communautés. Elle affirme lutter non seulement pour la protection et la promotion des droits des populations indigènes, mais aussi de toutes les minorités du pays, avec un principe fondateur : « tout pour toutes et tous et rien pour nous ».

Une particularité de l’EZNL en 1994 était l’utilisation des communications ! Le mouvement déclenche dès le départ une offensive médiatique qui utilise intensivement les nouvelles technologies (téléphones, Internet), trouvant de nombreux soutiens partout dans le monde. La popularité mondiale et l’attitude non violente du mouvement sont des raisons pour lesquelles on considère l’organisation comme un symbole de la lutte altermondialiste.

Résilience et évolution du mouvement zapatiste

Loin d’être une simple révolte éphémère, le mouvement zapatiste a perduré et évolué au fil des décennies. Malgré les défis, les communautés autochtones du Chiapas ont maintenu leur résistance face aux pressions économiques, politiques et sociales, défendant avec détermination leurs droits ancestraux et leur identité culturelle. Trente ans après le soulèvement initial, les zapatistes continuent de dénoncer les injustices et les inégalités qui persistent au Mexique et dans le monde entier. Leur lutte continue d’inspirer de nombreux mouvements sociaux et contribue à mettre en lumière des questions cruciales de justice sociale, d’autonomie communautaire et de défense de l’environnement.

Pourtant, malgré les avancées obtenues, les défis restent nombreux. Les communautés zapatistes font face à une escalade de la violence des cartels criminels depuis 2021 en particulier. Ils cherchent à étendre leur emprise sur le territoire et à s’approprier les ressources naturelles de la région. Cette violence, souvent alimentée par des intérêts économiques, met en péril la sécurité et le bien-être des populations locales, exacerbant les tensions dans une région déjà marquée par la marginalisation et la pauvreté.

Où en est le mouvement zapatiste alors !

Aujourd’hui, cette troisième génération de zapatiste  se concentre beaucoup plus sur la protection de ses terres et un peu moins sur la communication à l’international. Les zapatistes restent déterminés à poursuivre leur lutte. Lors des récentes célébrations du 30e anniversaire, le sous-commandant Moises a réaffirmé l’importance que la propriété appartienne au peuple et soit un bien commun. 

Les médias traditionnels occidentaux ont annoncé la chute progressive du mouvement. Pourtant de nouveaux projets voient le jour chaque année. Pour maintenir des relations avec l’international, les communautés autonomes reçoivent toutes les deux à trois semaines des volontaires du monde entier – explique Guillaume qui a eu la chance de le vivre. Ces étudiant.es sont reçu.es dans des campements, dont un nouveau fût inauguré dans le Palenque l’an dernier. 

De plus, plusieurs actions ont été prises, y compris au niveau international. En 2018, il y a eu un rassemblement non mixte de femmes pour la solidarité.

Manifestation en caracol (serpentin) de 2 000 personnes à San Cristóbal de Las Casas, le 8 mars 2023, la journée internationale des droits des femmes. Crédit Photo Guillaume

En 2021, les zapatistes et le Congrès national indigène (CNI) ont réuni 41 peuples autochtones au Mexique. Puis, il y a eu une centaine de délégué.es qui ont parcouru l’Europe pendant 4 mois en 2021. Composé notamment de délégué.es de l’EZLN et du CNI 1, la délégation cherchait à rencontrer celles et ceux qui luttent partout dans le monde contre les exploitations et les persécutions, contre la destruction de la planète et contre le capitalisme, comme l’affirme la « Déclaration pour la vie ».

Pour Guillaume, le mouvement zapatiste est resté plus populaire en Europe qu’au Canada, malgré la proximité culturelle autochtone. Il pense que cela est dû à un réseau de solidarité Nord-Sud plus fort, notamment celui avec les Kurdes.

Pour en savoir plus :

 

Altermondialisme: il y a 30 ans – l’étincelle du Chiapas

  1. Le Congrès national indigène (CNI) est né en 1996 à l’initiative des zapatistes et 41 peuples autochtones du Mexique y participe.[]