EDWIN F. ACKERMAN, Jacobin, 27 juin 2018
Pour sa troisième course à la présidence, Andres Manuel Lopez Obrador (AMLO) détient une avance écrasante de 17-20 points de pourcentage en vue de de l’élection dimanche le 1er juillet. Comme lors ses tentatives passées, les ennemis puissants abondent. Deux des hommes les plus riches du pays ont ouvertement pris position contre lui, envoyant des messages à leurs employés les mettant en garde contre un « modèle économique imminent … qui donne des cadeaux sans avoir à travailler » et les exhortant à voter pour « préserver le système économique qui vous permet avoir votre travail. »
Les attaques sont recyclées des élections précédentes: la vieillesse d’AMLO (bien qu’il n’ait que soixante-quatre ans), le spectre d’une débâcle de style vénézuélien, un « retour » aux stratégies protectionnistes échouées du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) des années 1970.
AMLO, qui se présente sous la bannière de son récent mouvement Movimiento de Regeneración Nacional (MORENA), est dans une course à quatre. Il affronte Ricardo Anaya, un autoproclamé néo-libéral à la tête d’une coalition entre les partis du centre-droit et du centre-gauche (Parti de l’Action Nationale [PAN] et Parti de la Révolution Démocratique [PRD]). Il y également, sous enquête pour blanchiment d’argent, Jose Antonio Meade, l’actuel bureaucrate du régime PRI, et Jaime Rodriguez Calderon, qui a démissionné de son poste de gouverneur du Nuevo Leon pour mener une campagne indépendante en tant que « outsider » folklorique dont la principale contribution au cycle électoral jusqu’ici a été sa proposition de couper les mains des fonctionnaires corrompus.
AMLO est venu très près de gagner avant. En 2006, il a perdu moins de 1% des voix lors d’une élection marquée par des irrégularités (bien qu’il n’ait jamais été possible de savoir à quel point ces irrégularités étaient systématiques). En 2012, il a perdu par un pourcentage plus important (6%), lors d’une élection où les tactiques d’intimidation et de corruption du candidat du PRI Peña Nieto ont été bien documentées.
Qu’est-ce qui explique son succès astronomique maintenant?
Le gouvernement sortant de Peña Nieto a présidé à une croissance économique anémique qui a laissé les niveaux de pauvreté – qui oscillent autour de 50 % – pratiquement intacts. Le nombre de morts causés par la guerre de la drogue, déjà dans les centaines de milliers, a atteint un sommet historique l’année dernière. Des cas de corruption très médiatisés ont miné l’administration du PRI.
Lopez Obrador a utilisé ces années pour construire son personnage anti-établissement. Sa figure est devenue partie d’un subconscient collectif. Une publicité de campagne de MORENA qui omet intentionnellement son nom a utilisé une expression qui a attrapé avec le grand public: « Nous serions mieux avec vous savez qui . »
Mais le PRI n’est pas le seul grand parti politique à entrer dans le cycle électoral en plein désarroi. Le PAN, qui a gouverné le pays entre 2000 et 2012, s’est transformé en une « opposition de poche » pendant la présidence de Peña Nieto, soutenant en bloc la plupart de ses grandes réformes proposées.
Le PRD, qui avait appuyé AMLO lors de ses deux courses précédentes, est entré en crise après la défaite de 2012. Les centristes du parti ont pris le relais, rompant les liens avec AMLO. Le parti a ensuite signé un «Pacte pour le Mexique», promettant de se concentrer sur des objectifs politiques partagés avec la présidence de Peña Nieto. Cela a marqué le début d’une érosion de son identité en tant que parti d’opposition de gauche et a condamné toute tentative de passer à un message anti-establishment plus tard. La coalition PAN-PRD pour cette élection a été un échec.
Des alliances discutables
Le succès d’AMLO, cependant, est venu avec des alliances politiques discutables. Un large éventail de vieux adversaires a maintenant bizarrement changé d’avis.
Le pragmatisme a testé les principes plus d’une fois, le plus clairement dans l’alliance de MORENA avec le Partido Encuentro Social, d’inspiration évangélique conservatrice. AMLO a accepté tout le monde avec peu ou pas de contrôle. Ce n’est pas totalement surprenant de la part de quelqu’un qui était lui-même un membre du PRI (il faisait plus tard partie de l’aile gauche du parti qui s’est fragmentée à la fin des années 1980). Il n’est pas difficile de voir dans ces alliances les germes de scandales et de troubles à venir.
Cet «œcuménisme» contraste apparemment avec ses attaques récurrentes contre, comme il l’a inventé, la mafia del poder. La mafia avec le pouvoi» est une catégorie nébuleuse, mais se réfère principalement aux copains d’un État rentier. Le concept permet à AMLO de conserver un discours politique conflictuel et de mettre en avant une critique d’un « système » sans avoir à spécifier des positions de classe structurelles. Il ne parle pas d’une classe capitaliste exploitant une classe ouvrière ou d’un 1 pour cent au-dessus de 99 pour cent. Il dessine plutôt un schisme beaucoup plus flou: une mafia qui a volé l’appareil d’État loin du « peuple ».
Peu de partisans d’AMLO votent naïvement. Pourtant, comme la victoire attendue d’AMLO approche, une effervescence populaire éclate dans les grands meetings qu’il tient à travers le pays. Si ce n’est que parce que les maux du pays sont si profonds, la présidence de Lopez Obrador a le potentiel de sortir des millions de personnes de la pauvreté, de reconstruire une nation ternie et d’élargir les horizons de revendications politiques acceptables.