Aníbal García Fernández , Amílcar Salas Oroño, Camila Vollenweider, La Jornada, 19 mars 2019
Le dernier sondage d’opinion réalisé au Mexique montre que le soutien des citoyens à Andrés Manuel López Obrador (AMLO) est de 79,4%. Autrement dit, près de huit Mexicains sur dix ont une opinion favorable du président. Bien qu’il ne soit au pouvoir que depuis un peu plus de cent jours, ses chances de succès auprès de l’électorat sont écrasantes. Certains des facteurs qui expliquent ce fait sont sa politique de communication (chaque jour il expose ses décisions politiques et ses opinions aux médias), des mesures d’austérité pour les agents publics (perçues comme le début de la fin des privilèges politiques) et une gestion inhabituellement ferme sur des questions sensibles telles que la contrebande d’essence (« huachicoleo ») ou la justice pour les 43 jeunes assassinés à Ayotzinapa, ce qui contraste vivement avec la faiblesse conductrice de son prédécesseur, Enrique Peña Nieto.
Cependant, lorsqu’on explore les groupes de pouvoir au Mexique, on s’aperçoit que le gouvernement qui exécute la soi-disant « quatrième transformation » se heurte à d’importants défis et obstacles. Les entrepreneurs, syndicats et médias, entre autres, ne reproduisent pas cette attitude favorable à près de 80% envers le gouvernement.
Les entrepreneurs
Les groupes d’entreprises les plus puissants du Mexique sont réticents face à la politique économique du gouvernement AMLO. Un de ces groupes est le Conseil mexicain des affaires (CMN), qui a participé à la «guerre sale» pendant la campagne électorale de 2018. On compte parmi ceux-ci Germán Larrea, du Grupo México, Ferromex, Claudio X. González Guajardo, fils de l’homme d’affaires Claudio X. González Laporte, propriétaire de Kimberly-Clark. Il finance actuellement des organisations de la société civile telles que les Mexicains contre la corruption et l’impunité; Alberto Bailléres, président de Grupo Bal, où se trouvent des sociétés des secteurs de l’acier, du pétrole, de l’agriculture et des finances, rassemble ces entrepreneurs contre AMLO.
Certains entrepreneurs appuient cependant le projet AMLO, par exemple Ricardo Salinas Pliego, président de Grupo Salinas, Olegario Vázquez Aldir, directeur général du groupe Ángeles avec des sociétés des médias, des services hôteliers et du secteur financier; Carlos Hank González, président de Grupo Banorte, principalement dans le secteur financier mais avec des ligues familiales avec le PRI; et Bernardo Gómez Martínez, co-président de Grupo Televisa, entre autres.
Mouvements sociaux
L’un des groupes qui s’est opposé au projet AMLO est l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), qui construit depuis 1994 une autonomie sur le territoire du Chiapas, conjointement avec le Congrès national des peuples indigènes (CNI) et le Conseil autochtone du gouvernement (CIG). Au cours des derniers mois, l’activité contre le gouvernement AMLO s’est concentrée sur l’opposition à la construction du train Maya, un chemin de fer qui vise à relier le sud-est du pays et qui implique un coût écologique considérable, des dommages pour les communautés et des dommages environnementaux irréversibles. En revanche, les communautés autochtones réunies au sein de l’Institut national des peuples autochtones (INPI), nouvellement créé, ont symboliquement passé le « bâton de commandement » à AMLO lorsqu’il a assumé la présidence.
Les organisations civiles en faveur du droit à l’interruption volontaire de la grossesse espèrent que le gouvernement répondra à leurs revendications. Mais cette revendication est confrontée par l’Église, ainsi que par des secteurs conservateurs et des partis politiques. Même au sein du parti d’AMLO, il y avait des voix contre l’avortement.
L’annulation de l’aéroport de Mexico a rassemblé plusieurs organisations sociales opposées au projet depuis sa conception, telles que le Front des peuples pour la défense de la terre (FPDT) et des organisations de quartier, d’étudiants et de paysans ayant participé à la campagne « YoPrefieroElLago » Par ailleurs, les groupes d’entreprises qui auraient bénéficié du projet restent opposés au nouveau gouvernement AMLO, payant même pour une campagne médiatique accusant le gouvernement de ne pas répondre aux attentes des investisseurs.
Les syndicats
Depuis le début de son mandat, AMLO a été très catégorique dans la dénonciation de la corruption enregistrée dans PEMEX – en ce qui concerne le « huachicoleo » – indiquant que ses dirigeants auraient reçu des pots-de-vin de plus de de 400 millions de pesos. Une grande partie des accusations est orientée contre Romero Deschamps, le dirigeant syndical des travailleurs du secteur pétrolier. Face au problème, AMLO a déclaré que le cours serait déterminé par la « démocratie syndicale » car « le gouvernement n’a plus de leaders favoris ». .
Entretemps, la Confédération internationale des travailleurs (CIT), dont l’un des dirigeants est le dirigeant du syndicat minier Napoleón Gómez Urrutia, tout en offrant à AMLO son soutien, critique le gouvernement pour la renégociation de l’ALÉNA qui se fera encore une fois sur le dos des travailleurs. Pour le moment, l’acteur syndical ne s’est pas placé en situation de confrontation; il est vrai qu’il y a eu plusieurs grèves [14] et manifestations, comme celle des syndicats d’université, mais toujours sans conséquences majeures.
Pour ne pas conclure
Les groupes d’intérêts au Mexique ont collaboré pendant des décennies avec les gouvernements néolibéraux, à l’exception des organisations autochtones, paysannes et populaires en général, qui ont toujours été en dehors des préoccupations du gouvernement. Cependant, l’arrivée d’AMLO a été un défi pour la plupart de ces entreprises, habituées à maintenir l’harmonie avec les gouvernements en échange de la satisfaction de leurs intérêts.
La nouvelle situation est tendue, contradictoire et ouverte. Le Mexique n’a pas de référence historique, à l’instar d’autres pays d’Amérique latine, dans la construction d’un gouvernement progressiste. AMLO a l’avantage, ainsi que le défi, de diriger le destin d’une société dévastée par des décennies de néolibéralisme et de cession de la souveraineté.