FRANÇOIS BOUGON, Médiapart, 18 octobre 2019
Pour éviter un bain de sang dans la capitale de l’État de Sinaloa, les autorités mexicaines ont libéré jeudi, quelques heures après l’avoir capturé, le fils d’El Chapo, chef d’un des principaux cartels condamné en juillet à la réclusion à perpétuité aux États-Unis.
Le coup est sévère pour le président mexicain Andrés Manuel López Obrador (que les Mexicains appellent tout simplement « AMLO »), obligé de défendre une nouvelle fois sa politique sécuritaire : jeudi 17 octobre, à Culiacán, la capitale du Sinaloa (nord-ouest), une trentaine de membres de la Garde nationale – un corps composé de policiers et de militaires que le chef d’État a créé depuis son arrivée au pouvoir en décembre 2018 – ont dû relâcher seulement quelques heures après l’avoir interpellé Ovidio Guzmán López, le fils de Joaquín « El Chapo » Guzmán, le chef du cartel de Sinaloa emprisonné aux États-Unis après avoir été condamné en juillet à la réclusion à perpétuité.
Les forces de l’ordre n’ont pas eu le choix. Les autorités, critiquées par l’opposition pour son laxisme, ont expliqué préférer suspendre l’opération de peur des conséquences pour la population de la ville. Des hommes armés avaient pris position un peu partout à Culiacán, semant le chaos et la terreur et faisant huit morts, dont un civil, et seize blessés. Des images et vidéos incroyables ont circulé sur les réseaux sociaux, diffusées par les habitants de Culiacán. En pleine rue, un père de famille s’est mis à l’abri avec sa fille derrière sa voiture. « Papa, est-ce qu’on peut se lever maintenant ? », demande-t-elle. « Non, on reste là, là sur le sol », répond-il. « Pourquoi sur le sol ? », dit-elle…
Dans un autre coin de la ville, des membres du cartel, en quête de renforts, sont allés libérer des prisonniers auxquels ils ont remis des armes. « Ils sont en train de les libérer ! », s’écrie une habitante qui filme la scène. Une caserne est attaquée, une quinzaine de barricades sont dressées dans les rues et sur un pont. Un média indépendant a diffusé une vidéo de la ville, où l’on entend des tirs d’armes automatiques. Au loin s’élèvent des panaches de fumée : « Ce n’est pas le Proche-Orient… c’est le Mexique. » Plus tard dans la nuit, les « narcos » paradent dans une trentaine de véhicules.
L’humiliation est terrible pour le pouvoir central, alors que le chef de l’État, au pouvoir depuis décembre 2018, avait fait de la sécurité et de la baisse des violences du crime organisé une de ses promesses de campagne. Mais vendredi, depuis l’État d’Oaxaca, alors que les membres du cabinet de sécurité nationale se trouvaient à Culiacán, AMLO a défendu la décision de relâcher « El Chapito » (« le petit Chapo ») prise la veille, « car la situation devenait très difficile et de nombreux citoyens, personnes et êtres humains étaient en danger. On a décidé de protéger la vie des êtres humains et j’étais d’accord ». « On ne peut éteindre le feu avec le feu […], a-t-il souligné. Mais il n’y a pas d’impunité, car il n’y a pas de collusion entre les délinquants et les autorités. La frontière est bien nette. »
À la question de savoir s’il y avait un mandat d’arrêt à l’encontre d’Ovidio Guzmán López, il a répondu par l’affirmative, précisant : « Afin de l’extrader. » Puis le journaliste lui a demandé : « C’est Trump qui vous l’a demandé ? » AMLO, piqué au vif, s’est contenté de répliquer : « Je vous respecte. » Ovidio Guzmán, 28 ans, dont le surnom est « El raton » (la souris), est réclamé par la justice américaine pour « trafic de cocaïne, méthamphétamine et marijuana » aux États-Unis, tout comme son frère Joaquín, 34 ans.
Mercredi, AMLO avait pourtant appelé les narcos à déposer les armes au lendemain d’un nouvel affrontement, qui avait coûté la vie à quatorze civils et un militaire à Iguala, dans l’État du Guerrero. Lundi, treize policiers avaient été tués au Michoacán dans une embuscade tendue par des membres du cartel Jalisco Nueva Generación. « Nous ne voulons pas d’affrontements, nous ne voulons pas de violence, a expliqué mercredi le président aux journalistes. J’appelle de nouveau à ce qu’ils déposent les armes. Nous ne voulons pas que l’on résolve les problèmes par la violence, le pays a besoin de paix, nous allons y arriver. »
Cette stratégie a été réaffirmée au lendemain des événements de Culiacán. Le numéro un mexicain a ainsi rappelé vendredi vouloir rompre avec les politiques menées par ses prédécesseurs, marquées en particulier par la militarisation du conflit, une aggravation des violences, une hausse des morts – 34 000 en 2018, plus de 250 000 et 35 000 disparus depuis le début de la guerre contre la drogue lancée par le président Felipe Calderon en 2006 – et une multiplication des atteintes aux droits de l’homme – plus de 10 000 plaintes ont été déposées contre les militaires depuis 2006. « Nous n’allons pas revenir au temps des massacres généralisés », a déclaré depuis Culiacán le ministre de la sécurité Alfonso Durazo. Le gouvernement mexicain insiste sur la prévention, avec l’objectif de s’attaquer aux causes sociales.