Massimo Modonesi, extraits d’un article de Nueva sociedad, 4 décembre 2018
AMLO arrive au pouvoir dans un pays plongé dans une crise de société engendrée par trois décennies de politiques néolibérales ininterrompues et aggravée par la décomposition sanglante des 12 dernières années de débordement. Dans ce contexte, la direction d’AMLO génère des espoirs, des attentes et même une certaine mystique du changement dans des fractions importantes des classes subalternes. Il a atteint 30 millions de voix, non seulement parce qu’il s’est déplacé de manière pragmatique vers le centre, mais aussi à cause des faiblesses de ses opposants politiques (le Parti révolutionnaire institutionnel, le Parti de l’action nationale et le Parti de la révolution démocratique). En effet, le peuple reconnaît et fait confiance à AMLO parce qu’il est honnête et austère, parce qu’il parle un langage simple et familier, parce qu’il méprise le clinquant du pouvoir. C’est précisément pour cette raison et en raison de ses origines plébéiennes qu’il est méprisé par l’oligarchie classiste et raciste.
« Premièrement les pauvres, pour le bien de tous », lit-on dans la devise qui accompagne AMLO depuis 2006.. Dans les deux sens, parmi les pauvres et pour tous, les limites de la « quatrième transformation » sont marquées par le périmètre de la tradition développementaliste, le rétablissement du rôle d’intermédiaire et de redistribution de l’État dans un projet dans lequel l’initiative reste fondamentale. Ces gardiens de la dynamique capitaliste sont là pour que le changement soit opéré de manière continue et assure des profits croissants, comme cela est inscrit dans les petits caractères du programme et dans la composition de l’alliance et du gouvernement, ainsi que dans le déclarations du nouveau président et de ses principaux ministres et collaborateurs.
Plus que dans d’autres expériences progressistes latino-américaines, les obstacles au Mexique pour un passage à un stade post-néolibéral sont évidents puisque, quelles que soient les intentions, à un moment où, comme le reconnaît AMLO, « le pays est en faillite ». À cela s’ajoute un contexte politique régional dans lequel le Nord et le Sud soufflent tous les feux. Le processus est également en retard dans la mesure où l’arrivée au gouvernement ne correspond pas à un cycle de mobilisation anti-néolibérale comme dans la première période quinquennale de 2000, mais à une simple répudiation généralisée à l’égard des élites du parti au pouvoir, à laquelle ne correspondent que finalement et de manière dynamique la dynamique. de protestation et d’organisation sociale. Dans ce contexte, et pas seulement par calcul électoral, Il est entendu que la composition du Mouvement national de régénération (Morena) et, en outre, la coalition qui a soutenu la candidature d’AMLO et qui forme aujourd’hui son gouvernement, ont un caractère modéré et essentiellement conservateur. Dans Morena, le national-populaire et le plébéien ont été vidés de leur contenu de gauche dans les domaines programmatique, idéologique et, en particulier, organisationnel, du fait qu’il s’agit d’un parti qui tend à être gouverné par une logique verticale compatible avec une culture caudilliste, présidentialiste et structuré autour d’un appareil électoral.
Parallèlement, la rhétorique radicale sur la portée historique de la « quatrième transformation » et les promesses qu’elle comporte place des attentes à un niveau si exorbitant qu’elle peut difficilement être contenue dans le cadre d’un exercice simplement comparatif. Plus que contre le néolibéralisme, le vote de confiance à AMLO était fondé sur l’espoir qu’il s’attaquera aux problèmes sociaux transversaux de corruption et d’insécurité, identifiés avec les gouvernements précédents et les partis qui les ont dirigés. Dans les deux domaines, les mesures annoncées ont une portée incertaine. La lutte contre la corruption ne sera pas rétroactive et repose donc sur la simple menace de sanctions légales futures. Pour sa part, la lutte contre le crime organisé est soumise à un effet rapide de la prévention, à savoir la politique sociale, tandis que, sur le plan répressif, un régime similaire à celui qui existe actuellement sera maintenu, avec sa relative inefficacité, tout en créant une Garde nationale militarisée qui remplacera l’armée et la marine dans la tâche.
En outre, il n’est pas dit que les fractions des classes dominantes qui accordent le bénéfice du doute à AMLO ne le retirent pas rapidement et que les autres fractions, ainsi que les oppositions PRI, PAN et PRD, ainsi que les les illégaux qu’ils représentent, ils restent longtemps sans rien faire.
Pour cette raison, AMLO profite du moment propice pour renforcer son engagement hégémonique en créant un consensus entre les classes, à la fois vis-à-vis de ses alliés et de ses adversaires. Cela peut très bien s’exprimer dans un équilibre entre transformation et transformisme, équilibre qui évoque d’autres expériences historiques et l’ancienne tradition de la culture politique du PRI, qui n’a cessé de s’étendre et de se reproduire dans les oppositions de gauche et de droite qui l’entouraient. En effet, chacune des trois transformations historiques auxquelles AMLO se réfère comme arrière-plan de celle qu’elle entend promouvoir – indépendance, réforme et révolution – a eu sa dose de transformisme, c’est-à-dire de réalignement conservateur, particulièrement ciblé, comme le faisait remarquer Antonio Gramsci, dans le drainage des groupes dirigeants des classes subalternes, dans leur insertion dans l’appareil d’État en tant qu’opérateurs des réformes nécessaires pour garantir la continuité substantielle des relations de domination et d’exploitation. Au Mexique, les réformes – y compris celles qui découlaient d’une révolution sociale – passaient au crible de réaménagements politiques ambigus et contradictoires qualifiés de révolution bonapartiste, populiste ou passive. Cela était vrai à la fois dans les trois premières décennies du XXe siècle et dans les années 60 et 70, lorsque la poussée venant d’en bas et la modification de la corrélation des forces se faisaient sentir de manière beaucoup plus nette que dans la conjoncture actuelle. Dans ce sens,
En conclusion, au milieu des récurrences et des ambitions historiques, la dynamique du gouvernement dirigé par AMLO semble s’installer dans l’équilibre précaire entre tendances progressives et régressives, entre transformation et transformisme.