Michael Massing, Guardian, 20 janvier 2019
Pour la plupart des journalistes occidentaux, le Mexique est synonyme de corruption, de cartels, de meurtres, d’exactions militaires, de policiers corrompus et de migrants. Ils accordent beaucoup moins d’attention à une autre caractéristique, encore plus importante de la vie mexicaine: son extrême pauvreté et ses inégalités.
Avec un PIB approchant les 1,15 milliard de dollars, l’économie mexicaine est maintenant la 15ème plus grande du monde, mais son revenu par habitant d’environ 9 000 $ se classe à seulement 70ème. Selon l’échelle de Gini de l’inégalité des revenus, le Mexique est le 19ème pays le plus inégalitaire au monde, plus que même le Nicaragua, la Bolivie, la République dominicaine et le Tchad. 43,6% des Mexicains sont considérés comme pauvres.
Le trafic de drogue, la violence, la corruption, l’impunité, les migrations sont autant de conséquences du chômage élevé du pays, des bas salaires, des écoles médiocres, des soins de santé insuffisants, des agriculteurs sans terre, des jeunes sans emploi. Ces conditions semblent d’autant plus intolérables dans un pays doté de nombreuses ressources, dont des terres agricoles fertiles, de vastes réserves de pétrole, des ports en eaux profondes, un climat tempéré, de superbes plages et une population que l’OCDE considère comme la plus laborieuse des 37 pays étudiés.
La frustration croissante suscitée par le développement limité du Mexique a contribué à propulser Andrés Manuel López Obrador à la tête du pays. Le nouveau président a promis de relever le salaire minimum, de geler les prix du gaz et de l’électricité, d’augmenter les bourses d’études et les retraites, de subventionner l’agriculture, de prêter à de petites entreprises et de développer les États du Sud comme le Chiapas. Il a remporté une victoire écrasante, recueillant 53% des voix dans une course à quatre, soit près de 30% de plus que son plus proche rival.
Pour autant, il fait face à une formidable opposition, en particulier de la part des élites politiques et économiques, qu’il appelle « la mafia del poder » – la mafia du pouvoir – et dont il pense que l’emprise doit être brisée si l’on veut réformer le système.
Or le pouvoir de cette mafia est en grande partie passé inaperçu. Le groupe est dominé par une douzaine d’oligarques et leurs familles, qui maîtrisent des secteurs économiques clefs tels que les télécommunications, les médias, les mines et la banque. Les prévisions répétées d’un développement rapide pour le Mexique ont été réduites à néant en raison de l’emprise suffocante que ce petit cercle d’individus super-connectés continue d’avoir sur son économie; en éliminant la concurrence, ils peuvent maintenir des prix élevés et des profits en hausse.
Carlos Slim est au centre de l’élite au pouvoir. Son patrimoine net estimé à environ 60 milliards de dollars le place au septième rang de la riche liste internationale de Forbes.
La richesse de cet homme équivaut à plus de 5% du PIB du Mexique. Le cœur de son empire est América Móvil, la plus grande entreprise de téléphonie mobile d’Amérique latine. Sa domination de longue date sur le secteur des télécommunications au Mexique a maintenu les tarifs téléphoniques américains parmi les plus élevés du monde, coûtant à l’économie environ 25 milliards de dollars par an.
Si López Obrador ne tient pas sa promesse de réduire la pauvreté et d’améliorer la vie des Mexicains ordinaires, il faudra peut-être des décennies avant qu’une telle opportunité se présente à nouveau.